Tulle me fait tourner la tête

d'Lëtzebuerger Land vom 11.11.2022

On y rentre avec des rêves, on en repart avec une robe. Mais pas n’importe quelle robe. Celle de son mariage. Et, depuis 2019, la magie a opéré sur toutes les femmes qui ont franchi les portes de l’atelier de Céline Bijleveld à Eschdorf. Car c’est à d’abord à cette créatrice que les futures mariées disent « oui ». « Mais au final, ce n’est pas la robe qui va rendre une mariée jolie. C’est plutôt son bonheur de se sentir belle et à l’aise dans sa tenue qui la fera rayonner. »

À l’atelier Melucéline, la fée des aiguilles n’a pas son pareil pour unir le beau et le bien. Avec d’un côté la grâce de ses patrons, la finesse de ses coupes, le sens du détail dans un pli, une broderie, une dentelle ; et de l’autre, un soin apporté aux matières travaillées. « Dans la mesure du possible, je veille à ne retenir que les soies, cotons, viscoses les plus éco-responsables (bio, fairtrade, labelisés Gots, etc). » Une démarche qui la pousse à ne retenir que des fournisseurs européens, « plus respectueux de ses critères sociaux et environnementaux », ou des artisans « au savoir-faire qui pourrait se perdre ». La styliste veille aussi à glisser à l’oreille de ses clientes qu’une robe – même de mariage – n’est pas forcément la tenue d’une seule journée. « Si elles partagent cet avis, on va travailler sur des pièces qui permettront de porter à nouveau le bustier, la jupe, le tailleur, quitte à retravailler un peu le modèle quelques semaines après la cérémonie ». Une vision durable de son travail que la professionnelle oppose « à la tristesse de voir une robe mourir d’ennui dans une housse pour le restant des jours ». Une maille d’upcycling, une maille de sagesse.

Reste que c’est bien la cliente qui guide toujours le travail, « disons que c’est une œuvre participative. Si elles ont choisi de confier leur robe à une créatrice, c’est bien pour avoir quelque chose d’unique, qui fera écho à leur personnalité et sans à se plier à des concessions. » Rien à voir donc avec une visite en magasin où des dizaines de tenues pendent sur cintres, sans guère de possibilités de les personnaliser, y glisser un peu de soi, de son parcours, de ses sentiments. « Là, c’est du sur-mesure. Pas seulement adaptée à la morphologie de la personne mais surtout à sa personnalité. » Une adaptation qui prend parfois des détours inédits. À l’exemple de cette découpe au laser qui permet à Céline Bijleveld de fleurir un chemisier ou le percer de notes de musiques symbolisant LA chanson qui compte pour les amoureux prêts à s’unir. Il faut donc écouter, échanger, avancer, reculer et rassurer surtout, pour que le miroir de l’atelier ne reflète soudainement pas une « bridezilla » en panique. « Les fiancées se mettent parfois beaucoup trop de pression, à moi de jouer la force tranquille. Une partie du métier qui s’apprend avec le temps », souffle la jeune femme.

Céline, elle, a appris la science du fronçage, des teintures, des volants, des traînes, point à point. D’abord en obtenant un diplôme en stylisme dans la capitale de la mode, Paris. Des études menées en parallèle avec un apprentissage dans diverses maisons qui lui ont transmis l’exigence de la Haute-Couture autant que le goût des belles étoffes. Un brevet de maîtrise en couture obtenu au Grand-Duché suivra, tout comme des cours auprès de l’école Müller und Sohn à Düsseldorf. « Et avant de me lancer, j’ai encore passé deux années au service d’un atelier de couture luxembourgeois. » Un parcours de formation cousu de fil blanc qui lui a permis d’asseoir sa dextérité, sa connaissance des textiles et l’art de les assembler, leur donner forme avant qu’ils ne prennent vie sur le corps de ses clientes. « Ce qui me définit ? C’est plus la ligne que le volume. La sobriété plus que l’extravagance. L’âme plus que le paraître », définit la créatrice de sa voix douce.

D’ailleurs, pas besoin d’élever le volume pour faire connaître Melucéline, du bouche-à-oreilles suffit. « C’est vrai que les mariées sont mes meilleures ambassadrices. En rapportant mes croquis auprès de leurs ami(e)s, en discutant de leur expérience des essayages... » Mais surtout en confiant l’unique alliance qui se noue dans l’intimité de la cabine d’Eschdorf, « car il faut forcément que le courant passe quand on veut transformer des mots en une robe unique ».

Patrick Jacquemot
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