Les récentes annonces de Luc Frieden ont soudé les syndicats à la tête, comme à la base. Illustration lors du cortège de voitures organisé lundi par la section Industrie de l’OGBL

Mobilisation générale

Photo: Gilles Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 23.05.2025

Lundi dans le Minett, mercredi dans l’Est, jeudi dans le nord : une bonne douzaine de voitures portant les couleurs de l’OGBL ont sillonné les zones industrielles du pays cette semaine. Leur but : mobiliser en vue de la manifestation du 28 juin. Lundi, le départ était prévu à 9 h, mais sur le parking du Leclerc de Foetz, elles étaient toutes là dès 8 h 30. Le véhicule de tête tirait une remorque où, sous les drapeaux du syndicat flottant au vent, le Premier ministre était caricaturé appuyant sur un bouton rouge sur lequel était inscrit « Réformes ». Derrière l’attelage, les autres voitures arboraient les fanions du syndicat coincés dans les vitres et les portières. Depuis la camionnette aux couleurs du syndicat, la sirène du mégaphone interpellaient passants et travailleurs. Juste avant de quitter le point de rassemblement, les règles de sécurité étaient rappelées une dernière fois : « La police n’a pas été prévenue donc, surtout, on respecte le Code de la route. Et, quand on s’arrête, on se gare sur le côté pour ne pas bloquer la circulation. »

Si le logo de la LCGB est bien présent sur la banderole, seuls des membres de l’OGBL sont sur place. « Nous leur avons proposé de se joindre à nous, mais ils sont occupés avec leurs propres actions, relativise Milena Steinmetzer, secrétaire centrale du syndicat Industrie. Il n’y a vraiment aucun problème, les contacts sont très étroits. Chacun se concentre sur ses forces et c’est très bien comme ça. » D’autres actions à venir, par exemple chez CFL-Multimodal, seront réalisées ensemble. Lundi, les tracts distribués étaient ceux du front syndical. Faute de temps, ils n’ont pas été revus depuis le discours sur l’état de la nation. L’âge de la retraite devient le cheval de bataille principal. Il précède désormais la question du travail dominical, qui concerne peu de salariés, et la défense des conventions collectives, un sujet très technique.

Chaotique et bon enfant

Le parcours a été tracé pour passer devant un maximum d’entreprises. « Nous voulons que notre passage aide les délégués à communiquer sur la manifestation », souligne Milena Steinmetzer. Parfois, devant les entrées des bâtiments, les syndicalistes descendent à la hâte pour écrire par terre le mot d’ordre à l’aide de craies rouges et vertes : « 28/06, tous unis ». À Ehlerange, le chauffagiste Michel Reckinger, également président de l’UEL, goûte peu l’initiative et sort furibard de son entreprise. Dès le message inscrit sur le bitume, le cortège repart. La secrétaire centrale hausse les épaules, « Ce n’est que de la craie. »

Dans la zone d’activité Gadderscheier, à Soleuvre, le convoi s’arrête devant Kronospan. Le temps d’attendre quelques minutes les délégués syndicaux, le site est bloqué. Les camions ne peuvent plus entrer ni sortir. L’ambiance est chaotique, mais bon enfant. Personne ne râle, les chauffeurs de poids lourds observent, laissent faire et patientent sans rien dire. À Niederkorn, des piétons saluent le convoi le poing levé. Plus loin, un camionneur klaxonne et encourage la caravane.

Un peu avant midi, c’est sur le parking du Cactus de Bascharage qu’a lieu le ravitaillement. Les sandwiches ont été commandés et des syndicalistes vont les récupérer à la boucherie. En revenant les bras chargés, Milena Steinmetzer raconte qu’elle vient d’être interpellée par trois retraités : « Ils nous ont dit qu’ils avaient déjà manifesté en 1973 et qu’ils seraient aussi là le 28 juin. Ce sont des discussions qui font plaisir ! » À l’époque, les revendications portées par le syndicat ouvrier LAV avaient rassemblé entre 25 000 et 40 000 personnes dans les rues de Luxembourg, déstabilisant la coalition Werner (CSV) - Schaus (DP) II. L’année suivante, les élections mettront pour la première fois les chrétiens-sociaux sur le banc de l’opposition.

Finalement, le cortège s’achève devant les grilles de Guardian, dans la zone industrielle Bommelscheier de Bascharage, où les tracts sont distribués aux employés qui changent de poste. Alors que c’était un peu la course dans la matinée, tout le monde a désormais le temps de discuter, de partager ses expériences.

La retraite, mauvais souvenir pour les Français

Abdoulaye Djabi est venu en voisin. Il est responsable « sécurité et environnement » de l’entreprise italienne Tontarelli, qui fabrique des produits ménagers et du mobilier en plastique. Le délégué de l’OGBL a remarqué que le discours sur l’état de la nation a secoué un certain nombre d’employés. « Beaucoup sont des frontaliers qui vivent en France et, normalement, ils ne sont pas très intéressés par le syndicalisme, sourit-il. Mais ces derniers jours, plusieurs m’ont dit qu’ils venaient de vivre une réforme des retraites très brutale chez eux et qu’ils ne voulaient pas subir ça ici aussi. Avec la victoire obtenue sur l’index, je leur ai expliqué qu’il était utile de lutter, que les syndicats servaient à quelque chose. Dans mon entreprise, le taux de syndicalisation est déjà élevé et il va grandir. Ces derniers jours, plusieurs collègues français ont promis de nous rejoindre. »

Dans des sociétés où l’OGBL et le LCGB sont représentés tous les deux, l’atmosphère s’est parfois complètement transformée. « Lors de la campagne pour les élections sociales l’année dernière, il y a eu parfois des tensions, mais là, tout est oublié ! » apprécie Antonio Veneziani, qui travaille depuis 27 ans chez Goodyear à Colmar-Berg. Presque un comble dans une entreprise où la rivalité entre rouges et verts a parfois été très dure. « Avant, c’était assez extrême », glisse le délégué, également membre exécutif du syndicat Industrie. « Maintenant, on discute ensemble tous les jours, on est content de collaborer pour distribuer les tracts à l’entrée de l’usine… ça n’a plus rien à voir. Même les RH sont ravies de voir que l’on s’entend aussi bien ! »

Sur le terrain, les efforts semblent porter leurs fruits. « En ce moment, nous embauchons entre 20 et 25 personnes par mois, dont beaucoup de jeunes. Quand on leur explique qu’ils vont devoir travailler plus longtemps, ça ne leur plait pas, commente Antonio Veneziani. Et puis, il y a beaucoup de métiers difficiles ici. Près des mélangeurs ou des presses, il fait très chaud et les efforts physiques sont réels. Je vous assure que les gars qui travaillent-là n’ont pas envie d’y rester jusqu’à 65 ans. »

Ensemble, les délégués des deux syndicats essaient de convaincre. « Il faut être présent sans relâche pour répondre aux questions, mais on sent que ça prend. » Selon le syndicaliste, plus de 150 personnes ont déjà signé leur participation à la manifestation. « En ce moment, nous sommes en train de concentrer nos efforts sur ceux qui seront en pause le 28. Ceux qui seront en poste ne pourront pas venir, parce que l’on ne peut pas arrêter la chaîne de production comme ça. »

Au-delà du 28 juin

Un des enseignements de ce road trip au cœur de ce Minett industriel est que la bonne entente que l’on observe depuis des mois à la tête de l’OGBL et du LCGB semble s’être propagée jusqu’à la base. « Ce que veut nous imposer Luc Frieden est un changement de paradigme complet, relève la secrétaire générale de l’OGBL Nora Back. Avec son idéologie néolibérale, il veut en finir avec le modèle luxembourgeois basé sur les compromis obtenus lors de tripartites. Si lui veut changer de système, alors nous aussi, nous allons nous adapter. Nous repensons notre façon de travailler pour être plus agressifs. La première conséquence est la création de ce front syndical jamais vu dans le syndicalisme luxembourgeois. »

Patrick Dury, son homologue du LCGB, tient le même discours : « Il y a un gros souci avec ce qui vient d’être annoncé sur les retraites. Nous sommes en profond désaccord : J’ai l’impression que le Premier ministre décide tout seul et prend les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. » L’alliance avec l’OGBL semble donc partie pour durer. Jusqu’à transformer le front syndical en syndicat unitaire, hantise de Luc Frieden? Patrick Dury ne va pas encore jusque-là, mais il loue la qualité de la nouvelle alliance : « Je connais Nora Back depuis 2019 et j’ai une très grande relation de confiance avec elle. Nous sommes sur la même longueur d’onde. Luc Frieden nous impose un défi comme nous n’en avons jamais connu depuis la crise de la sidérurgie. Il faut être unis pour défendre la paix sociale, c’est indispensable. Je ne parle pas d’un choix, mais d’une obligation. »

D’autant que le Premier ministre est désormais aux abonnés absents avec le corps syndical. « Nous attendons toujours la réponse d’un courrier envoyé il y a trois semaines », regrette Romain Wolff. Luc Frieden n’a pas donné signe de vie à l’OGBL et au LCGB depuis une réunion avec l’UEL, le 8 mai. Aucun résultat tangible n’en était sorti.

Le front syndical pourrait encore s’élargir. Romain Wolff, secrétaire général de la CGFP, tient un discours très dur contre la méthode et les objectifs portés par le gouvernement. « On nous dit qu’il y a eu des négociations à propos des retraites, mais c’est faux. Chacun a déclamé sa vérité autour de la table, sauf la ministre en charge qui n’a rien dit (ndlr : Martine Deprez) à part " bonjour ", " merci " et " au revoir ". Et maintenant Luc Frieden nous explique que la décision est prise alors que tout le monde pensait qu’on en discuterait ensemble jusqu’à la fin de l’année… c’est incompréhensible ! » Pourtant, malgré des paroles et un ton véhément, le patron du syndicat de la fonction publique n’a toujours pas annoncé s’il rejoignait les deux syndicats nationaux. « Il faut encore que nous en discutions », fait-il savoir. Les retraites, qui concernent le secteur public comme le secteur privé, modifient considérablement la situation.
Son discours, en tout cas, ressemble plus à celui d’un allié qu’à celui d’un opposant. Une entrevue est prévue ce vendredi, peut-être clarifiera-t-il alors sa position. La participation de la CGFP, avec son poids électoral, mettrait un coup de pression supplémentaire au gouvernement. Sera-t-elle suffisante pour atteindre les 10 à 15 000 manifestants, l’objectif très ambitieux annoncé par le secrétaire général de la LCGB Francis Lomel ? Ce qui semblait improbable il y a quinze jours le semble aujourd’hui nettement moins. Les syndicats, qui ne s’attendaient pas à cela, reconnaissent que Luc Frieden vient de leur donner un sacré coup de pouce.

Erwan Nonet
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