Stil

Un peu de confort

d'Lëtzebuerger Land vom 21.10.2022

Il est venu le temps des feuilles mortes, des matinées embrumées, du froid et de l’humidité. Il est venu le temps de préparer son hibernation en préparation d’un hiver incertain. L’automne est bel et bien arrivé au grand-duché, accompagné de cette légère dépression propre à l’entrée dans la saison froide et obscure. Quoi de mieux pour accompagner ce tournant que de se jeter à corps perdu dans le soutien d’une nourriture qui nous réconforte, nous rappelle des moments heureux, il est temps de se plonger (à petites doses) dans ce que l’on appelle « comfort food ».

Si le terme est connu quasiment de tous, il est intéressant de revenir sur ce concept aussi flou qu’individuel, et sur les effets que ces aliments doudou peuvent avoir. Évidemment le concept est né dans le monde d’après-guerre et est entré dans le vocabulaire anglo-saxon en 1966 dans un article du journal américain Palm Beach Post qui traitait de l’obésité en exposant que les adultes en situation de stress émotionnel sévère ont tendance à se tourner vers ce que l’on peut appeler « comfort food », des aliments le plus souvent associés à la sécurité de l’enfance.

Fait étonnant, c’est une jeune Liza Minelli qui va démocratiser le terme en 1970 lors d’une interview durant laquelle elle va évoquer le hamburger comme son aliment réconfortant, dont elle rêve parfois en plein jour. Avant cette annonce de la jeune actrice, la nourriture réconfortante était le plus souvent réservée aux enfants, aux personnes malades ou âgées, même si tout le monde en consommait secrètement. Depuis cette annonce décomplexée, le terme est entré dans le vocabulaire courant et cette pratique n’est plus considérée comme secrète, individuelle ou honteuse. C’est une Amérique en proie avec les démons de la fin de la guerre du Vietnam qui s’est laissé tenter sans mal par un peu de réconfort. Les années 1970 et 1980 ont ainsi sonné l’heure de gloire de la « comfort food », au moins du côté des États-Unis, qui ont vu tout d’abord se multiplier les livres de cuisine sur le sujet, mais aussi des restaurants spécialisés dans ce domaine. Les cantines des entreprises s’y sont mises aussi, proposant ce type d’alimentation à ces salariés.

Ce confort aura cependant été de courte durée. Les années 1990 et les dictats des régimes, de la maigreur et de l’alimentation saine, ont vite remis au banc des accusés ces aliments le plus souvent riches en gras et/ou en sucre. Ils sont devenus ce que l’on a appelé : les plaisirs coupables ou les péchés mignons, introduisant la faute dans le plaisir procuré. Bouillon de poule, hamburger, chocolat, crème glacée, frites, pot au feu, bacon, pâtes au beurre, sardines en boîte, raclette, chocolat chaud, fromage, il y a autant de plats et d’aliments réconfortants que de personnes, ceux-là étant intimement liés à la culture, l’éducation, l’expérience de vie. Il y a tout de même un point commun dans la plupart de ces plats : la richesse calorique. Je ne dis pas que certains ne trouvent pas de réconfort dans une bonne soupe de légumes maison ou un plateau de fruits de mer, mais quelles que soient les raisons, les moyens sont souvent riches en gras, en sucre, en glucides.

Il aura donc fallu attendre la pandémie et ses confinements successifs pour ressortir du placard cette pratique de réconfort par l’alimentation, ou tout au moins libérer de nouveau cette pratique comme un phénomène universel (à consommer avec modération, évidemment). Mais finalement, comment ça marche et surtout pourquoi ça marche ? C’est un phénomène très simple, tous les psychologues spécialistes de la question s’accordent pour dire que manger des aliments riches en matières grasses, en sucre ou en sel active instantanément le système de récompense du cerveau. L’exemple le plus connu est le chocolat qui a un impact très fort sur l’humeur, procurant instantanément un sentiment agréable et réduisant tout aussi rapidement les tensions ou le stress, comme peuvent le faire certaines drogues ou certains anxiolytiques. La nourriture est aussi fortement liée à des émotions vécues au cours de sa vie ou au sentiment d’appartenance à un groupe que l’on cherche à revivre.

Et puis, par les temps qui courent, on a parfois simplement besoin de se réfugier, le temps d’un moment, dans ce doux sentiment de sécurité que nous procurent ces petits plaisirs culinaires. Pour affronter l’inquiétude, l’incertitude, le manque de lumière, le froid, l’humidité, trouvons un peu de consolation dans ces véritables « madeleines de Proust » gustatives, et ça tombe bien, c’est la saison des marrons chauds...

Mylène Carrière
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