Le Conseil de presse, une institution obsolète

La presse serait bien conseillée...

d'Lëtzebuerger Land du 18.03.1999

Composé de 32 membres effectifs et d'autant de membres suppléants, représentant de façon paritaire les éditeurs et les journalistes, le Conseil de presse n'a de fait qu'une seule fonction effective: celle d'accorder ou non la carte de presse luxembourgeoise. La loi du 20 décembre 1979 relative à la reconnaissance et à la protection du titre professionnel de journaliste charge, dans son article 2, le Conseil de presse de veiller au respect des conditions d'accession à la carte de presse.

Installé depuis peu dans la «Maison de la presse» en face du Palais grand-ducal, aux frais de l'État et grâce à la bienveillance d'une brasserie nationale qui gère le débit de boissons situé au rez-de-chaussée, le Conseil de presse dit cependant avoir d'autres ambitions. Mais l'institution n'a jamais su, respectivement voulu se donner les moyens pour les concrétiser.

Le Conseil de presse, théoriquement la représentation professionnelle des gens de la presse, est par exemple de facto absente du débat sur la loi de la presse. Le Conseil de presse a bien rappelé, année après année, la nécessité de réformer l'ancienne loi, datant de 1869, mais n'a pas fait suivre ses propos par des actes. Il aura fallu un cavalier seul de son président Henri Grethen en 1997 pour que le Conseil de presse présente enfin un avis sur la question. Or, cet avis - rédigé en des termes très généraux - est considéré par le Service des médias du ministère d'État, où la nouvelle loi sur la presse est en train d'être rédigée, non pas comme une voie à suivre, mais comme un outil servant à «savoir ce qu'en pense la profession, pour savoir où résident leurs priorités». La contribution du Conseil de presse à l'élaboration de cette nouvelle loi s'arrête là.

La nouvelle loi sur la presse laisserait, dans sa mouture actuelle, le Conseil de presse en l'état. C'est-à-dire que la presse, apparemment incapable de se représenter elle-même, risque fortement de rester absente des grands débats concernant le journalisme, respectivement devra rester muette pour n'avoir pas insisté en temps voulu en faisant entendre sa voix et se donner une structure adéquate. Pour un organe qui tend à devenir une véritable chambre professionnelle, il s'agit d'un échec.

Le Conseil de presse est aussi le gardien de la déontologie, du moins a-t-il établi un code de déontologie qu'il distribue à tout nouveau journaliste lors de l'obtention de sa carte de presse. Ce code de déontologie comporte trois points assez généraux. Il y est question, côté responsabilité, du respect de la vérité, de la liberté d'opinion et de la vie privée d'autrui; le code énonce le droit du journaliste de taire ses sources d'information en contrepartie de la vérification des informations reçues; le plagiat, l'injure et la discrimination sont interdits de même que le trafic d'influence; les droits d'auteur ainsi que les délais d'embargo doivent être respectés. Côté droits, le code retient le libre accès à l'information, le refus de toute subordination contraire à la conviction personnelle ou à la ligne générale de l'organe de presse et le refus de toute pression et influence émanant des annonceurs publicitaires.

Le quatrième pouvoir ne veut pas exister

En d'autres termes, le code de déontologie (qui tient en une seule page) reprend les principes de base du journalisme sans entrer dans le détail de la chose. Le  Code de déontologie ne fait pas non plus la différence entre la presse audiovisuelle et les médias imprimés, alors que ces deux formes de journalisme sont fondamentalement différentes.

Or, un code de déontologie plus élaboré pourrait être l'outil de base pour faire sortir le Conseil de presse de sa léthargie. Tout d'abord, en définissant lui-même les règles du journalisme, les droits et les obligations, le Conseil de presse posséderait un instrument de choix pour prendre une part active dans la discussion, pour l'instant stérile, concernant la nouvelle loi sur la presse. Plus encore, le Conseil de presse pourrait fonctionner, à l'image du conseil de presse allemand, comme organe arbitral.

Le Conseil de presse allemand, composé de façon paritaire de journalistes et d'éditeurs (mais en nombre moins important que l'organe luxembourgeois!), est composé de trois entités: la plénière, qui est le gardien du code de la presse, élabore des avis et lignes directrices, la commission arbitrale, qui traite les réclamations concernant le non-respect du code de la presse et une entité qui s'occupe du respect de la liberté et de la bonne image de la presse. L'ossature de cette structure est un code de la presse très détaillé.

Tout un chacun peut intervenir auprès du Conseil de presse allemand dès lors qu'il croit que le code de la presse n'a pas été respecté. Après consultation du dossier, le Conseil de presse allemand peut prononcer des blâmes, que le média mis en cause doit publier, voire la déchéance de la carte professionnelle. Ce système d'auto-contrôle possède le net avantage que le plaignant peut, avant de se pourvoir en justice, intervenir devant une instance reconnue. En un temps où au Luxembourg, les procès intentés contre des organes de presse et les journalistes pullulent, l'exemple allemand serait une voie à suivre.

Certes, le Conseil de presse luxembourgeois a fait des réflexions allant dans ce sens. Mais cette initiative, comme la création d'un groupe de travail sur les possibilités de formation continue pour journalistes ou l'étude consacrée à la situation de la femme dans le métier de journaliste et la représentation des femmes dans les médias, est quasiment mort-née. Faute de moyens et faute d'intérêt de la part de la profession.

La passivité du Conseil de presse donne ainsi la fâcheuse impression que la profession ne veut pas que cet organe soit doté de pouvoirs supplémentaires. Une attitude qui peut s'expliquer par la constellation de la presse luxembourgeoise. L'appartenance ou la proximité de la plupart des quotidiens à un parti politique peut expliquer cette passivité, étant donné que le parti pris partisan, surtout en cette période préélectorale, prend allègrement le dessus dans les publications. Ce qui serait partiellement contraire à un code de presse digne de ce nom. En ce qui concerne les médias audiovisuels, ils se verraient confrontés, pour certains d'entre eux, au problème de la différenciation entre publicité et information.

Parfois, la vie est plus facile lorsqu'on ne s'impose pas de contraintes que l'on devra respecter...

marc gerges
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