La nouvelle députée Elisabeth Margue s’affiche libérale mais écolo-compatible. Portrait d’une jeune notable

La Margue CSV

d'Lëtzebuerger Land du 21.10.2022

Le 13 septembre, Viviane Reding (CSV) annonce son retrait du Parlement. Le 14 septembre, la successeure désignée, Elisabeth Margue (32 ans), donne naissance à son premier enfant. Quatre semaines plus tard, elle entre au Krautmaart. « C’est sportif », dit-elle. Entre l’allaitement et les couches, Margue suit les réunions en visioconférence et court les séances plénières. Dans son premier discours à la Chambre, elle s’est présentée comme « jeune mère », et a remercié son « partenaire » et sa famille, sans lesquels, elle ne pourrait pas exercer son mandat. Ce discours inaugural s’est également apparenté à un coming-out : « De Klimaschutz däerf net op Käschte vun der Wirtschaft goen », déclara la députée néophyte. Il ne faudrait pas « mettre des bâtons supplémentaires dans les roues » des investisseurs immobiliers. La rigueur budgétaire serait à respecter par temps de croissance. Ou encore : « D’Regierung […] huet eng Erwaardungshaltung geschaaft an e Bild vum Stat, dee fir alles zoustänneg ass a fir jiddereen opkënnt ».

Elisabeth Margue s’inscrit dans la lignée libérale du parti, celle liée organiquement à la place financière et incarnée successivement par les élus Centre Fernand Loesch, Pierre Werner, Fernand Rau, Lucien Thiel, Jean-Louis Schiltz ou encore Luc Frieden. Ce fut d’ailleurs ce dernier qui, en 2013, avait demandé à Elisabeth Margue de se présenter aux législatives. Les deux habitaient alors Contern, et Margue connaissait la famille Frieden depuis sa jeunesse, faisant du babysitting pour les deux enfants du ministre. (Le fils, Philippe Frieden, a entretemps rejoint le CSV.)

Dès son entrée au parti, Margue y était considérée comme une disciple de l’ancien ministre des Finances. Elle-même pense identifier une similitude dans le style, qui serait « plus calme et réfléchi ». Si Margue ne court pas les Dëppefester, elle n’a pourtant rien d’austère. Droite sans être arrogante, affable sans être familière, elle maîtrise l’exercice de l’interview. La présidente du CSV est assez souveraine pour pouvoir rire, par moments, de ses propres éléments de langage. Comme lieu de rendez-vous, elle a proposé le Café Knopes, dans la cour de l’Alima-Bourse, un coffeeshop couru par les jeunes cadres, les hauts fonctionnaires et les politiciens. Elle ne cache pas son habitus d’avocate de chez Arendt : « Ech weess duerch mäi Background, wat bei mech passt an wat och dat ass, wat ech duerstellen. » Lorsqu’on lui demande si elle s’identifie au courant « wirtschaftsliberal » du CSV, elle réplique : « Je suis consciente avec quelles recettes nous finançons notre système social, si cela répond à votre question. » Puis d’enchaîner sur la nécessité pour l’État de « soutenir les plus pauvres ».

Au CSV, le nom Margue résonne comme celui d’Elvinger au DP. Née en 1990, Elisabeth est l’arrière-petite-fille de Nicolas Margue (1888-1976), ancien ministre de l’Instruction publique. (Quant aux liens de parenté entre Elisabeth et Charles Margue, ils s’avèrent assez ténus : Le député vert est le cousin de son père.) La branche des Margue dont descend Elisabeth pèse d’un certain poids dans le monde corporate luxembourgeois. Son père, Pierre Margue, est passé par la Banque de Luxembourg et Clearstream, avant d’intégrer le comité de direction de SES. Son oncle, Jean-Louis, fut secrétaire général de la BGL (et trésorier du COSL). Elisabeth Margue a grandi dans une famille marquée par l’anglophilie, assez typique de la nouvelle classe managériale qui a émergé dans les années 1980. Sa mère, Marthe Thill, était d’ailleurs professeure d’anglais au Lycée de Garçons.

Après ses études de droit à Paris (agrémentées d’une sixième année à Londres), Elisabeth Margue intègre le cabinet d’affaires Arendt & Medernach. Faisant du contentieux, elle se situe quelque peu en marge de cette puissante machine juridico-comptable : « On est comme une petite étude dans une grande ». Plutôt que de structuration financière et d’optimisation fiscale, elle s’occupe d’accidents de la route, de responsabilité médicale, de baux à loyer. (Afin d’éviter les conflits d’intérêts, elle dit s’abstenir de dossiers « politisés », notamment d’urbanisme.) La semaine dernière, Elisabeth Margue a affirmé fièrement à la Chambre : « Dans mon métier d’avocat, je suis beaucoup en contact avec des gens. […] Je me suis principalement occupée de dossiers de responsabilité [civile], et j’ai rencontré beaucoup de personnes qui ont souffert des coups du destin ». Or, le cabinet Arendt n’est pas exactement connu pour défendre la veuve et l’orphelin. « Il faut dire qu’on travaille bien sûr souvent du côté de l’assurance », précise Margue face au Land.

Traditionnellement, c’est Elvinger & Hoss, la rivale historique de Arendt, qui concentre la notabilité politique : Le député Léon Gloden, l’ex-conseiller d’État Patrick Santer et l’ancien ministre Luc Frieden (tous CSV) comptent parmi ses associés. (Se sentant politiquement à l’étroit dans ce cadre, le socialiste Franz Fayot avait préféré quitter l’étude en 2015.) Avec Elisabeth Margue et Stéphanie Weydert, deux collaborateurs d’Arendt occupent désormais les fonctions de secrétaire générale et de présidente du CSV. Son engagement politique n’aurait pas posé problème au sein de l’étude, estime Margue. « Si j’étais associée, cela serait peut-être une autre discussion ». (Son fiancé travaillait chez KPMG, et vient de rejoindre le ministère des Finances.)

En matière fiscale, Margue est alignée sur la position attentiste de la place financière. « Il ne faut pas être plus catholique que le pape », dit-elle. Surtout, ne pas aller plus loin que ce qu’exige le cadre européen. La coutume grand-ducale d’externaliser aux Big Four et aux cabinets d’affaires la rédaction de projets de loi ne la choque pas. Pour pallier la pénurie de « capacités », il faudrait « chercher l’expertise là où elle est » ; à condition toutefois « que ce soit transparent ». Il faudrait ainsi veiller à « un certain équilibre » : « Dann muss ee soen : ‘Mir sëtze Läit aus verschiddene Big Four zesummen, fir dass dat Ganzt e bëssi repräsentativ ass’ ».

Qu’Elisabeth Margue soit restée fidèle au parti témoigne d’un certain sens de l’abnégation. Elle préférerait ne pas reparler de l’affaire « Frëndeskreess » qui a constitué « un moment dur » dans sa biographie. Débouchant sur un acquittement, l’épisode a révélé la cuisine interne, peu ragoûtante, du CSV. Le 16 mars 2021, lors d’une réunion houleuse, la fraction parlementaire a fait pression sur Margue et Weydert pour qu’ils signent la dénonciation de Frank Engel au Parquet. À la fin de cette assemblée, Margue était sonnée, sous le « choc » : « Qu’on décide immédiatement de dénoncer, à cela je ne m’attendais pas du tout ». Elle rentre illico, en se disant : « Dat ass verréckt, wat héi leeft ». Margue n’est pas experte en droit pénal, et ce n’est que peu à peu qu’elle mesure la portée de ce qui venait d’arriver.

La mécanique du Parquet était lancée, et la jeune juriste se retrouvera sur le banc des accusés, victime collatérale d’une guerre intestine opposant le président du parti à la fraction parlementaire. « L’avantage d’être avocat, c’est de garder un Standbeen à côté de la politique, de ne pas être forcé de devenir un politicien professionnel. C’est la première fois dans ma vie où je me suis dit : ‘Merde, cela risquera d’impacter les deux, la politique et mon métier.’ » Elle dit pourtant ne garder aucune rancune envers Gilles Roth et Martine Hansen qui l’avaient exposée au risque pénal. « « Je leur ai dit ce que j’avais à leur dire. An dann maache mir den Deckel drop a weider. » Toute cette affaire, conclut-elle, aurait finalement résulté d’une mauvaise communication...

Cela fait quinze ans qu’Elisabeth Margue est membre du CSV. Élue présidente du CSJ en 2016, conseillère communale de la Ville de Luxembourg en 2017 et présidente du CSV en 2022, elle a donné des dizaines d’interviews. À part des appels réguliers au « renouveau », c’est-à-dire des places de liste pour les jeunes loups et louves du CSV, elle a évité de se démarquer du mainstream chrétien-social. Jusqu’ici, Margue a choisi un registre hyper-générique : « Wirtschaftswachstum ist wichtig, aber nicht um jeden Preis » ; « Fortschritt durch Evolution, und eben nicht durch Revolution »; « die CSV ist eine Wertepartei »… Un conformisme inculqué aux jeunes du CSV, qui sont priés d’attendre leur tour. Il faut remonter à septembre 2008 pour trouver une brèche dans la façade. Âgée de 18 ans, Margue se fait alors interviewer par Le Quotidien. La lycéenne profite de l’occasion pour critiquer la politique d’éducation de Mady Delvaux-Stehres : « J’ai l’impression que la paresse est récompensée ». Il serait devenu trop facile de compenser les notes insuffisantes, ce qui ferait perdre de la valeur au bac.

La prudence explique que Margue soit restée une inconnue politique. Le retrait, bien tardif, de la vétéran Reding ne lui laissera que douze mois pour se profiler. Face aux bonzes du parti, ce ne sera pas chose aisée. D’autant plus que la vieille garde du CSV a passé les derniers mois à se présenter comme champion de la « classe moyenne », de son lifestyle carboné et de sa rente locative. Le 10 mars, le CSV s’indignait de la hausse des prix à la pompe et du « Stau vor den Tankstellen ». Dans un communiqué, la fraction reprenait le wording exact de son chef de file Gilles Roth : « Die Bürger benötigen derzeit weder Geopolitik noch Belehrungen. Sie benötigen alltagstaugliche Realpolitik. » Ce jour-là, alors que les chars russes étaient à une quinzaine de kilomètres de Kiev, le CSV avait atteint le degré zéro de la politique.

Alors que les boomers du CSV adorent s’acharner sur Déi Gréng et leur « Verbotspolitik idéologique », Elisabeth Margue tente de formuler une critique plus nuancée. « Sie stinn sech héiansdo selwer am Wee », dit-elle à propos des Verts. Ils n’auraient qu’à être « un peu plus pragmatiques ». Et de faire une ouverture : « Je pense que les Verts pourront avancer plus avec un CSV qu’avec d’autres partenaires de coalition. Ce message doit passer, mais il ne passe pas ». Avec Serge Wilmes et Paul Galles, Margue fait partie d’une génération de Stater chrétiens-sociaux pour qui la question climatique – ou du moins un lifestyle bio – sont des identifiants sociaux, et une opportunité électorale.

Les tweets d’un Laurent Mosar, se réjouissant en pleine canicule d’un « angenehme Summer », seraient « malheureux et contre-productifs… disons-le comme ça », dit Margue. Ils seraient d’autant plus regrettables que, « sur le fond », un Laurent Mosar et un Paul Galles seraient « net ëmmer sou oneens ». Même si le parti devrait veiller à ce que les messages des uns et des autres soient mieux calibrés. La pagaille programmatique, Elisabeth Margue l’enveloppe de slogans : Le CSV représenterait « de mëttelste Wee » ; la politique serait une affaire de « compromis » ; à chacun de « mettre de l’eau dans son vin ». Bref, ce serait « een Challenge fir béides ënnert een Hutt ze kréien ».

Coupé du pouvoir, un parti de gouvernement a tendance à se désagréger. En témoigne la laborieuse recherche du prochain Spëtzekandidat du CSV. (Le désespoir est tel que le nom de Luc Frieden, qui a pourtant formellement exclu de se représenter, continue à circuler dans les coulisses.) Gilles Roth devra d’abord s’imposer dans la circonscription Sud contre un Marc Spautz qui, dit-on, ne le porterait pas dans son cœur. Quant à Martine Hansen, elle est jugée trop country par les bourgeois. Reste Claude Wiseler, l’homme qui a foiré le come-back de 2018. Il pourrait être renvoyé au casse-pipe. Au bout de dix ans d’opposition, le CSV n’a toujours pas réussi à se renouveler.

Elisabeth Margue admet qu’aucun candidat ne s’impose comme « choix naturel » : « Et gëtt keen, wou ee géif soen : Dat do ass et ! Déi eng soen : deen op kee Fall ; déi aner : deen do onbedéngt. Dat gëtt keen einfache Match. » Le parti n’a pas encore décidé quand il arrêtera définitivement ses listes pour l’élection législative. Ne vaudrait-il pas mieux attendre les résultats des communales en juin ? « Wann lo een der total laanscht d’Bake kritt, stellt sech d’Fro, ob een deen dräi Méint drop nach emol mat hëlt. Dat wär e bëssi penibel… » .

Bernard Thomas
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