Planning familial

En mouvement

d'Lëtzebuerger Land du 02.05.2002

Changement de décor au centre ville : l'équipe du Mouvement pour le planning familial et l'éducation sexuelle vient de déménager. Un nouveau départ permettant de tirer un trait et de viser plus haut, à condition d'en avoir les moyens. Depuis la disparition de la figure emblématique Marie-Paule Molitor-Peffer, le combat pour les principes qui lui ont été chers semble être moins fervent, ses disciples ne sachant plus où donner de la tête pour assurer le fonctionnement des trois centres et des trois bureaux annexes.

Pourtant, les problèmes et les attitudes pudibondes pour tout ce qui touche à la sexualité sont toujours d'actualité. L'ancienne présidente et médecin directeur n'avait cessé de tirer à boulets rouges sur les hypocrisies et les tabous dans d'innombrables articles de presse, conférences et émissions radio télé en faisant évoluer à petits pas les moeurs d'une société empreinte d'un conservatisme malsain.

Parce qu'il s'agit bien de santé publique, même le président de l'Action familiale et populaire, Nicolas Estgen l'avait compris et avait accepté de participer à la fameuse émission radio sur RTL, Léift a Partnerschaft, avec son antagoniste du Planning familial. Une coopération qui s'était soldée en 1980 par moult protestations et démissions dans les rangs de l'organisation catholique, horripilés par cette «émission pornographique» dans laquelle le docteur Molitor-Peffer avait osé appeler un chat un chat - et son féminin.

Plus de vingt ans plus tard, les émissions du Planning familial sont diffusées sans que quiconque ne s'en offusque, du moins publiquement. Le premier souci est d'informer, car l'objectif majeur de l'association n'a toujours pas été atteint : prévenir et éradiquer l'avortement - alors que ses adversaires lui ont toujours reproché de le promouvoir - par l'éducation et la mise à disposition de moyens contraceptifs. Propos particulièrement venimeux tenus lors des débats passionnés en 1978, lors du vote de la loi sur l'éducation sexuelle et l'avortement. C'est d'ailleurs dans ce même texte que le Planning familial a été institutionnalisé, une des rares asbl. qui soient protégées par une loi, comme le souligne Claudine Mardaga, l'actuel médecin directeur. 

Ces deux dernières années, les demandes d'interruption de grossesse adressées aux médecins de l'association ont diminué - 190 l'année dernière contre 220 en 2000. Cela ne signifie pourtant pas forcément qu'il y en ait eu moins. Dans le rapport annuel qui vient d'être présenté, différentes hypothèses justifiant cette diminution de demandes sont énumérées : Les cours d'éducation sexuelle ont-ils porté leurs fruits, est-ce à cause de l'efficacité du moyen de contraception d'urgence qu'est la pilule du lendemain ou est-ce que les collègues gynécologues ont adopté une approche plus libérale concernant les indications pour une interruption de grossesse, ce qui évite de devoir passer par le Planning familial pour être envoyé chez un autre gynécologue ou à l'étranger ?

Car les relations entre les médecins du Planning et leurs confrères ou consoeurs n'ont pas toujours été au beau fixe. Le docteur Molitor-Peffer avait fait part de son intention d'étendre les services pour assurer aussi des consultations médicales, ce qui avait provoqué une levée de boucliers dans les rangs des gynécologues craignant une concurrence déloyale. L'affaire avait été tranchée par la Cour des droits de l'homme à Strasbourg, statuant que les médecins du Planning familial pouvaient effectuer des consultations et des traitements. En fait, les craintes n'étaient pas fondées, les médecins du Planning collaborent même avec des gynécologues, car ils ne suivent ni les grossesses, ni les opérations. 

Seule pomme de discorde : la pilule abortive (à ne pas confondre avec la pilule du lendemain) vient d'être admise au Grand-Duché après de longues discussions affligeantes selon lesquelles il faudrait éviter de rendre l'avortement «trop facile», même pour les victimes de viol. Finalement, seuls les gynécologues qui disposent de lits en clinique ont le droit de l'appliquer, le Planning familial en est exclu, bien qu'il en ait été un des principaux défenseurs. «Nous devons toujours envoyer nos patientes à l'étranger pour l'avortement. Au Grand-Duché, il est difficile de trouver un gynécologue qui accepte de le pratiquer pour des raisons morales,» ajoute Claudine Mardaga. Scrupules moraux ou peur de la mauvaise réputation des faiseurs d'ange ?

Le Planning familial mise sur la prévention, sur l'information - une première tentative de vaste information avait échoué après les élections de 1979 qui avaient ramené le PCS au pouvoir. L'ancien ministre socialiste de la Famille, Benny Berg, avait fait élaborer la brochure «Aimer» destinée aux jeunes mariés et aux élèves dès seize ans. Le livret avait été ensuite retiré par le successeur au ministère Jean Spautz (PCS), ce qui avait provoqué un tollé dans les rangs socialistes et libéraux. Sylvie Theisen titrait le 22 décembre1980 dans le Journal : «Den Iranern ihren Ayatollah, den Luxemburgern ihren Spautz». 

Toujours est-il que l'éducation sexuelle n'est toujours pas effectuée systématiquement dans les écoles. L'actuelle présidente du Planning familial, Danielle Igniti, regrette que ce soit aux enseignants de prendre l'initiative et d'inviter un membre du Planning dans leur classe pour fournir des explications aux interrogations des jeunes. «Nous venons de lancer l'éducation sexuelle dans les écoles primaires, mais tout dépend de la bonne volonté des maires, des inspecteurs et des enseignants, ajoute Danielle Igniti, il n'y a pas d'égalité des chances des enfants si les uns acceptent et les autres refusent.» 

Les jeunes ont-ils réellement besoin d'être éduqués, maintenant où tout est montré, où la sexualité est pratiquement surexploitée dans les médias, les spectateurs gavés de stimuli érotiques pour les faire consommer ? «La vision que les jeunes ont du sexe fait peur, lance Danielle Igniti, ils sont surinformés du point de vue 'technique' - ils connaissent toutes les positions, tous les termes et toutes les perversions, mais ils sont totalement ignorants de ce qui se passe au niveau affectif ou corporel. Ils ne savent rien de leur propre corps et ne sont souvent pas au courant des moyens contraceptifs.» Maria Grober-Fiori en a fait l'expérience lors de maintes séances d'information et note dans le rapport 2001 : «Dans certains milieux, vers l'âge de dix, onze ans, il y a une confrontation aux images pornographiques. Ces adolescents qui n'en parlent pas en famille, se retrouvent confrontés à un sexe qu'ils croient facile et consommable, car il est à portée de vue. Ils ont une image du sexe dont les exigences sont celles des acteurs ou actrices pornos. La pornographie n'est pas quelque chose d'anodin, elle dénigre l'image de la femme et elle peut contribuer à la violence sexuelle.» Évolution préoccupante, d'autant plus que les auteurs d'abus sexuels sont de plus en plus jeunes. 

Selon Claudine Mardaga, un autre phénomène inquiétant est celui des troubles  alimentaires. «L'anorexie est très répandue chez les adolescentes qui veulent à tout prix ressembler aux mannequins taillefine des magazines et aux stars. C'est dangereux pour leur développement - leur cycle menstruel est totalement déboussolé et elles risquent de garder de graves séquelles. Les médias véhiculent aussi l'image de la femme-enfant qui est mûre très tôt et donc prête pour des rapports sexuels. C'est une énorme pression et elles croient devoir céder même si elles ne sont pas prêtes.» 

Le Planning familial propose aussi des services de conseils conjugaux et des psychothérapies. Ces dernières années, de plus en plus d'hommes s'adressent à ces services, souvent parce qu'ils n'arrivent pas à gérer les  attentes que la société et leurs partenaires ont vis-à-vis d'eux. C'est par exemple le cas pour leurs performances sexuelles, la peur d'échouer ou d'avoir des sentiments, ce qui les pousse à se confier à un thérapeute.  Autre signe de la popularité du Planning : de plus en plus de personnes du troisième âge s'adressent aux centres pour avoir des renseignements ou pour une consultation médicale. Danielle Igniti souhaite étendre ces activités, sachant que la santé et la sexualité ne s'arrêtent pas à la ménopause. 

Toujours est-il que le Planning familial ne compte que 19 personnes pour 19 000 clients par an et la demande est grandissante. Une situation intenable surtout pour le personnel, obligé de dresser des listes d'attentes de plusieurs mois, alors qu'une des premières tâches de leur service est de gérer l'urgence comme le viol, les grossesses non-désirées, les dangers de suicide etc. 

«Tout notre personnel est en plus pratiquement forcé à faire du bénévolat en sus de sa tâche habituelle, le conseil d'administration s'occupe de la gestion administrative des centres. Nous sommes trop dépendants du travail non-rémunéré, regrette Danielle Igniti, et nous ne pouvons plus accepter le fait que des personnes privées paient les déficits du Planning. C'est à l'État d'assumer la continuation et le fonctionnement des centres.» Marie-Paule Molitor-Peffer s'était elle-même lancée avec ses propres deniers dans ce mouvement, situation impensable à ce stade-ci. 

Les dons ? Désillusionnée, Danielle Igniti explique qu'il n'est pas populaire de faire un appel aux dons pour le Planning, même lors d'une naissance rendue possible par ses services médicaux. «En plus, nos actions sont discrètes, il n'y a rien de spectaculaire que l'on pourrait montrer à la télé et qui rapporterait des dons, comme c'est le cas pour d'autres organisations. Pour le dire crûment : nous ne pouvons apparaître à l'émission Den Nol op de Kapp avec une fille de quatorze ans qui vient de se faire violer, même si une telle action aurait un effet tristement efficace.»

 

La nouvelle adresse du Planning familial : 6-8, rue G.C. Marshall ; L-2181 Luxembourg ; tél. : 48 59 76

 

 

 

 

anne heniqui
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