Fraude fiscale

Moralement neutre

d'Lëtzebuerger Land du 12.03.2009

La « moralisation » de l’Administration des contributions directes vient de buter sur un os avec l’annulation, par le tribunal administratif, d’une décision de son directeur à l’encontre d’un de ses agents sous le coup d’une procédure judiciaire, notamment pour fraude fiscale. La direction de l’ACD ne s’émeut pas outre mesure de cette décision qualifiée de « technique ». Il n’empêche que les juges du tribunal administratif ont produit une décision qui marque un revirement de jurisprudence. Aucune décision n’a toutefois encore été arrêtée pour interjeter appel devant la Cour administrative.

L’affaire est épique : le préposé adjoint d’un bureau d’imposition des sociétés « tombe » à la fin de l’année 2006, en même temps que le patron d’une fiduciaire qui avait utilisé les services de l’agent du fisc pour des travaux de « ménage », i.e. des conseils en optimisation fiscale. Les deux hommes passeront quelques jours à Schrassig pour des préventions de corruption (d’Land, 09.05.2008). 

L’affaire s’emballe au niveau des Contributions, qui remercient son agent et entament une procédure disciplinaire contre lui afin de le rayer définitivement de la fonction publique. Parallè­lement, l’employeur joue les chiens renifleurs pour tenter de coincer l’ancien proposé adjoint, actionnaire d’une société off shore dans laquelle l’administration le soupçonne d’avoir placé une partie des revenus de ses activités annexes. Une société luxembourgeoise, rachetée par l’ex-agent du fisc avec des pertes (ce qui lui a permis d’échapper à l’impôt), intrigue également l’administration. En avril, le premier coup de canon tombe : l’ACD invite l’agent à déclarer ses revenus supplémentaires « indigènes » et étrangers entre 1997 et 2006. « Il n’y a pas de revenus supplémentaires indigènes ni de revenus supplémentaires en provenance de l’étranger », répond l’intéressé.

Le 27 juin pourtant, l’ACD reçoit du procureur d’État un rapport de la Police judiciaire relatant des faits de fraude fiscale à charge de l’agent, selon un schéma de fausses factures passant de Luxembourg à Belize pour échapper à l’impôt. Un mois et demi plus tard, le bureau d’imposition opère un redressement du bulletin d’impôts sur le revenu des personnes physiques sur huit ans, de 1997 à 2005. L’addition est salée : 175 000 euros à payer sans délai ni aménagement possible. Une somme qui, selon le médiateur qui aura accès au dossier, serait inférieure aux montants des entrées de fonds constatés par les enquêteurs. L’ancien préposé adjoint conteste toutefois cette décision devant le tribunal adminis­tratif et réclame l’accès à son dossier, notamment au rapport de la PJ.  

La question que devait trancher la juridiction a été celle de savoir si l’Administration des contributions avait le droit d’utiliser, pour faire les redressements litigieux, un rapport de police auquel le contribuable n’avait pas accès. Cette démarche constitue selon l’ex-agent une violation de la loi générale des impôts qui donne à tout contribuable le droit d’être informé et de se faire entendre. Ce que le fisc lui aurait refusé en raison de son « comportement hautement répréhensible », qui a commencé par l’oubli de déclarer ses revenus et se serait poursuivi par le mensonge, l’homme ayant en effet assuré qu’il n’avait pas touché de revenus supplémentaires.Réponse du tribunal : « Le droit du contribuable d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, doit être considérée comme un droit élémentaire face à l’administration fiscale, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable ». Autre mise au clair des juges : l’attitude du contribuable vis-à-vis du bureau d’imposition n’a aucune inci-dence sur l’application de ce droit élémentaire. « Le droit fiscal est moralement neutre », précise le jugement. 

Véronique Poujol
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