Le feuilleton Immo-Croissance né de la faillite de Kaupthing se poursuit. Le who’s who politico-juridique est impliqué. On retrouve deux Spëtzekandidaten

Fraus omnia corrompit

Le centre Monterey, place Hamilius
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 22.09.2023

Prince Andrew L’immeuble Centre Monterey, en plein cœur de la capitale, était à vendre en ce début d’été. Caché derrière le clinquant Royal Hamilius récemment bâti, l’ensemble de 3 000 mètres carré de bureaux construit aux premières heures du centre financier, au croisement des rues Aldringen, Monterey et Louvigny, interpelle aujourd’hui par sa vétusté. Il a été abandonné par l’un de ses propriétaires et ancien occupant du rez-de-chaussée, la BIL. Des autocollants sur les portes automatiques informent que la banque violette a déménagé son agence centrale de l’autre côté du boulevard Royal. En cette rentrée l’on apprend que la vente de l’immeuble est suspendue (« en raison d’une conjoncture immobilière peu porteuse », informe la BIL). Comme si l’on peinait à abandonner ce centre financier, obsolète et incongru, du secret bancaire et de l’opacité. Et c’est un peu ça en effet… L’autre propriétaire du centre Monterey est Immo-Croissance, un fonds immobilier créé par Dexia-BIL en 1988 pour profiter de l’expansion du marché de bureaux. Il a ensuite appartenu à un groupe islandais, puis à Kaupthing, banque islandaise dissoute voilà quinze ans. Depuis, la propriété des actions du fonds est disputée devant les tribunaux.

En 2008, Kaupthing, comme ses concurrentes Glitnir et Landsbanki, est prise dans la crise financière. Les actifs financiers islandais ne valent plus une couronne. La maison mère est nationalisée à Reykjavik le 8 octobre. Le lendemain, le tribunal de Luxembourg place la filiale locale en sursis de paiement. Sollicitée par le tribunal commercial pour conseiller sur le choix des administrateurs judiciaires, la CSSF oriente vers PWC et Elvinger Hoss Prussen, un binôme Big Four - cabinet juridique comme le veut l’usage. Un jeune avocat de chez EHP, nommé Franz Fayot, manifeste son intérêt pour piloter la destinée de l’établissement. Avec Emmanuelle Caruel-Henniaux, associée spécialisée dans les banques chez PWC, ils ont pour options de s’assurer que l’établissement recouvre les liquidités et la solvabilité permettant un redémarrage de l’activité ou de le maintenir fermé et de distribuer les sous restants aux créanciers.

À partir de là, deux histoires s’écrivent concomitamment. La première est politique. Le gouvernement luxembourgeois traîne d’abord des pieds. Luc Frieden, ministre du Trésor (et de la Justice) déjà aux prises avec la débâcle de Fortis (BGL) et Dexia (BIL), explique que les banques islandaises ne représentent pas un risque systémique. Puis Jean-Claude Juncker et son dauphin changent d’avis sous la pression belge et envisagent une reprise de l’établissement. Quelques mois plus tôt, en 2007, Kaupthing a diversifié ses sources de financement, notamment pour devenir plus liquide. Une demande de la CSSF. La filiale luxembourgeoise a lancé un produit d’épargne en ligne grand public avec les taux les plus élevés du marché. La clientèle belge s’est précipitée. À la date du sursis de paiement, Kaupthing Luxembourg héberge l’épargne de 20 000 déposants belges, sur un total 23 000 clients. Les autorités du plat pays sont vite concernées, notamment sous l’influence du Groupe K, fédération de clients de Kaupthing dont l’épargne est gelée depuis le 9 octobre. Les ministres belges alertent leurs homologues luxembourgeois. Le lobbyiste du Groupe K, Baudouin Vulge, cite dans son ouvrage The K(aupthing) Affair l’ambassadeur du Grand-Duché en Belgique, Alphonse Berns (quelques années plus tard directeur fiscal de Luc Frieden pour piloter la fin du secret bancaire) : « The takeover option remains a priority for the Luxembourg government. The government takes the view that the administrative receiver appointed by the court needs more time to study the situation and make a judgement about the possibility of a takeover. ». Les premiers intéressés sont Libyan Investment Authority (LIA). Au réveillon de noël 2008, Baudouin Vulge raconte avoir reçu un coup de fil de Jean-Lou Siweck, conseiller économique de JCJ (aujourd’hui directeur de 100,7) : « Luc Frieden has just signed a memorandum of understanding with the Libyans in Paris. » Mais un couac se profile. « The banks were also unhappy when they discovered that the consultants advising the Libyans were, in fact, another department of PWC », écrit l’auteur. Les banques créancières refusent cette offre, suscitant le courroux de Luc Frieden. La presse conte les soubresauts des négociations, des offres et l’intérêt de Blackfish, le groupe de David Rowland, une fortune britannique plutôt obscure, arrivé via l’entourage du CEO de Kaupthing Luxembourg, lit-on sur Icelog (un média très bien informé). Cet homme d’affaires, proche du prince Andrew (né deuxième dans la succession au trône britannique) semblait convenir à cet instant à la classe politique, au régulateur, au juge et à la Commission.

Dans un courrier daté du 9 juillet 2009 et signé Neelie Kroes, commissaire néerlandaise connue pour son affairisme et aujourd’hui sous investigation de l’Olaf (office européen antifraude), la direction européenne de la concurrence donne son accord : « Les autorités luxembourgeoises ont soumis une lettre de la CSSF qui atteste de ce que la liquidation judiciaire de la banque aurait un effet de répercussion sur le système financier et l’économie nationale en général et que par conséquent des raisons de stabilité financière plaident fortement en faveur des mesures notifiées ». La banque est scindée en deux le lendemain. Une banque privée qui va bien (ou qui devrait bien aller), Banque Havilland, et une bad bank nommée Pilllar Securitisation. La Belgique met 160 millions au pot pour dédommager les dépositaires de la succursale belge de Kautphing. Le Luxembourg souscrit 160 millions d’euros de notes émises par le véhicule de titrisation qui réalise les actifs réputés pourris. Le bilan de Pillar Securitisation pèse aussi lourd que celui de banque Havilland. Les livres sont séparés, mais la gestion est bien pilotée par les mêmes personnes, depuis la même entité sur l’avenue Kennedy. Elle y est domiciliée. Ce qui pose des questions sur la confusion des intérêts.

Peu importe. Au cercle Münster dans le Grund, ce lundi 28 septembre, Luc Frieden, ministre des Finances du fraîchement élu gouvernement Juncker-Asselborn II, célèbre la naissance d’Havilland en bonne compagnie. L’élu CSV est invité à la « table officielle » aux côtés des plus distinguished guests, le patriarche et nouveau propriétaire David Rowland et le Prince Andrew. Y siègent également l’ancienne administratrice Emmanuelle Henniaux, Yves Mersch (président de la Banque centrale) ou encore Jean-Lou Siweck. Est aussi assis à cette table, l’ancien directeur général de Kaupthing devenu directeur général d’Havilland, Magnus Gudmundsson. Sur les plans de tables, apparaissent une dizaine d’anciens cadres de Kaupthing repris par la new bank. Figurent les prestataires de services à la table numéro 3 : les conseillers de PWC qui ont travaillé sur la cession de Kaupthing, mais aussi, Philippe Hoss (associé EHP). Sont dispersés dans la salle, les clients systémiques (car aussi actionnaires) de Kaupthing. L’ambiance est à la fête. « The priority of the government was to save domestic banks to avoid systemic risk in Luxembourg. It was necessary to manage the different problems that arose while respecting the interests of everyone involved, notably those of the taxpayers », s’est ainsi félicité Luc Frieden dans le communiqué diffusé par Havilland après la nouba. Le ministre des Finances poursuit : « When the bank found a potential investor, the government made every effort to support the takeover, which was in the interest of the Luxembourg financial centre ». Un avocat proche du dossier (et qui préfère rester anonyme) perçoit un problème dans ce sauvetage qui émane d’une volonté politique. Cela sous-entend qu’on n’a pas exploré les causes de la cessation de paiement. L’auditeur Deloitte, mandaté par les banques créancières dans le processus de cession à LIA, a d’ailleurs dans un premier temps eu des doutes sur la pertinence économique d’un retour à la vie.

Project Earth Et il y a bien une odeur de pourri sur l’avenue Kennedy. Ici commence l’histoire judiciaire. Parallèlement à la restructuration de Kaupthing Luxembourg, s’est joué le sort du fonds Immo-Croissance, l’un de ses plus beaux actifs de la banque, dôté d’un portefeuille immobilier de valeur. Fin 2008, la Sicav-Fis Immo-Croissance comptait entre autres dans son bilan les immeubles Edison (loué par Compagnie de banque privée et les Russes de Young Energy Prize) et Gutenberg (Dexia BIL et État) à Strassen, le siège d’IBM à Hesperange, le Royal Arsenal (rue Emile Reuter), le projet Arsenal (boulevard Royal) ou encore la villa Churchill sur la place éponyme. PwC estimait la valeur totale des actifs entre 140 et 160 millions d’euros. La valorisation provient du prospectus de vente de la banque Kaupthing Luxembourg, pilotée par PWC, sous le nom de code Project Earth. L’offre pour Immo-Croissance de la société R Capital appartenant à un investisseur italien inconnu au bataillon, Umberto Ronsisvalle, l’a remporté face à deux autres candidatures. Étaient apportés un peu de cash (autour de cinq millions d’euros) et des garanties pour obtenir le refinancement de l’endettement, 123 millions d’euros, d’Immo-Croissance. R Capital est devenue propriétaire du fonds en décembre 2008 et attendait son prêt pour refinancer l’ancien arrivant à échéance début 2009. Le 3 février à 16h11, Kaupthing (sous administration judiciaire) a accordé l’emprunt puis l’a dénoncé 50 minutes plus tard au motif que les garanties (des biens immobiliers) n’ont pas été apportées. Le 20 février, la banque a activé les garanties qui portaient sur 75 pour cent des actions d’Immo-Croissance et a donc récupéré l’essentiel de la propriété du fonds. R Capital a introduit un recours judiciaire contre Kaupthing dès le 3 mars. Au cours de l’été, Umberto Ronsisvalle s’est fait éjecter du conseil d’administration du fonds d’investissement.

Quand ce dernier passe dans les mains de Pillar Securitisation en juillet, la cession d’actifs démarre. Deux immeubles sont rapidement vendus par la banque conseillée par EHP. Le premier, le projet Arsenal, à la banque de Luxembourg, pour prolonger son emblématique quartier général sur le boulevard Royal. Siègent au conseil d’administration de la banque privée des associés d’EHP. Le second, la Villa Churchill, échoue aussi entre les mains des associés du cabinet. L’argent de la vente d’Arsenal permet une augmentation de capital du fonds, entièrement souscrite par Pillar Securitisation. À cet instant, Umberto Ronsisvalle n’a plus voix au chapitre chez Immo-Croissance. Mais les juridictions commerciales le remettent en selle en 2013. Le tribunal d’arrondissement qualifie de « frauduleuses » les circonstances de la cession avortée d’Immo-Croissance, pensée par les avocats d’EHP, sous l’administration judiciaire d’un de leur collaborateur. « La banque a en quelque sorte elle-même créé un cas de défaut afin de pouvoir profiter des garanties, ce que démontre la résiliation opérée si peu de temps après la confirmation de la mise à disposition des fonds », écrivent les juges. Umberto Ronsisvalle, qui bénéficie d’une sympathie limitée auprès de la notabilité locale, regagne en appel. Il doit récupérer ses titres, mais ils ne valent rien après l’augmentation de capital décidée par Pillar en décembre 2009. Son avocat, Fabio Trevisan (BSP), ouvre en 2017, un nouveau front pour demander l’annulation de tous les actes intervenus depuis le 3 février 2009. Mais, pour la première fois en 2019, EHP remporte une bataille dans la guerre judiciaire Immo-Croissance. Il y aurait prescription selon les juges.

Dans ses plaidoiries, Yves Prussen invoque le principe selon lequel fraus omnia corrompit (la fraude corrompt tout, en latin). L’annulation de l’augmentation du capital entrainerait une sous-capitalisation d’Immo-Croissance et conduirait à sa mise en faillite judiciaire. Le recours de R Capital consisterait, selon les avocats d’EHP, en un « chantage pour obtenir quelque chose de Pillar dans le cadre d’une transaction ». « Cette démarche fait partie d’une escroquerie avec usage de faux qui a débuté avec la proposition d’acquérir les actions Immo-Croissance en 2008 et qui continue maintenant comme escroquerie à jugement, infraction dont le juge d’instruction est à nouveau saisi », écrivent les avocats de la place Churchill. La partie Pillar demande aux juges de constater la fraude ou à tout le moins de surseoir à statuer en application du principe « le criminel tient le civil en l’état ». L’affaire est pendante.

Dans un courrier lié à ces procédures, Yann Baden, administrateur provisoire d’Immo-Croissance par intermittence, juge la gestion d’Immo-Croissance critiquable, parce que « certains actifs ont été cédés dans des conditions qui (…) peuvent ne pas correspondre au meilleur prix qui aurait pu être obtenu ». Yann Baden fait référence à l’immeuble Arsenal vendu à la Banque de Luxembourg « alors que R Capital avait alors négocié un contrat globalement plus intéressant », lit-on dans le courrier de l’ancien séquestre du fonds.

Regards détournés D’autres doutes planent. Ils portent sur la diligence de la CSSF. Le superviseur de Kaupthing savait dès 2007 que des risques de concentration des crédits menaçaient. En 2008, la CSSF couchait par écrit son mécontentement quant à l’analyse fournie par Kaupthing en trainant des pieds. « We do not accept a financing by your bank of Kaupthing shares as this may represent an artificial creation of capital at group level ». « The credit activity could be qualified as an investment bank activity, the bulk of the credits are covered by highly concentrated portfolios », lit-on dans des courriers co-signés par Jean-Nicolas Schaus, le directeur général de la CSSF. La banque est tombée du fait d’une mauvaise gestion, avec des prêts consentis à des clients pour acheter massivement des actions de l’établissement (qui ne valaient pas grand chose) déposées en garantie. À Bâle en juin 2008, lors d’une réunion des banquiers centraux, Yves Mersch est tombé sur son homologue islandais : « Your banking system is in serious trouble », a-t-il dit, dénonçant notamment des abus du système de refinancement européen (avec des actifs pourris donnés en garantie d’argent frais de la BCE). Ces fébrilités n’ont jamais été évoquées publiquement. En sus, le jour du sursis de paiement, le 9 octobre 2008, le responsable risque de Kaupthing a démissionné en dénonçant la gestion irresponsable, un courrier déposé sur le bureau des administrateurs judiciaires.

En septembre 2009, la nouvelle direction de la jeune banque Havilland (disposant d’une licence accordée par Luc Frieden) passe les tests d’honorabilité de la loi sur le secteur financier. En janvier puis avril suivant, la CSSF reçoit des courriers de son homologue islandaise. La FME alerte, début 2010, sur « plusieurs violations potentielles de la loi luxembourgeoise » impliquant Kaupthing Bank Luxembourg. Est notamment détaillé le recours à une société des BVI, Lindsor Holding Corporation, pour lever des liquidités et y jeter de la junk debt. Plus de 170 millions d’euros levés artificiellement via cette entité (soit plus que l’aide d’État luxembourgeois). La FME dénonce aussi certains employés qui ont bénéficié de manipulations sur des opérations de dette dans les jours qui ont précédé le sursis de paiement. La FME parle de « gigantic market manipulation machine ». Elle ajoute avoir demandé le 15 octobre 2008 au Resolution Committee de Kaupthing Iceland d’engager un expert pour enquêter sur ces transferts d’argent suspects. PWC avait été choisie. « Perhaps news of this investigation reached Luxembourg because in november 2008, it appears that parties at Kaupthing Luxembourg acted to cover up the huge trading gains made by three employees by unwinding the trades done in early October ».

Des perquisitions monstres sont organisées au Grand-Duché en 2010. Elles tiennent à des commissions rogatoires islandaises, exécutées avec promptitude. L’affaire a généralement suscité peu de remous politiquement (trois questions parlementaires en lien avec Kaupthing au cours des quinze dernières années), mais une intervention du député Xavier Bettel (DP) en mars 2010 interroge ces descentes policières. « Les conditions d’agrément de la banque Havilland restent remplies », répond le ministre des Finances, Luc Frieden. Une enquête pénale a été ouverte sur le volet Lindsor au Luxembourg après dénonciation de la CSSF au parquet en avril. L’instruction contre « inconnu » des chefs de vol domestique, abus de confiance, abus de biens sociaux, recel, de faux et usage de faux et de blanchiment, une affaire « très complexe », a été clôturée en août 2020, a informé l’administration judiciaire. Un porte-parole précise aujourd’hui que l’affaire, où figurent quatre inculpés, est devant la chambre du conseil. « Il n’est donc pas encore possible de dire quand, ou même si, un procès aura lieu », résume-t-il. Les perquisitions menées dès 2009 et 2010 dans le cadre de commissions rogatoires islandaises ont mené à des condamnations en 2013 à Reykjavik. Entre quatre à cinq ans de prison, notamment pour le CEO de la filiale luxembourgeoise, démis en 2010 quand il a été interpelé en Islande.

Y-a-t-il eu une intervention politique auprès du parquet pour privilégier les poursuites en Islande et les circonscrire à leur portion la plus congrue au Grand-Duché où viv(ai)ent d’ailleurs deux des quatre cadres bancaires poursuivis à Reykjavik? Une rencontre entre le ministre de la Justice François Biltgen (CSV), la conseillère du procureur spécial islandais, Eva Joly, le procureur d’État, Robert Biever, et le conseiller de gouvernement Jeannot Berg, a été organisée en 2010 au ministère. Aucune information sur son contenu n’a filtré. La seule procédure pénale associable à Kaupthing ayant abouti est celle liée aux poursuites engagées par la banque en 2010-2011 contre son ancien chief risk officer pour vol de documents. L’avocat de la banque n’était autre que Franz Fayot. Dans ses conclusions, l’avocat s’offusque de la posture de « justicier » prise par l’ancien salarié de Kaupthing : « Pour justifier le vol de documents et la violation du secret bancaire, Monsieur X. se retranche derrière la gravité des manquements dont se serait prétendument rendu coupable son ancien employeur ». Après le réquisitoire du procureur demandant la relaxe de l’accusé (obtenue en fin de parcours), Franz Fayot avait quitté la salle, sans rien dire. « J’ai opté de prendre position par écrit au vu de l’absence de jurisprudence existant en la matière au Luxembourg et des conséquences importantes que votre décision entraînera, non seulement dans cette affaire, mais également au niveau de la place financière dans son ensemble », lit-on dans un courrier envoyé par Franz Fayot à la présidente du tribunal. EHP et PWC auront engrangé des millions d’euros en quinze ans, en conseillant Havilland et Pillar et en avisant leurs comptes. La relation commerciale cesse en 2017 entre PWC et Havilland, puisque l’ancien managing partner du cabinet nd’audit (2007-2015), Didier Mouget, rejoint le board de la banque. PWC a cependant continué d’auditer Pillar sans toutefois livrer d’opinion sur les comptes, trop exposés au litige Immo-Croissance.

En 2017 toujours, Havilland est soupçonnée d’avoir mené une attaque irrégulière sur les marchés financiers contre les intérêts du Qatar. En 2018, la CSSF sanctionne l’établissement. Une lourde amende de quatre millions d’euros. L’influence de l’oncle Sam ? Dans un reportage, Bloomberg raconte les relations sulfureuses entretenues par le père Rowland avec des régimes autocratiques, via le Prince Andrew, entremetteur. Est notamment détaillée la raison de la sanction administrative : Pour récupérer l’appartement new-yorkais de l’un de ses clients africains, persona non grata aux États-Unis, Havilland a déclenché abusivement un gage sur le bien, court-circuitant les velléités de saisie américaines. Voilà qui nuit à la réputation du centre financier que l’on voulait préserver en sauvant Kaupthing/Havilland (et sa grosse centaine d’employés). Et l’État, créancier de Pillar suite au sauvetage de Kaupthing ? Le directeur du Trésor, Bob Kieffer, nous informe que sur toute l’opération, le taux de recouvrement est « assez élevé », 87,64 pour cent (ou 92 intérêts inclus). « Le coût du sauvetage pourrait, in fine, se réduire à zéro pour l’État », précise-t-il. La BCL, exposée pour 800 millions d’euros en 2008, n’ a pas encouru de pertes dans ce cadre, nous précise aussi l’un de ses porte-paroles. Le contribuable s’en sort à bon compte, notamment grâce à la vente d’actifs permise par un abus de droit (pour employer un euphémisme). Mais qu’en est-il des responsabilités des banquiers de Kaupthing et de ceux qui les surveillent. La morale de cette histoire est qu’il faut savoir s’asseoir sur l’état de droit pour préserver un centre financier.

Pierre Sorlut
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