Chronique d’une élection non-annoncée

Depuis la nuit des temps

d'Lëtzebuerger Land du 20.09.2013

Le Huron est bien naïf. Ainsi, débarquant de son Huronie natale, il observe avec amusement les tribus rouge, noire, bleue ou verte et le surprenant spectacle auquel elles se livrent « pour obtenir beaucoup de croix » et les décrit en une langue d’un autre âge. Tout ce qui nous semble le plus naturel du monde en cette période préélectorale l’étonne – les programmes, les candidats surexcités à se présenter partout et sous leur meilleur profil, la presse partiale, les campagnes avec tous les épiphénomènes, comme notamment les affiches –, et il consigne cet émerveillement dans ses chroniques. Le plus surprenant est d’ailleurs que ce Huron est persuadé que le but de la politique serait de rendre les gens heureux. « Que voulez-vous, c’est vraiment un grand naïf ! » s’amuse Ben Fayot, interrogé à ce sujet. Le député socialiste écrit sa chronique inspirée de Voltaire pour la troisième fois. Après 2004 et 2009, lorsqu’il la diffusa par courriel et par voie de presse (entre autres dans le Land) avant de la publier en livret, cette troisième saison des chroniques du Huron, entamée le 13 août, est jusqu’à présent uniquement distribuée sur le blog de son fils Franz Fayot (www.franzfayot.lu). « Je ne veux surtout pas tirer profit de ces textes, affirme-t-il. D’ailleurs même les petits livrets, je les ai offerts à tous les intéressés plutôt que de les vendre... »

Or, outre le fait que le mandat de Ben Fayot s’achève en octobre, après presque trente ans au Parlement, et qu’il ne se présentera plus au scrutin du 20 octobre, laissant sa place sur la liste des candidats à son fils Franz – ce qui implique probablement un plus grand recul par rapport au brouhaha de la campagne –, il s’agit aussi, cette fois, d’une chronique d’élections non-annoncées. En arrivant chez nous, le Huron a « appris que les tribus se sont liguées contre le grand chef qui est à la tête du pays depuis une éternité. On lui reproche d’avoir toléré de sombres machinations d’une officine secrète chargée de surveiller les mécréants en tout genre, et avant tout les enturbannés poseurs de bombe ». Mais « lorsque le grand chef a vu que la tribu rouge qui est son alliée fidèle depuis fort longtemps l’a abandonné en rase campagne, il s’en est allé demander au chef suprême de convoquer les simples guerriers pour mettre leurs croix dans les grandes caisses en bois. Car il sait d’expérience qu’il en aura autant et plus qu’il voudra. » « À chaque élection, raconte Ben Fayot, la situation était différente : en 2004, nous sortions de l’opposition. En 2009, le LSAP était déjà au pouvoir et voulait le rester, et cette fois-ci, c’est moitié-moitié : nous sortons de la majorité, mais en même temps, nous sommes ceux qui avons provoqué ces élections anticipées. Donc nous avons à la fois à défendre un bilan et à nous confronter directement au partenaire de coalition. Chaque situation est différente et à nouveau intéressante. »

Ainsi, le Huron s’amuse du « chef cycliste » (Jean Asselborn), du « chef bleu » (Xavier Bettel) qui fait « la bise, des ronds de jambe et des salamalecs aux guerriers dont il peut se saisir dans les ruelles de son village », des médias – comme ces « gazettes » qui n’aiment plus tellement afficher leur couleur politique –, des programmes, des stratégies de campagne, des « chefs » qui se bousculent à tous les événements possibles et impossibles afin d’être sur les photos, des « dieux » comme l’index, et des sous-chefs (les hauts fonctionnaires) « qui n’ont pas besoin de croix » mais sont en fait ceux qui décident vraiment... Personne n’est épargné de ses moqueries, et Ben Fayot d’affirmer que son but est nullement de blesser, mais uniquement de faire au moins sourire dans un monde politique qui se prend souvent trop au sérieux. Tout cela, il le raconte avec beaucoup de distance et parfois une ironie acerbe inattendue de la part d’un député réputé plutôt travailleur et rigoriste.

Aux yeux du Huron, tous les phénomènes qu’il observe ont cours « depuis la nuit des temps ». Il est donc persuadé que l’histoire se répète sans cesse, comme s’il n’y avait pas d’évolution possible. « Ma thèse, dit-il, est que depuis le XIXe siècle, la manière de faire de la politique au Luxembourg n’a pas évolué dans ses structures ni ses méthodes. Nous voulons être un pays moderne, mais notre politique est celle du XIXe. » Sa bête noire reste le panachage, cette passion indomptable des électeurs luxembourgeois de choisir des têtes et des noms plutôt qu’une équipe dirigeante sur base d’un programme. « Nous devons abandonner ce système dans lequel on dépend beaucoup trop des voix personnelles et de l’endroit où on habite, selon la taille de sa base électorale. » D’ailleurs Ben Fayot constate des dérives populistes « jusque dans mon propre parti » qui suit la passion populaire de vouloir organiser des référendums sur tous les sujets d’envergure.

Même s’il regrette que les réformes soient longues et parfois carrément impossibles à réaliser – le projet de loi de réforme du Service des sites et monuments, prêt à être adopté après de longs travaux parlementaires, a été remis aux calendes grecques selon le vœu du CSV ; la réforme de l’enseignement secondaire est en discussion depuis des années sans vraiment avancer –, bien que le débat public frise le corporatisme ou que l’inertie politique soit irrationnelle au plus haut point, bien que le Luxembourg ne connaisse que peu de changements politiques de scrutin en scrutin, Ben Fayot toutefois veut croire que, cette fois, un changement est possible. Cela étonnerait le Huron.

josée hansen
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