Et de trois départs au forceps. Bernard Dubois est la nouvelle victime d‘un retrait forcé du partenariat de Pricewaterhousecoopers. Limogeage plutôt controversé

Départs à la grosse pince

d'Lëtzebuerger Land du 12.08.2010

Trois départs, trois méthodes, trois personnalités et probablement aussi autant de drames personnels. La firme d’audit et de conseil Pricewaterhouse­coopers (PWC) a beau jeu de tenter de dédramatiser la portée des « sorties » de piste récentes de trois de ses associés (equity partners) – et non des moindres – du partenariat, comme si ces départs constituaient des évènements « normaux » au sein d’une entreprise qui emploie quelque 2 000 personnes et compte une cinquantaine d’equity partners et autant d’associés « ordinaires ». La relégation d’un associé et les pro­cédures d’exclusion (une première d’ailleurs dans l’histoire du réseau mondial de PWC) de deux autres sortent toutefois de l’ordinaire, en raison de la brutalité certaine avec laquelle ces sorties ont été organisées, du moins pour les deux exclusions dont le bien-fondé et la légalité ont été ou sont contestées devant les tribunaux (d’Land du 25.06).

Après avoir eu gain de cause devant le tribunal des référés cet été, où il avait mis en cause la légalité de son exclusion fin janvier du partenariat de PWC, Olivier Mortelmans a fini par négocier, le mois dernier, un accord financier avec les dirigeants de l’entreprise. La controverse est donc terminée. À peine toutefois ce différend s’est-il refermé, qu’un nouveau front s’est ouvert avec Bernard Dubois, associé en charge du département des ressources humaines et personnalité incontournable du monde des RH au Luxembourg. Suspendu en mai dernier après des semaines de résistance contre son éviction, puis exclu un mois plus tard, l’associé vient à son tour de saisir la justice luxembourgeoise : pour l’heure, une première procédure en référé a été introduite en juillet contestant la validité de la procédure d’exclusion comme equity partner (ce que renseigne le calendrier public des audiences de référé, affiché au Palais de justice) et une seconde a été déposée dans la foulée devant le tribunal arbitral mettant cette fois en cause la légalité de son licenciement pour faute grave. Le Land n’a pas été en mesure d’obtenir une prise de position de PWC sur ce nouveau cas de limogeage controversé d’un associé.

L’affaire en référé devait en principe être appelée vendredi 6 août lors d’une audience extraordinaire en raison des vacances judiciaires, mais un report de l’affaire est intervenu à la dernière minute, laissant supposer que des négociations restaient toujours en cours pour parvenir à un arrangement entre les parties plutôt qu’une solution imposée par les juges et exposée sur la place publique.

Quelle que soit d’ailleurs son issue, l’affaire vaut bien une mention spéciale. Son point de départ est auréolé d’un certain flou, mais il n’est pas improbable que l’étincelle à l’origine de la brouille entre l’associé et la firme, soit partie du recrutement controversé, au printemps dernier dans le département des ressources humaines de PWC, de Christian Scharff. L’ex-directeur des ressources humaines et membre du comité de direction de Dexia Bil au CV un peu iconoclaste (il fut officier de gendarmerie en Belgique) fut coopté en qualité d’associate partner (un grade donc en-dessous de l’equity partner) à la mi-avril pour être chargé, selon les termes d’un communiqué de presse de l’époque, « aux côtés de Bernard Dubois, de continuer à développer le volet ‘Human Ressources Services’ auprès des entreprises ». Cette arrivée intervient alors que PWC planche déjà sur un plan de « rigueur » qui passe notamment par un écrémage dans les rangs de ses partners, jugés pléthores particulièrement dans la branche du consulting. La nomination de Christian Scharff s’accompagne rapidement d’une « placardisation » dans le département RH à un moment où toutes les mains étaient nécessaires – et le restent encore – pour la mise en œuvre de politiques de rémunération dans le secteur financier luxembourgeois conformes aux exigences européennes pour mieux contrôler les bonus. Les établissements avaient jusqu’en juin pour élaborer les principes d’une politique des bonus, disposent encore du mois de septembre pour la communiquer à la Commission de surveillance du secteur financier et devront la mettre en musique en janvier 2011, sans que des délais de grâce et des rallonges ne soient possibles.

Quelles que soient les raisons de son limogeage, c’est d’abord sur des questions de procédure que Bernard Dubois appuie son dossier. Engagé en 1993 chez Coopers et Lybrand (ancien nom de PWC), il a accédé en juillet 2002 au statut d’equity partner (EP), rentrant ainsi dans le cercle des associés titulaires de parts sociales de la firme d’audit et de conseil. Ce partenariat est régi par un règlement d’ordre intérieur, destiné notamment à protéger les associés contre des évictions intempestives. La procédure est donc très bien cadrée par les règles internes auxquelles tous les associés ont adhéré en entrant dans l’univers des EP. Aussi, pour démarrer un dossier d’expulsion d’un des associés, pour faute ou mauvaises performances, faut-il que le conseil de gérance (country leader team, dans le jargon de la maison) en ait mandaté expressément et à l’avance le patron (managing partner). Dans le cas Dubois, a-t-il été fait l’économie de cette étape ? Ce qui dès lors pourrait rendre nulle la suite de la procédure. Il appartiendra éventuellement aux tribunaux de trancher sur ce point.

Le 18 mai, le conseil de gérance de PWC a en tout cas pris la décision de suspendre Bernard Dubois. Il est dispensé de travail. L’intéressé reçoit un premier courrier le 18 mai, suivi d’une lettre recommandée datée du 3 juin (mais qui tardera à être envoyée), signalant la tenue d’une assemblée le 18 juin suivant, avec à l’ordre du jour le vote par les 47 equity partners de son retrait forcé.

Les reproches à sa charge portent sur des faits prétendus de harcèlement de collaborateurs et d’associés de la firme, la tenue de propos déplacés et même des plaintes de type harcèlement moral de la part d’un des managers du département des ressources humaines. Accusations dont la pertinence et l’exactitude sont pour l’heure impossibles à vérifier.

La procédure de retrait forcé serait entachée d’irrégularités, les délais nécessaires de quinze jours entre la convocation à l’assemblée et sa tenue n’ayant visiblement pas été respectés, ce qui constituerait une violation des droits de la défense. À tout le moins un procédé peu loyal.

Bernard Dubois a-t-il été victime d’un « procès inéquitable » de la part de ses collègues ? Il semble qu’ils ne lui ont laissé aucune chance de se défendre des graves accusations portées contre lui. Les equity partners qui ont été amenés à voter la procédure de retrait n’auraient été informés des griefs formulés à son encontre que le 15 juin (encore qu’ils furent distillés partiellement, puisque le dossier de « 300 pages » contre Bernard Dubois ne leur sera pas encore officiellement communiqué à cette date), soit trois jours avant l’assemblée litigieuse qui devait faire valider l’exclusion. L’associé non plus n’aurait pas eu les quinze jours pourtant requis par les statuts internes pour préparer sa défense en toute connaissance de cause. Le dossier à sa charge contient, selon des informations fournies aux autres associés par Didier Mouget, le managing partner de PWC Luxembourg, « 300 pages » d’attestations et de courriels pour justifier le limogeage controversé.

La réunion du 18 juin, 9 heures, ne laissera que vingt minutes à Bernard Dubois pour se défendre et répondre aux accusations de ses pairs. Le vote à bulletin secret à l’issue de la réunion sera néanmoins sans équivoque : le retrait de la qualité d’equity partner sera approuvé par 42 des 47 associés présents ou représentés ; quatre courageuses personnes s’opposeront à ce retrait et une présentera un bulletin blanc.

Les règles internes prévoient que les expulsions d’associés soient validées par la majorité des trois quarts des votes, ce qui avait d’ailleurs valu à Olivier Mortelmans sa réhabilitation dans le partenariat par une décision du juge des référés, puisqu’il avait manqué une voix en mars dernier pour légitimer son départ. Sur les cinquante equity partners de l’époque, 37 seulement avaient donné leur feu vert au limogeage, alors qu’il en aurait fallu 38. Le quorum requis fut atteint dans le second cas d’expulsion forcée, trois mois plus tard.

Dans le cadre de cette procédure engagée contre Bernard Dubois, il ne subsistait plus que 47 equity partners : l’un étant décédé dans l’intervalle et deux autres ayant déjà été entre temps remerciés. Le dossier de « 300 pages » dressé contre l’associé incriminé afin de l’éliminer du cercle des partenaires n’aurait pas été communiqué dans les formes réglementaires à ses avocats et n’aurait d’ailleurs pas été transmis à l’« accusé » lui-même. Les autres equity partners n’en auraient eu connaissance formelle que le jour-même du vote sur le retrait forcé.

Le décompte des votes et le déroulement de la procédure à l’assemblée du 18 juin posent également des problèmes d’interprétation du droit que la justice pourrait peut-être aider à résoudre. En coupant des têtes pour faire face à une conjoncture plutôt difficile, PWC pourrait aussi y laisser sinon quelques scalps, du moins des cheveux blancs.

Véronique Poujol
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