Chroniques de l’urgence

Vent nouveau à Washington

d'Lëtzebuerger Land du 05.02.2021

Jusqu’au dernier moment, l’administration Trump a tout fait pour favoriser les énergies fossiles, jonchant de boules puantes l’espace dans lequel celle de Joe Biden déploie sa politique climatique. Le contraste n’en est donc que plus saisissant. Depuis le 20 janvier, le nouveau président a signé une série de décrets à 180 degrés des actes résolument climaticides pris au cours des quatre années précédentes. Dès le premier jour, il a rejoint l’Accord de Paris. Il a nommé des personnalités à l’expertise reconnue aux postes clés en matière climatique.

Mais surtout, et c’est sans doute la différence la plus significative entre l’approche de Barack Obama et celle de son ancien vice-président, il a spécifié que l’urgence climatique devait désormais être prise en compte systématiquement dans tous les domaines. Gina McCarthy, ancienne administratrice de l’agence environnementale EPA, nommée conseillère nationale pour le climat (un nouveau poste), et l’ancien ministre des Affaires étrangères John Kerry, à qui a été confié un rôle équivalent sur le plan international, sont les coordinateurs chargés d’insuffler aux orientations et arbitrages de la nouvelle administration la cohérence requise pour qu’elle aborde le défi climatique sous tous ses angles, de manière stratégique et intégrée. Énergie, habitat, transport, industrie, agriculture, tout est lié ; de la politique de défense à la législation et aux traités commerciaux, des achats gouvernementaux au financement de l’innovation, tous les leviers sont censés être actionnés, à tous les échelons.

Par rapport à son positionnement initial lors des primaires, Joe Biden a fait bien du chemin. Les activistes et l’aile progressiste du parti démocrate, ainsi que Bernie Sanders, qui ont instamment plaidé pour un « Green New Deal », ont réussi à imposer leur marque. La notion de justice climatique et la création massive d’emplois grâce à la transition écologique font partie de l’arsenal de la nouvelle équipe, qui semble aussi déterminée à mobiliser les ressources budgétaires requises pour le déployer sans attendre d’accord « bi-partisan », terme synonyme à Washington de paralysie.

Malgré tous ces éléments positifs (et très rassurants par rapport aux errements passés), la politique que s’apprête à mettre en musique Joe Biden reste insuffisante face à l’énormité et l’urgence extrême du défi. La trentaine de nouveaux permis de forage pétrolier accordés depuis l’intronisation de Biden envoie tout sauf un message de cohérence. Même s’il met surtout l’accent sur les nouveaux jobs que va générer la transition, notamment par le biais d’un nouveau Corps Civil d’action climatique qui doit en créer un million, le discours du 46e président reste empreint d’une fascination surannée pour la croissance économique indifférenciée. Ceux qui militent pour le climat reconnaissent que nous assistons à un tournant majeur, mais font vœu de vigilance. Le météorologue Eric Holthaus a ainsi mis Joe Biden au défi cette semaine de proclamer l’état d’urgence climatique pour pouvoir « avancer encore plus vite ».

Jean Lasar
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