Côté privé, côté public

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2022

Pour comprendre comment naît et évolue une collection d’entreprise, comment les œuvres sont conservées et montrées, nous nous sommes focalisés opus particulier, la collection d’Allen & Overy Luxembourg, bureau d’avocats international qui compte quelque 250 collaborateurs au Luxembourg. Une collection atypique dans le paysage des collections d’entreprises en ce qu’elle se focalise sur l’art vidéo et par tisse des liens intimes tissés avec le Mudam à qui elle fait don des œuvres acquises. Au fil des ans, ce partenariat, qui fêtera ses dix ans en 2023, s’est diversifié. L’engagement du cabinet d’avocats est désormais double puisqu’à côté des œuvres qu’il acquiert et donne au musée, il finance désormais un travail de recherches, ce que nous explique Patrick Mischo, Office senior partner lors d’un tour d’horizon sur cette collection insolite. L’entretien a été mené en amont du Private Art Kirchberg (25 septembre) où l’étude a montré quatre œuvres d’art vidéo de sa collection. Un échange complété par l’éclairage de Line Ajan, deuxième bénéficiaire de la bourse d’Allen & Overy, chargée de recherches curatoriales au Mudam depuis le mois de mai et pour un an.

L’engagement artistique du bureau d’avocats est une « initiative purement locale, sans lien avec d’autres idées qui émaneraient d’autres bureaux, chaque bureau étant autonome et choisissant son ancrage en matière de responsabilité sociale », explique Patrick Mischo. S’il évoque l’intérêt pour l’art du bureau d’Amsterdam, il précise que le mécénat d’art est pourtant spécifique au Luxembourg. Ici tout a commencé dans les années 2000 avec un engagement dans le domaine de la musique et un premier projet avec la section jazz du Conservatoire de la Ville de Luxembourg à côté duquel était à l’époque installée l’étude.

À la fin des années 2000, à la faveur du déménagement vers le Kirchberg, le cabinet décide de s’associer au Private Art Kirchberg. « L’initiative nous intéressait, mais, contrairement à d’autres entreprises, nous n’avions pas de grande collection d’art à montrer. On a fait quelques vernissages, commandé pour le nouveau bureau une œuvre monumentale à Fernand Bertemes (ndlr : Les Maîtres du jeu) mais, sans fil rouge dans notre démarche. Pour coninuer, il fallait définir un concept », dit Patrick Mischo. Il mobilisera son ami galeriste Alex Reding pour un brainstorming qui débouchera sur l’idée inédite de se rapprocher de l’art vidéo, non seulement en achetant des œuvres mais en les offrant au Mudam. « Cette idée de donation était inhérente au projet, c’était là son originalité. »

« L’initiative du choix des œuvres revient surtout au musée qui a une idée très claire de la collection qu’il veut constituer. Ce que l’on achète doit donc s’intégrer à sa démarche. Le plus souvent, plusieurs œuvres sont présentées à l’étude, aujourd’hui encore conseillée par Alex Reding, le choix final se faisant toujours en accord avec le musée » souligne l’Office senior partner. Il n’y a pas de règle stricte, ni de budget annuel fixe, la collection d’Allen & Overy s’est enrichie d’une œuvre par an. Huit sont ainsi entrées dans les collections vidéo et nouveaux médias du Mudam – qui en compte près de 150 sur un total de 700 œuvres – deux autres étant en passe de voir leur acquisition finalisée comme nous le confirme Line Ajan, bénéficiaire de la bourse curatoriale d’Allen & Overy.

Les artistes retenus viennent de tous les horizons, certains sont du pays ou de la Grande Région comme Su-Mei Tse ou le duo David Brognon et Stéphanie Rollin. Quant aux œuvres, « elles témoignent d’un suivi de l’actualité de la scène internationale de l’art contemporain ». Sont privilégiées celles « d’artistes ayant un vrai engagement avec l’image en mouvement et la vidéo », précise Line Ajan qui cite Mark Lewis et Julika Rudelius (illustration). Les acquisitions récentes témoignent, elles, « d’un intérêt marqué pour une scène artistique plus jeune et engagée, comme l’installation de Sondra Perry acquise par l’étude en 2019 ». La jeune diplômée de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne mentionne encore l’intérêt actuel pour des artistes travaillant sur des thématiques sociétales.

Financée depuis 2019 par Allen & Overy, la bourse révèle l’intensification des relations entre le cabinet d’avocats et le musée. « On aime cette nouvelle composante sur la recherche car qui dit recherche dit innovation », souligne Patrick Mischo. Avant la mise en place de cette bourse, Allen & Overy était engagé dans le sponsoring du Prix Leap - The Luxembourg Encouragement for Artists Prize - mais le bureau s’installant dans le bâtiment Infinity et se rapprochant géographiquement du Mudam, décision a été prise de privilégier le développement de sa relation avec le musée, « un rapprochement stimulant pour nos équipes » se félicite l’Office Senior Partner.

L’idée d’une bourse curatoriale – qui existe dans des musées à l’étranger – émane de Suzanne Cotter, l’ancienne directrice du Mudam. Cette bourse, limitée dans le temps, huit à douze mois, ouverte à de jeunes chercheuses et chercheurs, garantit un meilleur accompagnement au partenaire. Line Ajan mentionne ses recherches sur le corpus existant d’œuvres vidéo données par Allen & Overy depuis 2013 et son travail de prospection sur « les artistes qui ont une approche inventive et pertinente de l’art vidéo et des nouveaux médias ». Un travail qui permettra de choisir les futures œuvres présentées à Allen & Overy. Elle insiste sur « la manière dont les artistes utilisent les technologies numériques dans une portée esthétique » et parle de « leur emploi des codes visuels et symboliques de la culture du web dans une sorte d’actualisation de processus artistiques plus traditionnels ». Cette activité de recherche est complétée par des discussions avec les artistes et leurs galeries, les services et la direction du Mudam tandis que lui incombe aussi le suivi d’une acquisition pour que tous les moyens soient mis en œuvre pour la présentation et la préservation de la vidéo.

Les œuvres de la collection ont été prêtées par le Mudam à Allen & Overy pour le Private Art Kirchberg. Patrick Mischo évoque l’idée de présentations en interne pour les employés et avocats mais imagine aussi des visites guidées au Mudam pour favoriser des interactions avec les collaborateurs du musée, « c’est important que nos équipes soient impliquées » conclut-il, ravi de ce partenariat exemplaire.

Karine Sitarz
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