Réforme de la loi scolaire de 1912

La crise

d'Lëtzebuerger Land du 06.04.2000

C'est peut-être un hasard, mais néanmoins, c'est lourd de symbolique : le bâtiment du Lycée technique de Pétange qui s'effondre littéralement porte le nom de Mathias Adam, créateur de la Fédération générale des instituteurs luxembourgeois (FGIL, prédécesseur de l'actuel SEW/ OBG-L) il y a plus de cent ans et défenseur de l'école publique pour tous, libérée du joug de l'Église catholique. Quasi en même temps que la révolte des enseignants de Pétange, les deux syndicats SEW et SNE s'insurgent contre le manque de moyens de l'école publique qui rend leur travail presque impossible. La décrépitude du LTMA peut aussi, toujours symboliquement, être interprétée comme la fin du « modèle » que constituait cette école sous le ministre socialiste de l'Éducation nationale Robert Krieps, une école censée innover dans le domaine pédagogique.

La discussion actuelle autour de l'école - celle sur les rythmes scolaires et le samedi libre n'est que la pointe émergée de l'iceberg - semble se rejouer sur le même schéma, les mêmes prémisses qu'il y a 88 ans, lors de la réforme de 1912. L'engagement de la gauche à libérer l'école de l'influence prédominante de l'Église avait alors divisé la société, les libéraux d'une part et les catholiques de l'autre1. Or, tout se passe comme si aujourd'hui, la droite catholique s'apprêtait à une bataille similaire, comme si le monde se scindait en deux, les bonnes mères de famille intègres (pas forcément PCS) qui se sacrifient à l'éducation de leurs enfants, et de l'autre, les mégères libérales (pas forcément PDL) qui ne pensent qu'à leur carrière et à leur temps libre. En tout cas, c'est l'impression que donne la campagne du Luxemburger Wort, dont même l'éditorialiste se laisse aller à une accusation frontale de l'actuelle ministre de l'Éducation nationale, Anne Brasseur (PDL), soudain responsable de tous les maux, oubliant qu'il y a neuf mois, ce poste était encore occupé par une ministre PCS. Tout se passe comme si l'opinion publique s'échauffait déjà en vue de la réforme générale annoncée de la loi scolaire de 1912.

« Les auteurs des lettres à la rédaction commettent une faute de raisonnement, estimait lundi le député des Verts Robert Garcia, parce qu'ils partent du principe de familles intactes. » Or, le schéma père au boulot + mère au foyer = enfants heureux et équilibrés est de moins en moins vrai, la notion de famille pouvant s'incarner sous de nombreuses formes très différentes, parce que le monde change, une lecture réactionnaire n'y changera rien. Robert Garcia a donc déposé mardi une proposition de loi « relative à l'organisation de structures d'accueil pour les enfants fréquentant l'enseignement primaire et modifiant la loi modifiée du 10.8.1912 concernant l'organisation de l'enseignement primaire. » Cette proposition prévoit la création obligatoire de structures d'accueil péri- et parascolaires dans toutes les communes, qui n'impliquerait ni l'obligation pour tous les enfants de les fréquenter, ni la gratuité de l'offre. 

Pour preuve du bien-fondé de cette offre, Camille Gira, maire vert de Beckerich, raconta à nouveau les expériences positives d'une initiative similaire dans sa commune, où environ un tiers des enfants profitent de l'accueil et de l'aide aux devoirs offerts dans de telles structures. Dans ce sens, elles participeraient très activement à la mission de base de l'école qui est d'assurer l'égalité des chances de tous les élèves, ce qui n'est souvent plus le cas une fois que les enfants quittent l'enceinte du bâtiment scolaire. Objectif pour la généralisation de cette offre dans tout le pays : six ans ; coût estimé : huit milliards de francs, porté à parts égales par les communes et l'État. « Par ce projet, nous voulons créer les prémisses qui permettent de parler de réorganisation scolaire par la suite, » affirme Robert Garcia, car, en déchargeant aussi bien l'école que la famille de certaines tâches, ces structures d'accueil permettraient au pouvoir public d'adapter ses missions à un environnement en mutation permanente. Sans perdre pour autant de vue la transmission des valeurs, la reproduction de la société.

« Nous ne pouvons pas tout faire, » constata, le lendemain, Monique Adam du SEW/OGB-L, elle-même enseignante. Le syndicat éducation et sciences de l'OGB-L présentait mardi, en commun avec le Syndicat national des enseignants (SNE/ CGFP) le programme de la Campagne mondiale pour l'éducation, organisée par l'Internationale de l'éducation, qui dure jusqu'au 9 avril. L'occasion surtout pour les enseignants de pousser un grand appel d'aide. « Sans cesse de nouvelles missions incombent à l'école, expliqua Monique Adam, que ce soit l'intégration linguistique, l'éducation aux valeurs ou même maintenant de la motricité. Mais les moyens que nous avons à notre disposition n'augmentent pas pour autant. » 

Et de prouver par un schéma que le budget de l'Éducation nationale n'augmente pas au même rythme que le budget global de l'État. Selon le SNE, un enseignant du primaire sur cinq ne serait pas du tout qualifié, il manquerait quelque 600 instituteurs et institutrices au seul enseignement primaire. Les chargés de cours, demandent le Syndicat des enseignants, devraient au moins profiter d'une meilleure formation pédagogique. 

Même constat du côté du secondaire : Guy Foetz du SEW regrette que le ministère de l'Éducation nationale n'atteint même pas ses objectifs d'embauche : sur les 155 enseignants qui devaient être engagés cette année, on n'en a trouvé que 112 (plus quinze pour l'enseignement préparatoire). Pourtant, au-delà de la pénurie actuelle, il y a urgence pour renouveler la profession, puisque dans les cinq années à venir, 340 enseignants prendront leur retraite. Les syndicats d'enseignants s'inquiètent très sérieusement pour l'avenir de l'école publique et demandent un engagement plus ferme de la part du gouvernement. Le manque d'effectifs, les classes trop nombreuses, des infrastructures en piteux état, l'augmentation de l'aide financière pour l'école privée ne sont pas vraiment pour encourager l'innovation pédagogique. « Nous sommes tout à fait disposés à porter des réformes, affirme Monique Adam, mais pour cela, il faut que nous ayons plus de moyens. » 

Cette pénurie d'enseignants est une des raisons pour lesquelles le SEW/OGB-L ne s'est pas officiellement associé au « Projet pédagogique et structurel pour un régime à plein temps dans l'enseignement post-primaire public », tel que présenté jeudi dernier par sept enseignants du secondaire (disponible sur www.lycopa.lu), ce modèle demandant l'engagement de plus d'enseignants, alors qu'actuellement, le staff suffit à peine pour assurer le fonctionnement régulier de l'école.

Le projet pédagogique, élaboré sur la seule initiative des sept enseignants, prévoit une restructuration des cours en unités de 90 minutes, dont trois seraient offerts par journée scolaire, cinq jours par semaine. Durant ces cours, chaque matière passerait par trois phases : l'information/prise de contact, l'appropriation puis l'extériorisation, c'est-à-dire les réactions ouvertes des élèves par rapport à la matière apprise. Parallèlement, cette école offrirait des structures d'accueil et de surveillance à plein temps où les étudiants pourraient par exemple effectuer leurs devoirs à domicile, qui deviennent de plus en plus lourds. Tous les partenaires de cette école coopèreraient par le biais d'une structure participative, appelée ici conseil d'établissement. Au-delà de la transmission des savoirs, l'enseignement qu'ils proposent n'est pas seulement plus adapté aux besoins individuels de chaque élève, mais encourage en même temps la sociabilité, aussi bien entre les élèves qu'entre les professeurs, et entre les différents groupes. 

Pour beaucoup d'aspects, la réflexion des sept enseignants du secondaire - des scientifiques pour leur majorité - part du même constat que les Verts ou les enseignants, celui des nouvelles attentes envers et les nouvelles missions de l'école. Pour cela, une réforme de fond en comble de la loi scolaire de 1912 sur l'enseignement primaire et l'élaboration d'une loi-cadre sur l'enseignement secondaire tels que prévus dans l'accord de coalition PCS/ PDL d'août dernier s'avèrent les points les plus importants du programme d'Anne Brasseur, ceux qui risquent de provoquer des débats virulents et passionnels. 

Même si l'urgence demanderait avant tout un programme d'aide financière pour réparer tous ces bâtiments vétustes et pour pallier au manque de personnel toujours plus cruel, qui commence à sérieusement entraver le fonctionnement de école. Et à pénaliser ce renouveau pédagogique si nécessaire.

 

1

Voir : Ben Fayot : « Moralitätszeugnis für die Lehrer: Der Linksblock und das Schulgesetz von 1912 », in Lëtzebuerger Almanach vum Joerhonnert, 1900-1999; éditions Guy Binsfeld 1999

josée hansen
© 2023 d’Lëtzebuerger Land