Rencontre avec l'artiste Alexandros Plomaritis

« Greek Edibles »

d'Lëtzebuerger Land vom 23.10.2015

Une Grèce symbolique ? Les divers Européens qui se disent solidaires de la Grèce évoquent le « berceau historique et symbolique de l’Europe ». Or, ce lien récurrent à l’Antiquité est l’une des caractéristiques les plus problématiques de la Grèce : quel que soit le domaine de discussion, tourisme, sciences, arts, ou autre, il est rare que les esprits (grecs ou étrangers) ne voyagent pas jusqu’à quelques siècles avant J.C. La temporalité grecque se déroule en effet de manière assez particulière : entre son passé glorieux, lointain et pesant et son présent désastreux, poignant et sans issue.

Il y a à ce sujet, une longue histoire – actuellement insoluble elle aussi – qui fait partie de la mythologie personnelle de tout Grec : le pillage de sites archéologiques et les vols d’œuvres d’art par des archéologues européens pendant l’occupation ottomane (1453-1821). Des hellénistes passionnés ont donc emmené dans leurs pays certains des vestiges les plus connus de l’humanité. Dans une logique coloniale pure, un grand nombre d’antiquités ont été volées pendant cette période. Elles font aujourd’hui partie des plus prestigieuses collections des grands musées européens : notamment du Louvre à Paris, du musée de Pergame à Berlin et du British Museum à Londres.

Le rapatriement du patrimoine Cette campagne protéiforme et irrégulière a commencé en 1982 à Mexico City lors de la conférence mondiale de l’Unesco sur les politiques culturelles. À la demande de Melina Mercouri, alors ministre de la Culture, une résolution sur le retour des sculptures du Parthénon – volées par le Lord Elgin – fut votée ; et ceci malgré l’abstention de nombreux pays tels le Royaume-Uni, la France et l’Italie. Cette demande est à l’époque d’autant plus importante pour les Grecs car, suite à la chute de la dictature militaire en 1974, les marbres sont non seulement le symbole du prestige antique du pays, mais aussi celui du retour à la démocratie.

L’argument principal sur lequel se fonde la demande de Mercouri est que les frises appartiennent au Parthénon, et de fait à la Grèce : il ne s’agit pas d’éléments rajoutés, mais majoritairement sculptés sur le bâtiment lui-même. Dès lors, les demandes se succèdent au fil des années et le British Museum refuse, toujours avec la même argumentation : celui de la légalité de l’acquisition des sculptures en 1816 – car le Lord Elginles vendit ensuite au gouvernement britannique.

Universalité… scandaleuse Le musée londonien propose à la Grèce de disposer des marbres sous la forme d’un prêt, mais la Grèce exige le don signifiant de la pleine propriété des marbres. Or, malgré l’importance des marbres, une restitution peut difficilement intervenir. L’un des arguments utilisés par le Royaume-Uni est que la conservation de ces frises en Angleterre répond du principe de l’Universalité, ce que l’Unesco ne peut renier puisque c’est là l’origine de la Liste du patrimoine mondial. Par ailleurs, et au-delà des deux pays protagonistes, le problème des marbres du Parthénon comprend une dimension politique internationale car il relance le débat à tous les grands musées occidentaux qui, si les marbres étaient retournés à la Grèce, devraient à leur tour, rendre leurs collections coloniales…

Art actuel et smoking obligatoire Alexandros Plomaritis, jeune artiste grec performer de 33 ans décrit sa prochaine performance, qui aura lieu à la Biennale de Milan pour les jeunes artistes : « J’entre dans la salle en smoking. On entend une musique de Chopin. Sur les deux disques en argent que je porte il y a 150 miniatures : toutes les statues grecques volées. Les miniatures sont faites en chocolat blanc par un pâtissier de Thessalonique – nous avons trouvé un chocolat blanc qui a exactement la couleur du marbre. Je distribue le chocolat au public qui est disposé le long d’un couloir au bout duquel est posé, à même le sol, un authentique marbre Pentélique. Je traine le marbre jusqu’au centre du couloir et la lumière s’éteint. Je me déshabille. Puis, debout et nu sur le marbre, je me coupe avec une lame de rasoir les mains et les chevilles. Quatre spots s’allument sur moi, je reste nu et immobile sur le marbre. La responsable de la Biennale dit alors au micro : ‘Vous pouvez commencer à manger’. » Il va rester là, à saigner pendant quinze minutes, puis les lumières vont s’éteindre et la performance Greek Edibles va prendre fin.

Alexandros Plomaritis est l’un des jeunes artistes grecs les plus importants : il a quitté Thassos, son île d’origine, à 18 ans pour à faire des études de théâtre et de performance à Londres. Il y a connu, et depuis collabore, avec les artistes-performers européens les plus importants : Franco B, Leibniz Live Art Company, Manuel Vason et Ulay.

Art contemporain et crise grecque La thématique de la Biennale de Milan est « No Foods Land », ce qui a inspiré à l’artiste le besoin d’exprimer un paradoxe : la Grèce alimente l’occident d’art, de culture et de philosophie depuis des siècles et pourtant, elle est dans la situation actuelle. « Selon mon point de vue d’artiste : aujourd’hui la Grèce saigne. Les pays européens ont ‘emprunté’ notre culture, et en échange ils nous prêtent à des taux inabordables – ne devraient-ils pas, au moins nous rendre ce qu’ils nous ont volé ? ».

À la question de savoir si la crise le stimule dans sa créativité il répond d’un « non » clair et ferme : « Dès le début de ma pratique je m’inspire des matières du lieu et des espaces où j’ai grandi. Le marbre, le miel et les oliviers caractérisent Thassos depuis l’antiquité : j’ai grandi dans ces éléments et ils s’introduisent naturellement dans ma pratique artistique. Mais non, je ne crois pas à la crise, nous n’avons jamais eu beaucoup d’argent dans ma famille, cela a toujours été un sujet de moindre importance pour nous. Je considère avoir de la chance car je suis revenu en Grèce au début de la crise et alors que j’avais un très bon job à Londres. Vivre ici est devenu un choix conscient et difficile : c’est ici que cela fait sens pour moi de créer. »

La performance Greek Edibles aura lieu pendant Mediterranea 17, la Biennale des jeunes artistes européens et méditerranéens de Milan le dimanche 25 octobre à 16.30 heures au Spazio Ex-Locale, à la Cisterne en Salle 3. mediterraneabiennial.org/17-no-foods-land/
Sofia Eliza Bouratsis
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