Presque Pescatore

d'Lëtzebuerger Land vom 05.11.2021

La semaine dernière, pour la première fois de ma vie, YouTube m’a montré une publicité pour lutter contre les problèmes de prostate. Énorme choc ! Je précise, à toutes fins utiles, que je ne recherchais pas spécialement à visionner ni opérations chirurgicales, ni essais comparatifs de Mercedes, ni rétrospective Michel Drucker, ni cours de bridge en ligne. Non. Je cherchais juste une vidéo d’une chanson entendue à la radio. Comme beaucoup, je n’ai pas encore cédé au racket et je me suis donc habitué au défilé de publicités ineptes, le temps de pouvoir cliquer sur « Ignorer l’annonce » pour regarder ce qui m’intéresse. Mais, cette fois-ci, le message n’a pas glissé comme l’eau sur les plumes du canard insouciant. L’intelligence artificielle, qui, à défaut de gouverner le monde, décide quelle publicité nous sommes condamnés à subir avant de voir une vidéo, venait de déterminer de façon inéluctable que j’étais désormais vieux : à seulement 44 ans et 2 mois ! Je ne suis pas encore bon pour la fondation Pescatore, mais presque.

Tant qu’on est jeune, on se demande à quel âge on devient vieux. Est-ce que c’est quand on sait faire du vélo sans les roulettes ? Quand on sait lire ? Quand on entre au lycée ? Quand on a son permis de conduire ? Sa première expérience sexuelle ? Son premier travail ? Son premier appartement ? Son premier cheveu blanc ? Son premier enfant ? Non, tout ça c’est plutôt grandir que vieillir. Est-ce que c’est quand on est plus âgé que la « Joffer » de ses enfants, que le dernier chanteur à la mode, que Jésus sur sa croix, que son patron, que le chef de l’état ? Non, tout ça c’est plutôt un signe que vous préférez vivre à votre rythme. Ce n’est pas qu’on est vieux, de façon absolue, c’est juste que vous êtes progressivement entouré par de plus en plus de jeunes. D’ailleurs, je me sens plutôt « vintage » que vieux.

Et, après tout, peut-être que c’est vrai. Le mot « colo » n’évoque plus les prochaines vacances et les plaisirs de se faire des copains autour d’un feu de bois, mais plutôt un examen médical vaguement effrayant à côté duquel un test PCR semble une partie de plaisir. Je me suis également fait la remarque que les coiffeurs pratiquaient des tarifs adaptés pour les cheveux longs, mais rien en faveur des hommes avec une calvitie. Ce ne sont pas des choses auxquelles on pense dans la fleur de l’âge. Dernier indice, la dernière fois que j’ai pris le train de 14h09 en semaine à la gare de Dommeldange, j’ai cru que je partais en expédition en terre inconnue. Cette plongée sans pallier de décompression dans l’univers des moins de vingt ans au Luxembourg a éveillé des réflexions en mon for intérieur dignes d’un vieillard acariâtre. Je trouvais tous ces lycéens ridiculement nonchalants alors qu’ils portaient des chaussures avec lesquelles on doit courir un sprint plus vite qu’Usain Bolt. Ils se la jouaient rebelles et indépendants, alors que leur accoutrement et leur goût des marques montraient bien comme ils étaient dociles et influençables par les injonctions du marketing. On a beau savoir qu’il n’y a pas besoin d’être vieux pour être un vieux con, ça aide. Malgré des années d’exposition à la bêtise, il fallait se rendre à l’évidence : je n’avais pas développé d’immunité naturelle, j’étais même devenu un terrain plutôt fertile.

Comme disait l’autre, la vieillesse ce n’est pas très grave, mais ça ne se guérit jamais vraiment. Alors j’ai décidé d’en tirer parti. Par exemple, quelle meilleure occasion pour remplir son sac à bonnes excuses : vous n’avez pas envie de passer votre dimanche après-midi à faire du vélo sous la pluie ? « Partez sans moi, je vais vous ralentir ». Faire la sourde oreille ou prétexter des oublis involontaires sont autant de petits avantage, en attendant le graal : l’accès aux sièges prioritaires dans les transports en commun, et le droit de passer devant tout le monde à la caisse du Cactus.

Cyril B.
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