École Sainte-Sophie

Sans appel

d'Lëtzebuerger Land du 14.07.2005

La fin abrupte du conflit qui a tenu en haleine l'école privée Notre Dame – mieux connue sous le nom de Sainte Sophie – pendant cette dernière année scolaire devrait servir à calmer les esprits. L'archevêque Fernand Frank a reçu mercredi après-midi les représentants des parents d'élèves dont les enfants ont été bannis de l'école pour l'année prochaine. D'ailleurs, le directeur de l'établissement, Jean-Paul Nilles insiste sur la nuance qu'ils n'ont pas été mis à la porte, mais que leur contrat d'inscription ne sera pas reconduit pour la rentrée prochaine. Le résultat de cette entrevue avec le plus haut représentant de l'église catholique luxembourgeoise aura servi à jeter les ponts pour les parents repentis. Il leur est recommandé de s'adresser individuellement au président du conseil d'administration, Albert Hansen, de s'engager à ne plus faire partie du comité des parents d'élèves et à ne pas envisager vouloir siéger au sein du conseil d'éducation une fois qu'il aura été mis en place. Certains parents choisiront sans doute cette voie « pour ne pas devoir éloigner les enfants de façon brutale de leur environnement scolaire et de leurs amis », d'autres estimeront qu'ils n'ont pas à faire de mea culpa et refuseront ce qu'ils qualifient purement et simplement de muselière. C'est donc la fin de cet épisode mouvementé qui a connu son apogée la semaine dernière avec la démission en bloc du comité des parents d'élèves lors d'une réunion le 7 juillet. Ses membres ont estimé que le dialogue avec les responsables de l'école était désormais impossible, qu'il existait « un risque réel que les représentants des parents d'élèves soient menacés et mis sous pression concernant leurs propres enfants, du fait de leurs mandats de représentants de tous les parents d'élèves. » Car aucun représentant de la direction, ni du conseil d'administration n'avait participé à cette réunion à laquelle ils étaient conviés, ainsi que les parents d'élèves – la direction maintiendra d'ailleurs qu'elle n'a jamais été mise officiellement au courant de cette réunion, même si elle s'est déroulée dans l'enceinte même du bâtiment. En réalité, la publication d'une lettre ouverte – qui servait aussi d'invitation à la réunion – du comité des parents d'élèves a été interprétée comme une attaque, une mise au pilori, plutôt qu'une incitation à venir expliquer les objectifs futurs des responsables de l'établissement. Le comité y avait posé 23 questions sensibles sur l'avenir – la survie – de l'école, l'organisation des cours et des horaires, l'augmentation du minerval, des questions qui commençaient toutes par les mêmes mots comme « est-il vrai que le conseil d'administration envisage de continuer à ne pas consulter préalablement les représentants des enseignants et des parents d'élèves avant la prise de décisions importantes pour les écoles ? » La réaction ne se fit pas attendre. Le président Albert Hansen et le vice-président Mathias Schiltz ripostèrent par une lettre virulente adressée à tous les parents d'élèves. Ils estimèrent que les activités de l'association des parents d'élèves n'étaient plus tolérables, qu'elles « nuisent en effet gravement à la renommée de l'École et les responsables de celle-ci se doivent de les faire cesser rapidement », que le comité s'était basé sur des « racontars et incongruités », qu'il avait lui-même refusé de poursuivre les discussions avec la direction et le conseil d'administration. Et de préciser que l'école « ne fonctionne pas selon les principes de la cogestion. Elle n'est pas non plus une coopérative, ni un self-service. Le comité de l'Association des parents d'élèves ne semble pas avoir compris, et ne semble pas vouloir comprendre, qu'il ne fait pas partie des instances de direction de l'École. » Une affirmation que le comité n'a pas acceptée, soutenant que les parents étaient partenaires de l'école : « Ils sont destinataires de services dans le chef de leurs enfants : tournez-le comme vous le voulez – ils sont clients ! C'est l'apanage du privé ! » À ce niveau-là, les positions étaient bloquées depuis longtemps. De la mauvaise volonté pour les uns, une immixtion intolérable dans la gestion de l'établissement pour les autres. En automne dernier, les discussions avaient pourtant bien commencé. Le 22 novembre, un groupe de travail tripartite regroupant des membres du conseil d'administration, de la direction et du comité des parents d'élèves avait été mis en place. Or, au bout de quelques réunions, les discussions étaient dans l'impasse. Les parents d'élèves auraient préféré former un conseil d'éducation, dans lequel siègeraient aussi les représentants du corps enseignant et ils l'ont fait savoir. Des insultes auraient fusé et le conseil d'administration a alors décidé de charger le bras droit du directeur, Alain Simonelli, de reprendre les discussions. « Il y a eu des réunions régulières, mais les parents ont surtout formulé des exigences et des réclamations, explique-t-il, je m'étais engagé à leur fournir des réponses dans la mesure du possible. Lors de notre dernière entrevue en juin, je n'avais pas toutes les données et devais les fournir dans une prochaine réunion. C'est à ce moment que nous avons été pris au dépourvu par cette lettre ouverte et les événements se sont bousculés ensuite. » Alain Simonelli est d'avis que les représentants des parents ont été trop loin dans leurs revendications : « Ils veulent se mêler d'affaires internes qui ne sont pas dans leurs compétences. » La situation s'est tellement envenimée que le directeur Nilles ne voit pas d'autre issue que la césure décidée par le président du conseil d'administration en refusant aux parents d'élèves du comité de réinscrire leurs enfants pour l'année prochaine. « Est-ce qu'un travail constructif avec les élèves est encore possible si les parents derrière ne le sont pas ? » demande-t-il. Mais de l'autre côté, la question se pose pourquoi il y a tant de résistances à répondre à des questions qui préoccupent les parents. Pourquoi ne pas avoir expliqué point par point que les informations des parents n'étaient basées que sur des « racontars et incongruités » ? La ligne dure adoptée par les responsables de l'école a finalement renfloué – ou même conforté – les rumeurs et du côté des parents, on se pose la question quel nerf a été si violemment touché pour déclencher une telle réaction, interprétée par certains comme une véritable prise en otage des enfants : « C'est que forcément, il doit y avoir du vrai. » Un des points de la lettre ouverte est la situation financière de l'établissement : « Est-il vrai que la survie de l'enseignement primaire des écoles n'est pas garantie pour l'avenir ? ». Une question légitime, d'ailleurs le Journal de mercredi écrit que l'école compte des dettes de sept millions d'euros (déficit cumulé de 2004 : 659 000 euros). En réponse, les représentants du conseil d'administration soulignent qu'ils « ne doutent pas de l'avenir de l'École. Certains parents le font. Qu'ils se décident. Nous ne les retenons pas. » Et de préciser ensuite que le ministère de la Culture soutient financièrement le projet « Mise en musique » et que l'établissement est sur le point de conclure une convention de maison-relais avec le ministère de la Famille. Le ministère de l'Éducation nationale calcule son apport annuel selon le nombre d'élèves et la qualification du personnel. « Il est vrai que nous vivons une situation difficile, admet le directeur Jean-Paul Nilles. Les Sœurs ne financent plus l'école comme auparavant et surtout, elles ne travaillent plus dans l'enseignement. Nous devons donc les remplacer par du personnel rémunéré. Mais nous venons d'embaucher des gens et je peux vous garantir que l'école ouvrira ses portes le 15 septembre prochain, n'en déplaise à certains ! » D'ici là, le conseil d'éducation aura aussi pris forme et la Charte scolaire reprenant les fondements idéologiques et pédagogiques de l'école sera rédigée sous sa forme finale et distribuée à tous les parents d'élèves. Reste à savoir si le malaise se sera dissipé. Le directeur assure que beaucoup de parents se sont entre temps distanciés de l'approche du comité de l'association et que la plupart des enseignants lui ont apporté leur soutien (certains auraient même affirmé être soulagés parce qu'ils avaient été mis sous pression par les parents en question), de même que la délégation du personnel. Devant un tel soutien, la question se pose si la sanction de bannir les enfants de l'école aura vraiment été appropriée. Après s'être adressés à l'Ombudscomité pour les droits de l'enfant, les parents iront sans doute voir la ministre Mady Delvaux qui devra pourtant leur répondre qu'elle ne peut se mêler des affaires d'une école privée, même si celle-ci bénéficie du denier public. Le contrôle de l'État se limite ici à l'aspect financier, l'application des programmes scolaires et le respect des critères de promotion, comme le précise Siggy Koenig du ministère de l'Éducation nationale. Ce qui n'est pas le cas pour l'enseignement public où un conseil d'éducation est obligatoire et où, en cas de désaccord avec la  direction, les parties ont un seul mois pour régler leur différend sinon c'est à la ministre de trancher. Dans ce cas-ci, c'est elle seule qui est responsable et doit rendre des comptes devant le parlement. C'est décidément différent pour le domaine privé.

 

 

anne heniqui
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