Pour le profane, la natation synchronisée évoque un ballet de naïades évoluant avec grâce dans l’élément aquatique. Assister à une séance d’entraînement avec les nageuses du Swimming Luxembourg révèle une réalité un peu différente : l’élégance et l’esthétisme sont bien là, mais ces filles sont aussi d’impressionnantes athlètes. À la piscine du Campus Geesseknäppchen à Luxembourg, elles effectuent plusieurs fois par semaine des séances de trois heures qui commencent par des assouplissements « au sec », puis une heure de longueurs et d’apnée avant de travailler la chorégraphie. Plusieurs nageuses portent des poids d’entraînement aux pieds. Un haut-parleur placé sous l’eau diffuse la musique, tandis que des casques audio spéciaux permettent d’entendre les consignes de Kateryna et Yelyzaveta Podgurska, les deux coaches professionnelles ukrainiennes embauchées depuis un an et demi. « Leur présence permet de monter le niveau du club, avant on fonctionnait uniquement avec des coaches amateurs » explique Sonja Tholl, entraîneuse bénévole depuis dix ans.
En natation artistique (terme qui remplace depuis 2017 celui de natation synchronisée), l’exigence est partout : physique, artistique et technique. Il s’agit d’apprendre les figures imposées mais aussi de créer des mouvements originaux, à exécuter sans jamais toucher le fond du bassin. La puissance dans les jambes et la stabilité dans le haut du corps sont indispensables, notamment pour les figures acrobatiques comme les portés. Les blessures sont fréquentes, aux genoux, aux épaules, aux lombaires... sans oublier les coups de pieds accidentels des voisines. « Il faut que les nageuses soient très proches les unes des autres, c’est un critère d’excellence pour les juges, précise Sonja. Sous l’eau on ne voit rien, on doit avoir confiance en son équipe et fonctionner à l’instinct, c’est pour cela que l’on répète énormément ».
Le Swimming Luxembourg est, avec le CNDU de Dudelange, un des deux clubs à disposer d’une section natation artistique au Grand-Duché. On y débute dès huit ans, jusqu’à la section Masters qui désigne les plus de vingt ans. Parmi les adolescentes présentes ce mercredi soir, Julia Valentina et Louise travaillent leur duo « french cancan »... et leurs abdos. « On s’entraîne parfois avant les cours, on y consacre presque tout notre temps libre » glissent-elles avant de replonger dans le bassin. Bianca apprécie l’esprit d’équipe et l’aspect très complet de la discipline. Selon la jeune fille, « les gens ne se rendent pas compte de la difficulté », ce que confirme la coach Soïzic Hoscheit : « Les costumes, le maquillage, les coiffures font que le public peut trouver cela joli sans connaître les efforts qu’implique ce sport... Si ça a l’air facile, c’est qu’on a bien travaillé ! ». Même au sein du monde de la natation, la pratique est plutôt déconsidérée, mais les choses évoluent doucement. Des nageurs de vitesse venus participer à des entraînements collectifs se disent « impressionnés » ; y compris les garçons.
La natation artistique ne s’est ouverte que récemment aux hommes, lors des Championnats du monde à Kazan en 2015, avec une épreuve de duo mixte. Ce qui a inspiré au nageur russe Yevgeniy Korotychkin la remarque suivante : « je risque de pleurer en voyant des jambes poilues émerger de la piscine ». Une réflexion dont le sexisme n’étonne pas Sonja, qui préfère réagir avec humour : « On ne se rase pas la semaine précédant une compétition, car les poils nous aident à connaître notre position sous l’eau ». Au Swimming Luxembourg, quelques garçons s’y sont essayés mais n’ont pas accroché. Les coaches continuent d’encourager la mixité, qui permettrait « de jouer sur des forces et des caractères différents, de raconter d’autres histoires ». Autre signe d’évolution des mentalités, la diversité des corps : fini les nageuses petites, fines et à la peau claire, une uniformité longtemps valorisée car considérée comme harmonieuse.
Pour le club luxembourgeois, les prochaines semaines seront chargées, avec les qualifications pour les Jeux des Petits États d’Europe, en Suisse, ainsi que la SL Synchro Cup à la piscine du Campus Geesseknäppchen. Sept nations, 21 clubs et 250 nageuses pour la compétition « maison » qui se tiendra pour la première fois sur deux week-ends. Une belle occasion de découvrir un sport entre spectacle et performance.