RTL et Télévision sans Frontières

The Good Shepherd

d'Lëtzebuerger Land vom 22.02.2007

C’est l’histoire d’une parenthèse qui se referme. Au Luxembourg comme en Europe. Et Jean-Louis Schiltz (CSV), le ministre luxembourgeois des Communications, triomphe, parce qu’il estime qu’il s’est battu comme un lion pour défendre les intérêts du grand-duché en Europe, notamment pour pérenniser et pouvoir développer l’historique site médiatique du pays. Et tout semble s’être débloqué comme par miracle la semaine dernière : lundi 12 février, les ministres des médias européens, réunis sous présidence allemande dans le cadre de la Berlinale, ont trouvé un accord sur la réforme de la directive Télévision sans frontières – notamment sur le principe du pays d’origine, qui intéressa plus particulièrement le ministre Schiltz –, et trois jours plus tard, jeudi 15, le gouvernement luxembourgeois signa, avec RTL Group et Bertelsmann AG, un nouveau contrat de concessions pour les fréquences luxembourgeoises du groupe, presque trois ans avant l’échéance de l’ancien contrat de 1995. Il y a des hasards qui n’en sont pas vraiment.

Car les deux événements sont intimement liés, depuis les années 1930, la politique médiatique du grand-duché a toujours avant tout été une politique en faveur de la Compagnie luxembourgeoise de radio- et télédiffusion.

Toujours, jusqu’à la fin du XXe siècle, quand, alors que le succèsdes satellites de la SES semblait rendre les fréquences terrestres superfétatoires à moyen terme, que tous les pays voisins dérégulaient leurs paysages médiatiques et accueillaient volontiers des acteurs privés comme les chaînes RTL chez eux et que le Luxembourg, dans la foulée de la première directive Télévision sans frontières et de la loi sur la libéralisation des médias électroniques de 1991, estimait venu le temps d’une politique étatique plus volontariste dans ce domaine. S’ensuivirent une délocalisation de nombre de chaînes de la CLT-Ufa vers les capitales des pays voisins, et, au Luxembourg,la création de la radio socioculturelle 100,7, en 1993, et d’embryonsd’instances de contrôle, comme notamment le Conseil national des programmes (CNP) pour le contenu ou l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR) pour l’attribution des fréquences. 

Ces ambitions connurent leur apogée sous le ministre délégué aux Communications, François Biltgen (CSV), dans la période 1999-2004 et le gouvernement CSV/DP – paradoxalement alors que le parti libéral était au pouvoir. Dans l’enthousiasme d’une grande consultation publique sur le bilan de la loi de 1991, à la Chambre des députés et lors de conférences réunissant spécialistes et grand public organisées par la CNP à Mondorf-les-Bains, Biltgen promit de professionnaliser le CNP en le transformant en Autorité de régulation indépendante (Ari). Et des voix s’élevaient pour demander la création d’une chaîne de télévision de service public. Certains prédirent même la fin du siège grand-ducal de la CLT-Ufa et, en parallèle, de ses programmes luxembourgeois, qui auraient alors pu être repris par l’État.

Puis vinrent les élections de 2004, un nouveau gouvernement, un nouveau ministre des Communications, et surtout un gros problème budgétaire dans les caisses de l’État. En matière de médias, un seul et unique point semblait désormais prioritaire : la renégociation du contrat de concessions de RTL Group, dont la version actuelle vient à échéance en 2010. En 2004 encore, les discussions s’annonçaient laborieuses, mais elles se terminaient finalement assez brusquement, alors que l’ancienne version prévoit un début des négociations en janvier 2007 seulement (d’Land 07/07). La percée, que les deux parties fêtaient comme un triomphe la semaine dernière, n’est pourtant pas si étonnante, car tous les deux y trouvent leur compte. Elle arrange RTL Group – « a clear commitment to Luxembourg, the country we call home » selon son CEO Gerhard Zeiler –, mais elle arrange aussi le gouvernement, qui pérennise ainsi 600 emplois, le siège, les revenus d’impôts et les programmes luxembourgeois à mission de service public, qui sont quasiment gratuits pour lui. C’est ce qu’on appelle une win-win-situation.

Et l’intérêt de RTL Group à rester au Luxembourg est clairement lié à l’aboutissement de la lutte européenne de Jean-Louis Schiltz sur la question essentielle pour lui dans la réforme de la directive Télévision sans frontières (TSF) : le principe du pays d’origine (PPO). Alors que d’autres pays, comme la France, ont des problèmes avec la (non)réglementation de la publicité, notamment la signalisationou non du product placement, et aimeraient faire contrôler les programmes diffusés sur leur territoire par leurs propres régulateurs (principe du pays de destination), le Luxembourg s’était focalisé sur la défense du PPO. Le fait que, après un début, en 2005, à treize pays sur 27 se prononçant contre ce principe, tous soient désormais, après les travaux du Parlement européen en décembre et la réunion de Berlin lundi dernier, d’accord pour le maintien du PPO, est une vraie percée pour le gouvernement luxembourgeois. Car il lui permet justement de valoriser les avantages du libéralisme du pays sur le plan européen.

Le « retour au bercail » de RTL-TVi, qui émet à nouveau, depuis janvier 2006, exclusivement sous licence luxembourgeoise en direction de la Belgique (d’Land 03/06) en est le plus bel exemple. Le gouvernement a accepté de se froisser avec ses collèguesbelges pour « protéger » ses moutons, ceux de RTL Group, des appétits de contrôle du régulateur belge, le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel), jugé un peu trop pointilleux sur l’application d’une réglementation très stricte des espaces publicitaires, de la qualité des programmes, des investissements dans la production de contenu et ainsi de suite. Depuis un an et demi, le CSA belge ne décolère pas face à ce départ ; en décembre 2006, il a même infligé une amende record de 500 000 euros à l’opérateur luxembourgeois pour absence d’autorisation de diffusion, une amende qu’il pourrait vouloirrecouvrer d’ici mars. Le gouvernement luxembourgeois pourtant a accueilli RTL-TVi les bras ouverts.

Depuis lors, Jean-Louis Schiltz et son homologue de la communauté française de Belgique, Fadila Laanan, essaient de recoller les morceaux, avec, désormais, la directive TSF en perspective, qui régulariserait de toute façon la situation pour RTL-TVi, cettedernière profitant alors en toute légalité du principe du pays d’origine.

Avant cela, le gouvernement belge aimerait voir l’opérateur luxembourgeois s’engager « volontairement » pour le respect maximal des règles belges – protection des mineurs, promotion de la diversité culturelle, aide à la production d’oeuvres cinématographiques... Une situation similaire se pose avec les programmes néerlandais du groupe.

Or, les défenseurs d’une régulation étatique des médias estiment que le Luxembourg ne dispose pas vraiment d’instance de régulation digne de ce nom, qui serait à même de contrôler les programmes de RTL Group. En effet, le CNP n’est qu’un tigre de papier, il est le premier à en convenir. Manquant de moyens humains et financiers,il a tous les travers d’une instance qui fonctionne sur base du volontariat : son conseil est composé de représentants de la société civile, n’étant pas forcément spécialistes en matière de médias. Son secrétariat, minimal, a tout juste les moyens d’assumer les affaires courantes, comme transmettre les plaintes du public au bureau exécutif et les études et contrôles sont outsourcés à l’Universitéde Trèves ou à des cabinets d’avocats luxembourgeois. Son président Walter de Toffol a beau clamer haut et fort qu’une professionnalisation est incontournable, côté gouvernemental, c’est le calme plat, le projet Ari a disparu dans un tiroir du Service des médias, sans aucune alternative en vue.

« L’explication en est simple, assure le ministre des Communications Jean-Louis Schiltz au Land : je ne voulais pas ouvrir deux chantiers à la fois et ne pas déposer deux projets de réforme consécutifs. » Un seul grand projet de réforme de la loi de 1991 doit être introduit après l’adoption de la directive TSF – qui pourrait encore être finalisée d’ici mai, selon la présidence allemande de l’Union européenne, pour entrer en vigueur en 2008, dans le meilleur des cas. Mais le ministre Schiltz semble néanmoins voir une certaine urgence de réformer le contrôle des médias et annonce le dépôt d’un projet de loi dans les mois à venir, qui professionnaliserait au moins le poste de président du CNP – sans s’avancer sur un nom d’un président potentiel – et, surtout, introduirait une graduation des sanctions possibles à l’encontre des chaînes de télévision et de radio. 

Actuellement, ces sanctions se situent aux extrêmes, entre blâme et retrait de l’autorisation d’émettre, sans possibilité de solution médiane. Avec ses moyens modestes, le CNP doit contrôler quelque 35 chaînes de télévision, par câble, par satellite, à destination du public autochtone ou international. Les dernières venues, comme Setanta Sports et Current TV, la chaîne d’Al Gore, profitent alors autant des avantages de la politique très libérale du grand-duché que celles de RTL Group. Il est évident qu’aucun contrôle sérieux n’est possible à l’heure actuelle.

Lors de l’interpellation du député vert Félix Braz sur l’évolution future du secteur des médias audiovisuels, le 12 octobre 2006 à la Chambre des députés, Jean-Louis Schiltz pourtant rétorqua clairement, presque trop brutalement selon le goût des Verts, à la question d’un possible développement de programmes de service public de radio et de télévision à financement public ou à celle de la professionnalisation du CNP : argent, trop cher ! Ainsi, Schiltz cita l’exemple de la Commission nationale pour la protection des données : la mise en place de toute une administration publiquecoûte à l’État un peu plus d’un million d’euros par an (et en plus, mais cela ne fut pas énoncé si ouvertement, entrave la « liberté » des entreprises en leur demandant toutes sortes de paperasseries pour déclarer leurs bases de données par exemple). Le CNP par contre reçoit une dotation de quelque 85 000 euros par an.

Ce même argument compte aussi pour la réalisation des programmes : la radio socio-culturelle est financée exclusivement par le budget de l’État, à hauteur de 3,7 millions d’euros par an, alors que les programmes luxembourgeois fournis par RTL Group, y compris avec des obligations de service public (voir ci-contre), ne coûtent rien aux caisses de l’État, mais se financent grâce aux recettes publicitaires, à hauteur d’un tiers du budget global, les deux autres tiers seraient, selon RTL, assumés par le groupe, en contrepartie du droit d’utilisation des fréquences luxembourgeoises. Le budget de l’État prévoit par contre un subside de 950 000 euros pour le compte de Broadcasting Centre Europe (BCE), filiale de RTL Group, « pour contribution aux frais d’exploitation en vue d’assurer le maintien des infrastructures essentielles de télévision » – soit pour la mise à disposition de moyens techniques en cas de besoin par le gouvernement. C’est certainement une des explications pour le maintien du siège de BCE à Luxembourg.

 

josée hansen
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