Congé parental

«Il mammo»

d'Lëtzebuerger Land du 16.10.2003

Dérivé masculin de la mamma en italien, terme moqueur pour désigner un homme préférant s'occuper de sa progéniture plutôt que de s'adonner aux maintes activités intelligentes disponibles pour les mâles adultes. Telles les discussions riches en dialectique et en rhétorique de tifosis excités par l'interprétation du dernier but hors-jeu de la Djouvé ou des mensurations de la nouvelle Boxenluder de l'écurie Ferrari.

Mais il y a de l'espoir! Tous ne se laissent pas influencer par les ricanements des collègues. Ils sont même nombreux à admettre ouvertement vouloir s'occuper davantage de leurs enfants - surtout en présence de spectatrices -, mais en fin de compte, la plupart se laisse vite décourager par les embûches comme le manque à gagner, ou attirer par le chant des sirènes qu'est la promotion imminente au sein de l'entreprise. Certains reconnaissent même - du bout des lèvres - qu'ils ne se sentent pas à la hauteur pour assumer une nouvelle tâche, confession surprenante d'une gente peu encline à la sous-estimation de soi.

La législation sur le congé parental est positivement innovatrice dans le sens qu'elle ne laisse aux pères aucune possibilité de filer en douce, aucune excuse d'en remettre la responsabilité à la mère, en accordant le même droit aux deux parents, sans prendre en compte d'éventuelles considérations pseudo-biologico-scientifiques et réactionnaires selon lesquelles la femme serait un robot change-couche, chauffe-biberon et lève-nuit comblée, toujours souriante de gratitude. La loi ne fait aucune distinction entre hommes et femmes, le congé parental ne peut pas non plus être transféré à l'autre, le père ne peut donc en faire «don» à la mère.

À première vue, cette mesure pourrait enfin ouvrir la voie à une réelle égalité des sexes, bien plus que d'autres moyens comme celui d'imposer des quotas par exemple. Or, le congé parental risque d'être un cadeau empoisonné s'il ne se développe pas dans la direction indiquée. 

Au Grand-Duché, trente pour cent des parents en ont profité (jusqu'au 31 décembre 2001), la majorité étaient les mères (68 pour cent), ce qui reflète bien la répartition des rôles au sein de la famille. Donc, si le congé parental ne prend pas auprès des pères, il risque de confiner la femme davantage dans ce rôle de mère monoparentale de fait, chargée en exclusivité des enfants et des tâches ménagères.

L'État y joue un rôle ambigu. D'une part, il concentre sa politique sociale sur le noyau qu'est la famille en encourageant fiscalement les couples mariés dont la femme reste au foyer. De l'autre, la politique d'égalité des sexes veut inciter les femmes à travailler et se concentre sur le problème de la mère active chargée de l'éducation de ses enfants, confrontée aux tâches domestiques et à son travail. 

Selon Alisa Del Re1, professeure de sciences politiques à l'université de Padoue en Italie, «là où l'État social intervient majoritairement pour fournir des instruments utiles à l'assistance apportée à l'enfance et au partage des devoirs d'assistance aux personnes dépendantes, nous assistons à une augmentation des taux de natalité (cf. les pays scandinaves). Lorsque nous nous trouvons face à des interventions où la prise en charge des enfants est rare ou très onéreuse, les femmes préfèrent retarder ou réduire la maternité, ce qui explique la diminution record des taux de natalité en Italie et Espagne. D'un nouveau point de vue, le 'familiarisme' provoque paradoxalement des familles sans enfants ou, en général, un équilibre comportant une faible natalité». 

Il est clair qu'une faible natalité engendre non seulement un risque d'atrophie intellectuelle et affective d'une société grabataire, mais qu'elle présente aussi un risque grave pour la survie économique de l'État. Les politiciens l'ont bien compris, ne trouvant d'autre solution que de multiplier les allocations et autres incitants financiers devant encourager la procréation en oubliant pendant des décennies d'encadrer et de soutenir plutôt les parents actifs en créant des crèches et autres foyers de jour. D'ailleurs, toutes les conséquences du congé parental n'ont pas été prises en compte - au bout des quelques mois, les places en crèches financées par l'État ou les communes sont occupées par les enfants dont les parents n'ont pas pu ou voulu prendre le congé parental. Les autres sont donc obligés de se rabattre sur les places libres en crèches privées, dont les tarifs sont bien plus élevés, ce qui décourage certaines femmes de retourner au travail parce que leur salaire doit entièrement servir à payer les frais de garderie.

D'après Alisa Del Re, «la solution envisagée (en termes économétriques et concernant tous les services sociaux) est celle encourageant les familles à double revenu, en augmentant les services sociaux et en proposant le partage des soins (entre père et mère ndlr.). Dans ce cas, les postes de travail augmenteront (dans les services et remplacements) et les richesses seront plus largement diffusées.»

La création de postes n'a pas vraiment été un phénomène de masse suite à l'introduction du congé parental. Même si les patrons en ont fait des cauchemars et étaient au bord de la crise de nerfs lors des négociations sur le plan d'action en faveur de l'emploi - ce qui leur a valu de larges compensations -, l'hémorragie de la main d'oeuvre n'a pas eu lieu. 

Ce qui ne les empêche pas de couiner, dès qu'une demande de congé parental ou de réaménagement du temps de travail est déposée sur leur bureau. S'il est vrai que les petites et très petites entreprises ont du mal à compenser l'absence d'un membre de leur équipe, il n'est pas facile d'échanger son plein temps contre un mi-temps par exemple, même dans les moyennes et grandes entreprises. Ce serait pourtant la conséquence logique du congé parental et d'une répartition équitable des tâches au sein d'un couple. 

Même les syndicats réagissent souvent de manière frileuse quand il s'agit de s'engager pour des intérêts particuliers, surtout dans un contexte d'incertitudes économiques. Selon Joachim Klett du syndicat allemand ver.di, «le congé parental et le travail à temps partiel risquent de compromettre une carrière professionnelle et ne sont que difficilement imposables. Les chefs hiérarchiques freinent des quatre fers, les collègues masculins se moquent ; des hommes tournés vers leurs familles ne sont pas prévus dans la culture d'entreprise et ça empire, plus on gravit les échelons hiérarchiques». Pour le syndicaliste, l'orientation professionnelle des femmes, la planification de leur carrière et la motivation des hommes pour qu'ils s'occupent davantage de leurs enfants sont les deux faces d'une même médaille.

Le Grand-Duché vient de prolonger la loi sur le congé parental (voir d'Land du 20 juin 2003), il lui reste  à régler certains points comme le prolongement du contrat à durée déterminée de la personne remplaçante au-delà des onze mois prévus. Le ministre du Travail, François Biltgen, compte aussi favoriser le remplacement interne par cascade qui pose un problème juridique, mais qui permet au suppléant de monter en grade. Par souci pour «l'employabilité» d'une personne, il propose aussi de revoir la répartition de la durée du congé parental, craignant qu'elle ne perde ses réflexes professionnels à cause d'une absence prolongée. La possibilité de prendre ce congé à mi-temps pendant toute une année devrait néanmoins éviter ce phénomène d'engourdissement. 

Il faudra sans doute attendre quelques années pour réévaluer l'impact de cette mesure sur la répartition des rôles, l'effet boule de neige prendra encore du temps. Quelques pères se sont lancés dans l'aventure, dressant un bilan positif. De grandes entreprises ont emboîté le pas en proposant un accompagnement et en instaurant une politique de réaction flexible à ces demandes. Elles ont compris que vouloir à tout prix bloquer une évolution inévitable et en cours est une perte d'énergie contre-productive. Autant prendre le taureau par les cornes et inciter les pères à oser une expérience enrichissante pour toutes les parties concernées. Ils auront sans doute plus de poids politique que les mères pour imposer un droit d'encadrement de leur famille, lorsqu'il faudra retourner au boulot.

 

1Lors d'un colloque international lundi dernier sur le congé parental - défi pour l'économie et l'égalité entre les femmes et les hommes

 

 

 

 

anne heniqui
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