Les parents et la scolarité de leur enfant

Les parents veulent-ils une réforme de l’école ?

d'Lëtzebuerger Land vom 18.09.2008

En analysant le fonctionnement et les résultats du système scolaire dans le cadre d’une recherche intitulée La place de l’école dans la société luxembourgeoise de demain1, l’unité de recherche Emacs (Educational measurement and applied cognitive science) de l’Université du Luxembourg a mis en lumière les mécanismes fondamentaux qui font que l’école luxembourgeoise est peu efficace au regard des moyens qui y sont investis. 

Des mécanismes de fonctionnement qui ont la dent dureSelon cette étude, le fonctionnement du système scolaire luxembourgeois se caractérise depuis plus de quarante ans par deux mécanismes essentiels : 

1. une gestion de l’hétérogénéité des élèves qui s’opère essentiellement de manière externe via le redoublement et l’orientation précoce des élèves dans différentes filières d’enseignement et 

2. une gestion et une évaluation de l’efficacité et de l’équité du système centrée essentiellement sur les inputs ou ressources investies dans le système et qui se traduit in fine par une uniformisation des contenus et des méthodes d’enseignement.

Déjà en 1968, l’étude Magrip permettait de mettre en évidence que le système éducatif luxembourgeois était caractérisé par des tentatives récurrentes d’homogénéisation de la population scolaire. Dit autrement, on cherchait déjà à l’époque à gérer les différences d’apprentissage observées entre les élèves en recourant massivement au redoublement et à l’orientation précoce des élèves vers des filières d’enseignement secondaire hiérarchisées. Quarante ans plus tard, c’est toujours le cas. Les taux de retard scolaire sont parmi les plus hauts d’Europe : à onze ans, vingt à 25 pour cent des élèves ont déjà connu au moins un redoublement et à quinze ans, 38 pour cent des élèves sont dans ce cas. Quant à l’orientation précoce des élèves à douze ans, les données montrent clairement que la procédure défavorise les élèves d’origine étrangère puisque les épreuves proposées accordent une importance prépondérante à la maîtrise de la langue allemande. Il semble donc que les mécanismes de fonctionnement à l’œuvre observés à cette époque soient toujours à l’œuvre actuellement.

De la même façon, on peut avancer que l’école luxembourgeoise a toujours été gérée et pilotée à partir d’une analyse des moyens investis dans le système (budget alloué à l’éducation, programmes scolaires, ressources attribuées aux écoles, taux de scolarisation, …) et que très peu d’attention a été accordée aux résultats du système. Cette centration sur les inputs a conduit à limiter au maximum la liberté pédagogique des enseignants. L’instauration de référentiels identiques pour tous et de procédures réglementées a conduit à uniformiser l’enseignement dispensé, tandis que le public scolaire se diversifiait de plus en plus.  

Cependant, nul ne niera l’évolution de l’école luxembourgeoise : l’école d’aujourd’hui n’est plus la même qu’avant. Les programmes scolaires, les méthodes, les élèves et les enseignants ont changé. Les nombreuses réformes initiées par les responsables politiques ont également contribué à modifier le paysage scolaire luxembourgeois. Bref, la vie d’un écolier aujourd’hui est tout à fait différente de celle qu’ont connue ses parents. Mais les constats d’équité et d’efficacité d’aujourd’hui sont identiques à ceux d’antan : l’école luxembourgeoise demeure inéquitable et peu efficace. 

Pour trouver le chemin conduisant à davantage d’efficacité et d’équité, il semble donc inévitable de s’attaquer aux mécanismes fondamentaux de gestion de l’hétérogénéité des élèves et de pilotage du système scolaire. C’est dans cette optique que l’équipe de recherche Emacs a sondé différents intervenants du système éducatif, dont les parents, quant à d’éventuels changements en profondeur.

Positionnement des parents par rapport à certaines réformes du système scolaire Les propositions de réforme soumises à l’échantillon de parents in­terrogés dans le cadre de l’étude (n=1140) peuvent être regroupées en deux catégories : 1. des propositions d’ordre structurel ou pédagogique et 2. des propositions touchant au lien entre les écoles et les familles. Pour permettre de situer le positionnement des parents et autoriser de ce fait un début de comparaison, des inspecteurs (n=9), des directeurs (n=13), des enseignants du primaire (n=45) et des enseignants du secondaire (n=63) ont également été invités à prendre position par rapport aux différentes propositions de réforme. Les résultats (voir encart) montrent que trois cas de figure apparaissent suite à l’analyse des réponses émises : il y a des mesures faisant l’objet d’une approbation majoritaire par tous les acteurs, des mesures faisant l’objet d’une désapprobation majoritaire par tous les acteurs et des mesures faisant débat entre les acteurs.

Parmi les mesures suscitant l’accord majoritaire des différents acteurs, on peut relever la proposition de créer un organisme national indépendant chargé d’évaluer l’efficacité du système scolaire (huit pour cent des parents sont contre) et pratiquement l’ensemble des propositions destinées à renforcer la relation école-famille (quatre à vingt pour cent des parents sont contre). 

Au niveau des mesures rejetées en bloc par l’ensemble des acteurs, on trouve deux propositions : supprimer les devoirs à domicile2 (82 pour cent des parents sont contre) et laisser aux élèves et aux parents le choix de la langue d’alphabétisation à l’école primaire (48 pour cent des parents sont contre).

Quant aux mesures qui semblent faire débat entre les acteurs, on retiendra les propositions de supprimer le redoublement à l’école primaire et dans l’enseignement secondaire (respectivement 77 et 80 pour cent des parents sont contre), la proposition de retarder le moment de l’orientation des élèves vers les filières d’enseignement en instaurant un tronc commun jusqu’à l’âge de quinze ans (33 pour cent des parents sont contre), la proposition de supprimer les notes scolaires et les remplacer par une évaluation formative des élèves (quarante pour cent des parents sont contre) et la proposition de donner aux parents une responsabilité et une part de décision dans la définition du projet pédagogique et des objectifs de l’établissement scolaire fréquenté par leur enfant (23 pour cent des parents sont contre).

Au vu de ces données, on dira en synthèse que lorsque les différents acteurs sont d’accord de changer, ils le sont généralement par rapport à des propositions de réformes ne remettant pas fondamentalement en cause leurs prérogatives, leurs habitudes ou, tout simplement, la façon dont ils ont eux-mêmes vécu leur scolarité. Bref, on est encore loin de pouvoir toucher aux mécanismes fondamentaux de fonctionnement du système scolaire. 

Pourquoi parents et enseignants ont-ils intérêt à collaborer ??On peut se demander s’il est vraiment nécessaire de faire intervenir les parents dans la scolarité de leur enfant. La réponse est oui, et pour deux raisons au moins. D’une part, parce que le temps que l’enfant passe dans chacun des deux environnements n’est pas équitablement réparti : l’enfant passe plus de 80 pour cent de son temps au sein de sa famille. D’autre part, parce que l’enfant ne prend conscience de l’importance de son projet scolaire pour l’avenir que progressivement au cours de son cursus. Cette conviction doit donc émerger progressivement au travers d’une influence externe ; en son for intérieur, l’enfant n’en dispose pas encore. 

Les intervenants scolaires apparaissent de façon discontinue dans la vie de l’enfant. C’est donc la famille qui remplit le mieux les conditions nécessaires à l’intériorisation de ce projet chez le jeune. La parentalité suppose en effet une intervention de longue haleine, globale, dirigée sur un nombre restreint d’enfants alors que l’action des enseignants est limitée dans le temps (souvent une année scolaire) et concerne un groupe d’enfants.

En outre, il est aujourd’hui démontré que l’investissement des parents dans la scolarité de leur enfant influence positivement les performances scolaires de ce dernier. Ainsi, la participation des parents aux activités organisées par l’école, la communication entre l’école et la famille (réunions de parents, rencontres avec les enseignants) et la façon dont les parents s’investissent concrètement dans les tâches susceptibles d’aider l’enfant dans sa scolarité (supervision des devoirs à domicile, fréquentation d’une bibliothèque ou d’une librairie, règles instaurées à la maison en vue d’encadrer le travail scolaire à domicile,…) sont autant d’aspects familiaux pour lesquels la littérature de recherche a montré un impact positif sur la réussite scolaire. Il semble également que les aspirations scolaires parentales et l’intérêt que les parents manifestent à l’égard de la vie scolaire de l’enfant (activités, camarades, communication parents-enfant à propos des affaires scolaires,…) soient des facteurs favorisant la réussite. 

Les précédents éléments reconnaissent le rôle que la famille peut jouer dans la réussite scolaire et permettent de nuancer les constats classiques d’influence du poids social des familles sur la réussite des jeunes. Au contraire de la donne sociale, variable difficilement changeable, il semble possible de sensibiliser les parents à l’impact clairement positif que leur comportement peut avoir sur la scolarité de leur enfant. Pour ce faire, plusieurs études ont montré que l’ouverture de l’école aux familles constituait un moyen de toucher les familles dans l’importance de leur rôle éducatif.

Toutefois, les titres d’articles ou d’ouvrages relatifs à cet enjeu en disent long sur les obstacles liés aux rencontres école-famille. Montandon et Perrenoud (1987) parlent à ce propos d’un « dialogue impossible », Maulini (1997) d’une « insaisissable clarification », Gayet (1999) de « l’éco­le contre les parents », Meirieu (2000) d’une « grande explication », Dubet (1997) « d’un malentendu » et ce ne sont là que quelques exemples. Mais l’enjeu du débat consiste précisément à dépasser les tensions qui animent les relations école-famille. 

Ces échanges école-famille, s’ils s’établissent dans un souci de construction commune, pourraient aboutir à des questions nouvelles, alimenter la réflexion, faire évoluer les représentations de chacun des partenaires et, partant, avoir des retombées positives sur la scolarité de tous nos enfants.

Mais ne nous leurrons pas, une minorité de familles éprouveront toujours, pour une raison ou pour une autre, des difficultés à assurer le suivi scolaire de leur enfant, même si les conditions optimales d’échanges école-famille sont réunies. Pour ces enfants en particulier (mais aussi pour tous les autres), le développement de structures périscolaires en lien étroit avec l’école doit impérativement être encouragé. Ces structures pourraient prendre place au sein des bâtiments scolaires une fois la journée d’école terminée ou en dehors dans le cadre d’initiatives externes à l’école. Elles poursuivraient cependant toutes l’objectif de fournir à tous les enfants un encadrement extrascolaire adéquat et riche ainsi que les ressources non disponibles dans l’environnement familial. 

Christophe Dierendonck et Débora Poncelet sont chercheurs de l’Université du Luxembourg, Unité de recherche Emacs (Educational measurement and applied cognitive science)

1Cette étude a été publiée aux éditions de Boeck : Martin, Dierendonck, Meyers et Noesen (2008), La place de l’école dans la société luxembourgeoise de demain. Vers de nouveaux modèles de fonctionnement du système éducatif.

2 À ce propos, la recherche a montré que le fait de donner des devoirs à domicile aux élèves était un facteur d’inéquité important : l’impact du facteur socioéconomique se faisant sentir à la fois à l’école mais également à la maison lorsqu’il s’agit pour l’enfant de recevoir de la part de ses parents un soutien scolaire adéquat

3 Pour rappel, l’échantillon est composé comme suit : 1 140 parents, 45 enseignants du primaire, 63 enseignants du secondaire, 13 directeurs d’école et 9 inspecteurs.

Christophe Dierendonck, Déborah Poncelet
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