Services électroniques et TVA

Impraticable ?

d'Lëtzebuerger Land du 06.12.2007

Le Premier ministre n’a pas fait son fanfaron mercredi à la Chambre des députés lorsqu’il dut expliquer la capitulation des Luxembourgeois face à ses 26 partenaires européens sur le principe du paiement de la TVA dans le pays d’établissement du prestataire de services électroniques, de télécommunication et de radiotélévision. Pour autant, parler de Bérézina, comme se plait à lefaire une partie de la presse européenne, paraît bien exagéré, toutcomme il est prématuré de condamner d’avance le Luxembourg comme lieu de prédilection des prestataires de services électroniques.

Certes, les nouvelles règles définies mardi par les 27, pour peu qu’elles soient applicables – ce qui n’est pas certain au stade actuel – , feront rentrer moins d’argent dans les caisses publiques1 à partir de 2015, du fait que les autorités auront à en rétrocéder dans un premier temps (2015/2016) un peu plus de deux tiers pour n’en conserver que 30 pour cent. Puis entre 2017/2018 la part du pays du prestataire fondra à 15 pour cent, pour être réduite à zéro à partir de 2019, le principe étant qu’à partir de cette date, la taxe sera intégralement perçuedans le pays de résidence duclient, ce qui n’est pas nécessairement le pays de consommation.

« La mise en oeuvre des nouvelles règles sera très compliquée », reconnaît dans un entretien au Land Anne Murrath, associée de PricewaterhouseCoopers. Comme il a été conçu, le modèle prévoit qu’un opérateur e-business appliquera à ses clients européens presque autant de taux qu’il y a d’États membres2. L’Europe avec de telles règles, peinera sans doute à attirer sur son territoire des entreprises américaines par exemple, qui sont déjà soumises au système de TVA du pays de résidence du client, lorsqu’elles ont faitle choix d’opérer en direct sans passer par un établissement stable sur le vieux continent. « Ce système n’est déjà pas très populaire auprès des prestataires de services électroniques », affirme Anne Murrath qui craint pour le développement de l’industrie en-ligne en Europe et redoute d’autant plus les risques de fraude et de piratage que le système pourra engendrer, sans le vouloir, dufait de sacomplexité. Sans oublier, non plus, qu’aufinal c’est le consommateur lui-même qui paiera la note. 

Fini les morceaux de musique téléchargeables à moins d’un euro lapièce, adios les prix uniques que les fournisseurs servent à travers toute l’Europe. Dans les services électroniques, la plupart des transactions se font sur de faibles montants (0,99 cents/la chanson par exemple sur iTunes). Les opérateurs y trouvent leur compte parce que les systèmes de téléchargement sont entièrementautomatisés. « Tout renchérissement des tarifs de distribution dû, par exemple, à des règles fiscales complexes comme celles induites par le modèle de taxation relative au pays de destination, réduira indubitablement l’attrait de ce vecteur de distribution et risquede pousser davantage les consommateurs vers les sites de téléchargements illégaux ». C’est le constat que dresse dans unavis qui a été transmis au gouvernement, l’OSAL, une asbl en cours de constitution qui regroupe les principaux acteurs de la branchee-business au Luxembourg. Cette création est d’ailleurs un événement en soi : jusqu’à présent, les firmes de services électroniques jouaient solo, chacune dans leur coin. Les professionnels se sont retrouvés dans l’urgence après qu’il est apparu clair que la position de la taxation sur le lieu du prestataire toujours défendue par le Luxembourg face à ses partenaires européens n’était plus tenable à long terme.

Les nouvelles règles du jeu vont obliger les fournisseurs à choisir entre deux options :maintenir un prix unique, en retenant par exemple un taux de TVAmédian – 19,3 pour cent – ou présenter des offres multiples intégrant chacune le taux de TVA spécifique au pays de consommation. Dans l’un comme dans l’autre cas, les choses restent compliquées. Elles se révèleront même cornéliennes lorsqu’ils’agira pour les prestataires d’établir le pays de destination3. Deux options sont ici envisageables pour le prestataire : demander au client de renseigner son domicile durant la transaction ou déterminer l’origine de la demande par un examen de l’adresse IP de l’internaute. Or, n’importe quel ado bien pensant est capable de manipuler son adresse IP pour en modifier l’origine. « L’achaten ligne à partir de fausses adresses IP sera largement renforcé, poussant systématiquement les consommateurs à commettre des fraudes fiscales », estime l’OSAL. Le Luxembourg numérique risque ainsi de voir sa population virtuelle, comme sur Second Life, gonfler pour profiter des prix attractifs compte tenu du faible taux de TVA. 

La Commission européenne a donc encore du travail avant de lancer sur les fonts baptismaux le principe de la taxation du pays de destination du service. En disant oui à cette proposition, les 27 ministres de l’Économie et des Finances ont en effet mandaté Bruxelles de servir un rapport avant fin 2014 sur la faisabilité du projet. 

Ça laisse donc un peu de marge aux opérateurs établis au grand-duché pour faire du lobbying et démontrer l’impraticabilité du système. En attendant, il n’est pas question de mettre la clef sous la porte. « Il s’agit de continuer à développer ce secteur par une démarche ciblée visant à attirer davantage de services en ligne »,indique Gary Kneip, vice-président de la Confédération luxembourgeoise du Commerce et actuel coordinateur d’OSAL. 

1 Entre 2003 et 2007, la taxation des services électroniquesa rapporté 900 millions d’euros à l’État luxembourgeois, selon les indications de Jean-Claude Juncker à la Chambre des députés.2 Les taux de TVA appliqués sur les services électroniques varient très sensiblement dans l’UE : 25 pour cent pour le Danemark et la Suède, 22 pourla Finlande et la Pologne, 21 pour la Belgique, l’Irlande et le Portugal, 20 pour l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, l’Italie et la Slovénie, 19,6 pour la France, 19 pour l’Allemagne, la Grèce, les Pays-Bas, la République Tchèque, la Roumanie et la Slovaquie, 18 pour l’Estonie, la Lettonie, la Lithuanie et Malte, 17,5 pour le Royaume-Uni, 16 pour l’Espagne et 15 pour Luxembourg et Chypre.3 Comme le signale l’OSAL, on doit distinguer entre pays de consommation et pays de résidence. Les Européens étant mobiles, un ressortissant d’un État membre peut très bien acheter un service du fournisseur durant un déplacement. « La déduction du pays d’origine d’une transaction par son adresse IP, ne permet que de connaître le pays de consommation et non celui de résidence », précisel’association.

Véronique Poujol
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