Longue tige

Photo: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land du 25.04.2025

L’attente est longue, sa saison est courte. Blanche, violette ou verte, l’asperge annonce le début du printemps et des jours qui rallongent. Traditionnellement, les premières asperges apparaissent sur les tables des restaurants et les étals de marchés à partir de la mi-mars. À peine trois mois plus tard, la Saint-Jean marque la fin de la saison. Le nom asperge vient du grec asparagos, un terme générique pour nommer les jeunes pousses tendres d’un végétal quelconque. De son nom latin Asparagus officinalis, c’est une cousine éloignée du poireau et de l’oignon et fait aussi partie de la famille des liliacées. On la consomme depuis plus de 2 000 ans, en particulier sur le pourtour méditerranéen. L’asperge a suivi le même parcours que la vigne du Moyen-Orient vers l’Europe, y compris au Nord. Par analogie formelle, on prêtait à l’asperge des vertus aphrodisiaques. Sa forme phallique a aussi donné l’expression argotique « aller aux asperges » pour désigner le racolage des prostituées. Plus sérieusement, le médecin Hippocrate recommandait l’asperge pour soigner les diarrhées et les douleurs de l’urètre : l’aspargine qu’elle contient est un excellent diurétique et d’autres composés stimulent l’élimination rénale. Ce même composant donne une odeur soufrée à l’urine, mais moins de la moitié de la population perçoit ce parfum.

Dans l’Antiquité, la diffusion de l’asperge suit celle des légions romaines. Après cette période faste, la tige tombe dans l’oubli gastronomique pour ne garder que ces vertus médicinales. Les moines herboristes cultivaient l’asperge comme l’atteste un texte de 1469 à propos du jardin des chanoines de la collégiale Saint-Amé, dans le Nord de la France. Peu à peu, à force de sélection, son calibre s’est accru et son goût est devenu plus doux. Surtout, les maraîchers des cours royales ont développé la technique de la buttée : en enveloppant la base de la plante de petits tas de terre, les asperges restaient blanches, plus tendres et moins fibreuses. L’asperge était alors considérée comme un légume de luxe. Vers 1750, les maraîchers d’Argenteuil (dans le Val d’Oise) se spécialisent dans sa production. D’une culture noble et exclusive, l’asperge se démocratise et fait son apparition sur les marchés ainsi que dans les ouvrages culinaires.

Les différentes couleurs d’asperges proviennent du mode de culture et des techniques de protection de la lumière : la « griffe », le rhizome sous-terrain est enfoui sous les buttes de terre légère. Les sols sablonneux donnent des tiges bien droites. Les tiges (ou turions) poussent à l’abri de la lumière et restent donc blanches. Laissées à l’air libre, elles deviennent violettes puis vertes sous l’action chlorophyllienne du soleil. La récolte complète n’intervient qu’au bout de trois ans et les griffes produisent environ pendant dix ans.

Cultiver l’asperge est un art qui se perd. La production d’asperge blanche stagne dans le monde car elle demande une importante main d’œuvre au moment de la récolte. En revanche, l’asperge verte voit sa production se développer. Aujourd’hui on trouve toute l’année des asperges vertes en provenance du Pérou. Le climat du pays offre deux récoltes par an et un programme étatique d’irrigation a permis la mise en culture d’immenses terres désertiques. Plus de 45 000 hectares de ces terres ont été cédés à des agroindustriels. Une agriculture intensive qui épuise les nappes phréatiques et où les ouvriers journaliers vivent dans des conditions précaires.

On évitera donc ces asperges du bout du monde pour préférer des provenances plus proches, celles de Malines, au Nord de Bruxelles, des Landes ou de… Hunsdorf, sur le versant Ouest de la vallée de l’Alzette à la hauteur de Lorentzweiler. La famille Hoffmann, installée « Um Sonnebierg », s’est bâti une solide réputation au Luxembourg grâce à ses asperges. D’une plantation pour la consommation familiale, les surfaces ont été progressivement agrandies après qu’un certain Georges Eischen, patron de La Provençale se soit arrêté dans le coin alors qu’il faisait une balade en VTT. « Je leur ai pris vingt kilos un lundi de Pâques, puis encore vingt kilo le lendemain. À l’époque, ils exploitaient un demi-hectare », racontait-il au Land en 2022. Aujourd’hui, entre 25 et 30 tonnes d’asperges sont récoltées selon les saisons sur les onze hectares de l’exploitation. La famille embauche une dizaine de saisonniers pendant les trois mois de récolte des asperges. Il faut les cueillir tous les jours dès qu’elles sortent de terre pour qu’elles restent bien blanches.

Reste à les cuisiner dans son Petit traité de l’asperge (éditions Le Sureau) Pierre-Brice Lebrun explique : « Il faut cuire les asperges blanches debout, pour que la tête cuise à la vapeur et le pied dans l’eau ». La verte n’a pas besoin d’être épluchée, elle se dore à la poêle ou au four. Les recettes signées avec le chef Martin Fache, passent de la classique sauce mousseline, au risotto, au bavarois ou à la focaccia.

France Clarinval
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