Balance des payements

Show me the money

d'Lëtzebuerger Land vom 12.09.2002

Le spectre de l'amnistie fiscale hante la place financière. L'Italie l'a déjà pratiquée. La Belgique, moins directe, renforce ostensiblement l'information de ses citoyens quant aux modalités qui s'appliquent aux fraudeurs du fisc voulant se racheter une virginité. En Allemagne, l'idée d'une amnistie est devenue un sujet de campagne électorale. Une tendance qui pèse lourdement sur l'avenir des activités de private banking de la place financière.

L'effet de l'opération italienne sur les banques luxembourgeoises serait resté limité, a-t-on expliqué aux journalistes qui se sont intéressés à la matière. En Italie, on n'a pas moins pu chiffrer à quelque dix pour cent la part des capitaux placés à l'étranger qui sont revenus au pays. Certes, il y a des intérêts divergents d'annoncer des chiffres précis ou non. Or jusqu'ici, même avec la meilleure volonté du monde, personne n'aurait au Luxembourg pu donner une appréciation quelque peu fiable sur les flux de capitaux entre le Grand-Duché et l'Italie. Ce n'est en effet que depuis le début de l'année que le Luxembourg calcule, enfin, sa propre balance des paiements.

Lundi dernier, le Statec et la Banque centrale du Luxembourg (BCL) ont présenté les premiers résultats en la matière. Les deux institutions, entre lesquelles existent bien des rivalités, sont chargées d'établir ensemble la balance des paiements. Auparavant, et depuis 1944, cette mission revenait à l'Institut belgo-luxembourgeois de change (IBLC) qui compilait cette statistique pour l'Union économique (et monétaire) belgo-luxembourgeoise (UEBL). Le Grand-Duché assumant désormais directement ses responsabilités statistiques, l'IBLC a cessé ses activités fin 2001.

La balance des paiements est une des statistiques macro-économiques de base. Elle retrace l'ensemble des transactions économiques des résidents d'un pays avec le reste du monde. Il s'agit aussi bien de celles de l'économie réelle que des trans-actions financières. La balance des paiements englobe ainsi d'autres indicateurs macro-économiques classiques à l'exemple des balances commerciale et courante.

La marche vers le calcul d'une balance des paiements luxembourgeoise fut longue et lente. Elle n'a finalement aboutie que grâce à la pression de l'Union économique et monétaire et donc de l'euro. 

Le premier pas fut pourtant fait dès les années 50, quand le Grand-Duché a commencé à calculer sa balance commerciale. Celle-ci couvre l'ensemble des importations et exportations de biens et marchandises. Or, avec la crise sidérurgique, le Luxembourg s'est d'une part transformé d'un pays exportateur en importateur net, alors que, d'autre part, l'importance des services s'est accrue. 

Afin de garder une vue globale sur la situation économique, le gouvernement a chargé en 1978 le Statec d'établir une balance courante. Prenant comme base la balance commerciale, celle-ci inclut les échanges extérieurs de services ainsi que les revenus du travail et du capital. Depuis les premiers calculs, la balance courante est, grâce à la place financière et contrairement à la balance commerciale, fortement excédentaire. Le Luxembourg est en effet un des rares pays où le volume des services offerts à des non-résidents dépasse celui des exportations. Les services représentent même deux tiers de la balance courante. Seuls les revenus du travail sont déficitaires. On y retrouve les salaires « exportés » par les frontaliers. 

L'excédent de la balance courante, important indicateur de la vigueur économique d'un pays, représentait au cours de l'année record 2000 pas moins de douze pour cent du PIB (produit intérieur brut). C'est le double de ce qu'affichent les plus ouverts des autres pays européens.

Alors que la balance courante s'intéresse à l'économie réelle, celle des paiements considère en plus les flux financiers. Cet indicateur est de toute première importance en matière de politique monétaire. Ce qui explique pourquoi son calcul se faisait jusqu'ici au niveau de l'UEBL et pourquoi les pays de la zone euro sont obligés de l'établir. L'attrait pour les capitaux de la place financière a d'ailleurs pendant longtemps permis d'équilibrer les déficits structurels de la Belgique et donc de stabiliser le franc belge.

Pour un pays comme le Luxembourg, avec sa place financière internationale, les comptes de la balance des paiements constituent avant tout une source d'informations inégalable sur le fonctionnement et la santé de son secteur financier. Ils reprennent l'ensemble des transactions financières du Luxembourg à partir d'un seuil de 12 500 euros. La BCL doit aussi établir la position externe globale du Luxembourg.

L'importance de la balance des paiements est d'autant plus grande que le rôle précis de la place financière dans l'économie luxembourgeoise reste peu connu. Certes, elle contribue considérablement à la richesse du pays et a créé sur vingt ans un nombre impressionnant d'emplois directs et indirects. Son fonctionnement précis et, surtout, la manière dont elle réagit aux changements de son environnement ne sont pourtant que peu analysés. La seule étude que le secteur ait réalisé lui même  sur cette question est le poids des banques dans les recettes fiscales de l'État. Le but était cependant moins d'en savoir davantage sur la place que de rappeler au gouvernement qu'il ferait mieux d'écouter quand les banquiers parlent.

D'autres études, autrement plus intéressantes, restent décevantes. La CSSF a jusqu'ici tout juste réussi à mettre des ordres de grandeur sur le poids des différents grands métiers de la place : banque privée, clientèle institutionnelle et autres fonds d'investissement. Pour le solde, on reste cantonné dans des analyses classiques de bilans et de comptes de pertes et profits.

Les premiers résultats de la balance des paiements sont, sans surprises, positifs. Les opérations financières affichent un excédent tout comme les transactions courantes. Au premier trimestre il était de 952 millions d'euros. « Faute de données historiques et d'autres repères, une analyse détaillée de ces chiffres reste ardue », expliquait lundi Germain Stammet de la BCL. Mais rien que sur les données provisoires du second trimestre 2002, on constate, par exemple, que le secteur des fonds d'investissement a vu ses activités se réduire fortement, alors que l'activité d'émission d'obligations et d'autres instruments monétaires par les banques de la place a doublé. Si le premier élément peut aussi être observé dans d'autres statistiques, ce n'est pas le cas du second. 

En affinant l'instrument, on pourra de même analyser davantage le rôle des sociétés de participations au Luxembourg. Aujourd'hui, on connaît certes quelques exemples parlants de soparfi (Ferrero ou encore Mediaset), mais ne réussit pas à capter leur rôle économique d'un point de vue macro. La balance de paiements permet de même de suivre le volume des crédits accordés par les banques de la place ainsi que des dépôts que leur confient des non-résidents. 

Jusqu'à présent, la présentation de la balance des paiements luxembourgeoise se limite à, d'un côté, le Luxembourg et, de l'autre côté, le reste du monde. Une ventilation par pays ­ et donc la possibilité de suivre les flux financiers entre le Grand-Duché et, par exemple, l'Allemagne ­ serait à ce stade impossible. En attendant d'acquérir une plus grande expérience.

Yves Mersch a toutefois entrouvert la porte à de telles publications. « Jusqu'ici, on a considéré comme secrets les chiffres sur les entrées et les sorties de capitaux du Luxembourg, a expliqué le président de la BCL. Or, il n'y a pas à avoir honte. La place financière luxembourgeoise participe comme d'autres à une allocation efficiente des capitaux. » On peut douter que les banquiers privés de la place, grands adeptes du « vivons heureux, vivons caché », partagent ce point de vue.

 

Jean-Lou Siweck
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