Concert dessiné

Post-apo sans un mot

d'Lëtzebuerger Land du 26.02.2021

Mercredi 17 février, sur les coups de vingt heures, un petit rassemblement se forme à l’entrée du Klub des Rotondes. On y retrouve quelques habitués, des trentenaires pour la plupart. Ce soir, est programmé un « concert dessiné », créé et interprété par les messins Jan Mörgenson et Nicolas Moog. Le premier est un musicien, chantre d’un son blues-folk « primitif », pour reprendre une étiquette qu’on lui accole régulièrement et qui lui sied plutôt bien. Le second, lui-même musicien, est surtout un dessinateur de bande dessinée, qui publie notamment dans la revue Fluide glacial. Ce spectacle liant musique et dessin, présenté à l’origine à la BAM (Boite à Musiques) à Metz, en août dernier, renaît donc au Grand-Duché. Son annonce a été reçue avec enthousiasme par la presse autochtone, il n’en fallait pas plus pour titiller la curiosité du public à Bonnevoie. Dans le Klub, une trentaine de sièges ont été installés à travers toute la salle. La lumière est tamisée à l’excès.

Vers le centre-droit de la pièce, Nicolas Moog est installé près de la régie, en hauteur. Il dessine, manches retroussées, sur une feuille posée sur un rétroprojecteur facétieux. Sur un grand écran, on voit, en flou, ses bras tatoués tenant un feutre et dessinant un petit personnage dont on va suivre les pérégrinations une heure durant, à travers dix vignettes pour une douzaine de morceaux instrumentaux. L’auteur de ces lignes, myope et installé au fond de la salle, va devoir plisser les yeux tout du long pour y voir plus clair. Sur la scène, Jan Mörgenson, armée d’une lap steel guitar, s’en va-t-en guerre. En guerre contre ses démons, du moins peut-on le penser tant il semble habité par sa musique des plaines, difficilement transcriptible par des mots. En guerre contre la situation actuelle, en sous-texte de la performance. Le petit personnage, aux traits simplistes, évolue seul ou presque, dans un monde où la nature semble avoir repris ses droits, mais dont la trace d’une catastrophe, apparemment chimique, se devine par la présence de barils contenant un liquide d’un vert fluo des plus inquiétants.

Le héros de ce conte post-apo, à la narration plus que classique et prévisible, cueille une pomme, pêche au milieu d’une hécatombe de poissons empoisonnés et chasse un cerf à l’arc. Le dépeçage de l’animal pousse Nicolas Moog vers une folie maîtrisée caractérisée par des gribouillis rouges frénétiques. Les crépitements secs du guitariste renforcent l’aspect sanglant de la scène. S’ensuit un tableau qui prend aux tripes, où le héros pleure la disparition de son chien, unique compagnon de route, empoisonné lui aussi par la substance nocive. Les vignettes, évolutives laissent place à diverses interprétations. Ainsi, les optimistes tout comme les cyniques trouvent un écho à leurs propres sensibilités. Bien qu’universelle, cette fable semble s’ancrer dans une Amérique stylisée (on pense notamment à cette atmosphère singulière de certains films des frères Coen) et fantasmée par le duo. On apprend dans la notice biographique de Nicolas Moog sur le site de Casterman, l’éditeur de référence en matière de BD, que durant son temps libre, le dessinateur « lustre son banjo et boit des tequilas à Tucson, Arizona ». On comprend mieux cet attrait du duo pour une musique folklorique, parfois sèche mais pas âpre pour un sou. Le concept n’a rien de novateur certes, mais l’expérience vaut le coup d’être vécue.

Kévin Kroczek
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