Monter une programmation qui fait face aux réalités du monde est un véritable exploit. Concevoir un temps dédié à un cinéma qui se confronte à la réalité socio-politique des choses, à sa complexité implacable peut faire office de thérapie de société, dans le bon sens, parce que cela devient nécessaire, cathartique. Du haut de la stupeur ambiante, nous glissons tous, tout doucement dans une quasi-dépression collective, même au Luxembourg, entourés de nos belles voitures et suspendus à la prochaine échappatoire vacancière bookée, comme si de rien n’était…ou presque. Un escapisme.
Le Luxembourg City Film Festival a pu à chacune de ces quinze éditions nous ouvrir certaines portes de ces échappatoires que nous percevons, à priori de loin, c’est-à-dire comme lieux exotiques, sans trop les connaître. Mais ce sont les réalités complexes, difficiles à digérer, les questionnements sur la nécessité d’abandonner une certaine forme de légèreté que nous ressentons désormais. Le festival nous permet un réarmement de courage, celui de l’action de voir et de rencontrer l’altérité et la complexité, par le biais du grand écran. Faire des films, les produire, les programmer et les voir offre une certaine garantie d’avenir à ceux qui nous suivront ainsi que l’assurance de nos identités diverses et variées et c’est cela aussi qu’apporte indéniablement le Luxembourg City Film Festival. Nous voyons, nous nous émouvons, nous apprenons.
Il n’est absolument pas possible de voir toute la sélection durant ces onze jours de mars. Il faut faire des choix et se laisser surprendre. L’édition 2025 a su mettre avant des films complètement divers, tant sur le fond que sur la forme, notamment des films d’animation, une production magistrale rayonnera longtemps : Flow de Gints Zilbalodis (interviewé dans Land du 21.01.2025). Un conte sans mots, profondément philosophique sur un monde étrangement dystopique, une nature sublime, sans êtres humains, où les animaux créent une communauté autour d’un petit chat. Le film qui a raflé tous les prix prestigieux du monde entier, sort dans les cinémas luxembourgeois et est absolument à recommander.
Un autre privilège a été de voir le programme Tricky Women, Tricky Realities, coorganisé avec l’ambassade d’Autriche proposant pas moins de huit courts-métrages d’animation réalisées par huit femmes artistes-réalisatrices qui font appel à toutes les techniques d’animation et narrations possibles : du dessin classique aux images générées par ordinateur. Dommage que ce programme ne s’ouvre pas aux artistes-réalisatrices basées au Luxembourg. Voilà peut-être une idée à explorer ?
Les femmes et leur beauté, mais aussi celle des hommes et puis celle en général, évanescente - en parallèle au devenir politique de notre monde, dans l’accélération la plus totale, sans l’arrêt sur les questions existentielles. C’est à tout ceci que Parthenope m’a fait penser. Paolo Sorrentino, nous fait bien nous arrêter et nous attarder pour réfléchir sur nos existences, nos enveloppes charnelles, mais surtout sur nos jeux de pouvoirs et ce qu’il en reste. Ce film mérite l’attention dans le sens inhérent au cinéma de Sorrentino, celui qui interroge nos idéaux et cette étrange mélancolie qu’on se trimbale.
Ces réflexions et ces liens qui nous traversent à partir des films, n’ont pas la prétention de changer la réalité, le monde, mais nous éclairent sur différents aspects et différentes histoires. Kontinental ‘25 du Roumain Radu Jude, qui a obtenu l’Ours d’argent pour le scénario à Berlin, parvient à faire cet exercice, sans prétention. Une belle histoire qui en englobe de multiples autres. La compréhension de l’identité roumaine par exemple, et par extension européenne, passe par le suicide d’un vieil athlète à la rue, ou presque, qui peste sur le monde. Jude est le maître des références philosophiques, populaires et drôles à la fois, dans une sobriété de l’image et une mise en scène presque de fortune, parce qu’appuyée souvent sur une approche quasi documentaire ou carrément documentaire. Un film-perle qui est coproduit avec le Luxembourg (Paul Thiltges Distribution), pour ceux et celles qui se demandent parfois où va notre argent.
D’ailleurs, Alexis Juncosa, directeur du festival, peu avant les délibérations (et les prix) s’est réjoui que le secteur du film luxembourgeois se porte bien : à chaque festival de catégorie A, il y a désormais au moins des coproductions minoritaires. Ce qui serait génial, c’est d’y voir la complexité du monde luxembourgeois ou du moins une esquisse de son identité à travers des films, courts et longs, des fictions et des documentaires et de la XR, pour que, même sans véritable école de cinéma, il y ait un secteur qui fabrique ces films, avec tout son élan, son savoir et sa passion. Pour que ne soient pas gâchés les talents qui sont déjà ici.
Juncosa dit aussi que l’aventure du festival a été réellement sublime, quinze ans de joies, un peu de stupeur lors de la pandémie, mais que, le festival dans cinq ans par exemple, sera toujours celui des découvertes importantes, de l’éclairage sur un monde en permanente impermanence. C’est ce qu’il souhaite avec tous les soutiens nécessaires.
Cette impermance anxiogène nous la vivons, répétons-le. Nous sommes souvent démunis à regarder ce qui se passe entre Israël et Gaza ou la Russie et l’Ukraine, les États-Unis par des petits écrans interposés. Un film absolument poignant restera de cette édition : Timestamp, un documentaire avec une proposition artistique, un langage cinématographique fort et une bande sonore remarquable. Je garde, quelques jours après le visionnage, un sentiment d’immersion et de compréhension empathique. J’ai pu, pendant 125 minutes exactement, avec d’autres personnes dans la salle, voir et comprendre à quel point on enlève tout aux enfants et aux adolescents pendant une guerre. Ce film de Kateryna Gronostai montre combien cette guerre est insensée pour l’avenir commun des humains qui vivent les uns avec les autres. Il montre aussi les ressources, celles des jeunes et celles de leurs enseignants qui continuent l’éducation, dans les formes qu’elle peut prendre dans la résistance, malgré les alertes, les bombardements, l’angoisse de perdre sa vie, la vraie. Timestamp montre l’Ukraine et c’est essentiel, mais évidemment on pense à la Syrie où on enseignait dans les caves, à Gaza probablement aussi. On pense à l’Afghanistan et à la résistance par la transmission. On réfléchit à tout ça. On a le temps. Le film qui a été présenté à la Berlinale, a lui aussi été coproduit avec l’argent des contribuables luxembourgeois, par le biais du Film Fund et a_Bahn. Il sortira fin avril dans les cinémas, il sera tout aussi important à voir le moment venu. Pour comprendre la réalité ukrainienne, son histoire, ses jeunes et beaux visages, faire face ne serait-ce que par le biais d’un film, aussi pour saisir notre état, celui de notre malheureuse distance qui se choisit parfois par peur ou parce que nous étions jusqu’ici un peu endormis et convaincus d’un pacifisme absolu, important un temps, mais désuet aujourd’hui. Ça aussi, ce sont les réflexions qui découlent des films vus.