Récemment arrivée au Luxembourg, Sharón Zoldan conseille les amateurs d’art pour constituer leur collection. Portrait

Accompagner les collectionneurs

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2022

Ce n’est pas une galerie d’art, mais il y a des œuvres partout. On est accueilli par une centaine d’oiseaux imprimés sur des calques qui se soulèvent légèrement à notre passage, comme les ailes des volatiles. Cette pièce de l’artiste turque Sena Başöz est inspirée d’un poème de Forough Farrokhzad qui compare les femmes de la révolution iranienne de 1979 à des oiseaux en cage. Dans le couloir, une danseuse de Lynette Yiadom-Boakye (qui était récemment exposée au Mudam) entre en dialogue avec une danseuse d’une autre époque : un dessin de Degas. Plus loin, dans le bureau, c’est une grande pièce en feutre de Robert Morris qui est accrochée au mur alors qu’une marqueterie de Brognon Rollin lui fait discrètement face. Ces œuvres sont « comme une extension de la collection » de Sharón Zoldan et de son mari. « Je n’imagine pas travailler sans être entourée d’art, même si mon métier ne nécessite pas forcement un bureau », souligne-t-elle. Depuis une petite année, sa société SZ | Advisory a ouvert ses bureaux au cœur dela vieille ville de Luxembourg et la conseillère en art (le terme anglo-saxon art advisor est difficile à traduire) y montre sur ses murs ce qui fait son métier : mener à bien une collection.

Sharón Zoldan développe son entreprise de conseil depuis une dizaine d’années d’abord dans sa ville natale de Los Angeles et désormais au Luxembourg, patrie de son mari. Diplômée en histoire de l’art, en italien et en espagnol de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), elle s’est d’abord passionnée pour la Renaissance italienne, ce qui l’a conduite à Florence, « une expérience holistique ». Elle travaillera un moment pour la maison de ventes Christie’s, avant d’entrer au Hammer Museum (voisin de son université) où elle a entrevu « les ponts passionnants entre l’art contemporain et l’art ancien ». Sharón Zoldan considère sa formation comme une base solide pour « comprendre ce qui se passe dans l’art d’aujourd’hui, sans perdre de vue une sensibilité personnelle ». S’ils n’étaient pas collectionneurs, ses parents, immigrés israéliens, l’ont ouverte à la créativité et au sens esthétique. « Ma mère nous emmenait régulièrement au musée et nous faisait dessiner. Mon père était menuisier et designer, je l’ai toujours vu faire des choses de ses mains. » Elle explique aussi son choix de carrière par une envie d’être dans l’univers artistique tout en « gagnant assez d’argent pour être libre et indépendante ».

« Quand on travaille dans un musée, on ne voit le résultat de son travail qu’après plusieurs mois voire plusieurs années. J’ai pensé que je pouvais faire les choses plus vite ». Ce qui amène la conseillère à travailler dans plusieurs galeries à Los Angeles avec lesquelles elle découvre le monde des foires et salons d’art, visite des ateliers d’artistes et rencontre des collectionneurs. « J’ai pu ainsi cultiver un réseau de clients qui me soutenaient, mais surtout qui avaient envie d’apprendre. » Sharón Zoldan aime en effet travailler avec des personnes qui n’ont pas encore tellement d’expérience de l’art « car ils sont plus ouverts à la discussion et aux conseils ». Elle considère ainsi son approche comme un partenariat pour développer une vision de la collection « et faire ce chemin de découverte ensemble. » Elle voyage ainsi avec certains clients pour les guider dans les foires ou les ventes et va parfois jusqu’à leur donner des cours d’histoire de l’art ou des techniques. Des amis, ceux de ces parents, et leurs amis seront ses premiers clients personnels. Elle se souvient son premier deal : « une amie est venue me voir pour que j’aide son compagnon qui n’avait rien sur les murs et aucune d’idée sur l’art. On a beaucoup discuté et il a été convaincu par mes connaissances. J’ai pu lui proposer une œuvre d’un artiste de Los Angeles qui était sur le second marché. » Elle n’en dira pas plus par souci de discrétion, mais pense que cette première affaire a été un déclencheur pour se voir comme « art advisor ». Progressivement, elle se fait un nom et élargit son réseau en travaillant par exemple pour des expositions et des ventes caritatives ou des ONG. « J’ai grandi dans mon métier en même temps que mes clients, en commençant jeune et en cherchant ce que des jeunes pouvaient apprécier et collectionner. »

Généralement, la consultante perçoit une commission sur les ventes, au coup par coup. Parfois, elle négocie des honoraires pour un ensemble plus vaste, comme une collection d’entreprise. Il lui arrive aussi de travailler avec de jeunes artistes pour leur transmettre ses connaissances du marché et leur apprendre à se vendre, à approcher le monde des galeries, « ce qu’on n’enseigne pas dans les écoles d’art, même aux États-Unis ». Elle essaye ensuite de les placer dans des collections ou de leur obtenir des commandes et sera commissionnée à ce moment-là.

Visiter les ateliers des artistes est pour Sharón « le plus excitant et le plus sympa ». Elle aime voir les artistes dans leur environnement et suivre ainsi leur processus créatif et leur cheminement de pensée. Mais cela ne suffit pas pour être consultante : « je fais des recherches et je lis tout ce que je trouve sur les artistes qui m’intéressent, leur parcours, leur technique, leurs proches, les expositions, les catalogues, les ventes... Je dois être celle qui sait le plus sur lui, c’est pour cela qu’on me paye ». Les conversations avec les collectionneurs permettent de comprendre leur envie, leur style et leur budget. Elles sont nourries et préparées soigneusement avec un grand nombre de documents visuels, d’informations et de matériel qui permet d’appréhender au mieux les œuvres. « De nos jours, il faut se faire à l’idée qu’on achète de plus en plus des œuvres sans les avoir réellement vues, car le marché va trop vite et les déplacements ne sont pas toujours possibles. » Cette pression liée au marché et à la croissance rapide des prix donne plus de valeur au travail de consultant qui bénéficie d’un accès privilégié aux vendeurs et protège ses clients de l’avalanche de propositions. « Les réseaux et la connaissance du marché et des artistes donne accès aux meilleures œuvres. » Présenter les œuvres comme une valeur d’investissement fait aussi partie de la démarche de la consultante à laquelle le monde de la finance est sensible. « Si cet aspect n’est pas pris en compte, je ne suis pas autre chose qu’une décoratrice qui va trouver un tableau qui va bien avec le canapé. On me paye parce que j’étudie le marché ! »

L’essentiel du travail de Sharón Zoldan consiste en une veille permanente pour suivre les artistes et le marché : newsletters, presse, catalogues, visite de foires, de musées, de collections, d’atelier… « Il faut nouer des relations avec les artistes le plus tôt possible pour avoir accès à leur travail, avant que les galeries ne ferment certaines portes. » Les réseaux sociaux sont devenus importants également pour la découverte de talents : « Instagram est une bonne source visuelle pour se faire une idée de ce qui se passe dans une foire d’art au Mexique ou un atelier à Berlin », estime-t-elle. Le plus difficile est de faire le tri dans toutes ces sources et toutes ces œuvres. « Ma mission est de filtrer pour ne garder et ne conseiller que ce qui va rester, ce qui va faire date et ce qui va entrer dans un musée. Même si un client est attiré par des choses plus tendance, je me dois de lui montrer d’autres choses. » Avec cette manière passionnée de travailler, Sharón Zoldan fait parler d’elle et le bouche à oreille lui apporte d’autres clients. Elle raconte la rencontre avec le patron d’un de ses clients, jeune loup de la finance. Il était à Londres pendant la grande foire Frieze et l’a convaincu d’aller la visiter. « Il m’a accordé 45 minutes. Comme j’avais déjà repéré les pièces intéressantes, on a fait le tour rapidement. Au bout du compte, il a acheté sa première œuvre, une pièce magnifique, pour 350 000 dollars. » Son arrivée à Luxembourg donne à la art advisor l’occasion d’élargir son portefeuille de clients et d’artistes. Si elle a déjà eu l’occasion de réaliser des ventes pour des clients au Luxembourg, elle regrette que cet univers ne soit pas plus ouvert. « Aux États-Unis en général et à Los Angeles en particulier, les portes sont plus ouvertes et les collectionneurs sont fiers de montrer ce qu’ils ont. C’est inspirant pour d’autres et ça crée une émulation. J’ai l’impression qu’il y a ici encore de la place pour que les collectionneurs apportent un soutien à la création. » C’est dans cette perspective que SZ | Advisory veut organiser des petites expositions, des rencontres avec des artistes, des conversations entre (futurs) collectionneurs, des échanges avec des galeries ou maisons de vente internationales et construire ainsi un réseau. « Luxembourg n’a pas l’attractivité d’une grande métropole, mais il y a beaucoup de passage et beaucoup de moyens. »

France Clarinval
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