Films made in Luxembourg

Don Camillo et les Demi-sel

d'Lëtzebuerger Land vom 08.11.2013

Andy Bausch réalise des films. Beaucoup de films, il en vit, donc il enchaîne, au rythme de plusieurs œuvres par an désormais, longs-métrages de fiction, clips publicitaires (comme celui contre la consommation de cannabis pour la Police grand-ducale) et documentaires historico-divertissants sur le Luxembourg et ses héros populaires. Le modèle pour ces documentaires est toujours le même : un mélange entre entretiens avec des témoins d’époque, images d’archives et reconstitution d’une ambiance spécifique rejouée avec des acteurs d’aujourd’hui. Il « fait du Bausch », c’est sa patte, parfois ça marche moins bien, comme pour le très chiant d’Belle Époque (PTD, 2012), parfois mieux, comme pour d’Fifties zu Lëtzebuerg (PTD & Juliette Films), actuellement en salles.

Il est vrai que le travail de défrichage et de recherche surtout était beaucoup plus facile pour l’époque de l’après-guerre que pour celle du tournant entre le XIXe et le XXe siècle. Beaucoup de témoins des années cinquante vivent encore – même si deux des interviewés, le cycliste Bim Diederich et le journaliste et éditeur Nic Weber, sont morts depuis le tournage. Et grâce aux archives de la CLT / RTL, qui a commencé à diffuser ses programmes télévisés à cette époque-là, mais aussi aux archives privées gardées au Centre national de l’audiovisuel, le réalisateur avait à sa disposition un stock d’images animées, de photos et de documents beaucoup plus riche, dans lequel il pouvait puiser à sa guise. Mais il demeure que la narration d’un documentaire, a fortiori historique, est toujours tributaire des images disponibles. Ce qui peut expliquer la prépondérance de certains sujets – l’église catholique, ses processions, ses cérémonies religieuses, ou encore le sport et les divertissements (Andy Bausch a déniché de magnifiques images du balbutiement de la culture rock’n roll au Luxembourg...)

D’Fifties raconte un pays qui, au sortir de la guerre, et alors que les horreurs et les trahisons des années d’occupation sont encore présentes dans toutes les têtes, essaie de se reconstruire et de trouver sa modernité. Dominé par l’église catholique, qui dicte sa morale lors des messes dominicales, le pays assiste, enthousiaste, au mariage du prince Jean avec une princesse belge et encourage ses cyclistes, acrobates ou footballeurs, commence à acheter des voitures et à partir en vacances. La guerre froide fait rage, les jeunes hommes s’engagent dans l’armée nouvellement créée, puis trouvent un emploi dans la sidérurgie, alors que leurs femmes restent au foyer, nouvellement équipé en électroménager dernier cri venu des États-Unis. Les temps sont toujours à la bigoterie et à la dominance masculine – d’ailleurs, il n’y a que trois femmes parmi les talking heads. Ce Luxembourg est un pays protectionniste, qui n’aime pas tellement les étrangers arrivant avec la Ceca et jouant mieux au foot qu’eux – comme si, en soixante ans, rien n’avait vraiment changé.

En un peu plus d’une heure, on se réjouit de voir Lex Roth qui fume allègrement en donnant son interview ; le public, venu en famille, éclate de rire à entendre les insultes provocatrices de Gaston Vogel, jeune étudiant rebelle à l’époque ; on est ému à revoir Nic Weber si fatigué, peu avant sa mort ; on s’amuse avec Fernand Fox, Luke Haas ou Josée Jaminet (ancienne reine de beauté) ou l’équilibriste Roger Quaino. Le film, grâce à son montage très rapide (par Misch Bervard et Andy Bausch lui-même), à sa musique entraînante composée par Pascal Schumacher et au grand nombre de sujets abordés par une variété d’intervenants est certes divertissant. Mais il manque aussi d’angle clair et de profondeur. On apprend à peine qu’il y a un gouvernement – au détour d’un témoignage seulement, Joseph Bech fait une brève apparition, dans l’histoire de la fondation de l’Union européenne –, un peu comme si l’époque avait happé le pays, comme si personne n’y décidait quoi que ce soit.

Peu à peu, les documentaristes luxembourgeois font le tour du XXe siècle, grâce aux archives du CNA surtout. Mais après le Little Big One de Pascal Becker (CNA / RTL, 1999), ce Fifties, à part la parole de témoins, n’apporte pas vraiment de nouvelle analyse sur cette époque. Andy Bausch aime les pionniers, les self-made-men, surtout du domaine du showbizz. Ce sont eux les véritables héros de d’Fifties. Mais un de ces jours, il faudra que le cinéma luxembourgeois ose aborder notre époque et ses failles, un vaste champ qu’il reste à labourer.

josée hansen
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