« Asbl-maison » de l'État ?

Déclaration de soupçons

d'Lëtzebuerger Land vom 29.01.2009

L’État s’organise-t-il systématiquement des « asbl-maison » pour pouvoir fonctionner d’une manière plus flexible ? La question avait été posée par les députés de la commission du Contrôle de l’exécution budgétaire fin mars 2007, suite aux remous causés par l’affaire de l’association The Roots and Leaves (d’Land, 27 avril 2007), qui avait mis la secrétaire d’État à la Culture Octavie Modert (CSV) dans l’embarras, après qu’elle eut signé un passer outre retentissant. Alertés, les députés ont alors demandé à la Cour des comptes de passer au peigne fin toutes les administrations de l’État, pour vérifier si d’autres associations sans but lucratif figuraient comme sous-traitants, alors qu’elles ne faisaient rien d’autres que d’exécuter des missions qui en fait incombent à ces administrations. Il s’agit d’associations « para-administratives », qui exercent des activités de service public, sans autonomie par rapport au ministère, financées en grande partie par des fonds publics et dont les organes dirigeants sont composés majoritairement d’élus ou de fonctionnaires. La Cour des comptes française s’était d’ailleurs déjà penchée sur ce genre d’asbl, en assurant que leur proximité à l’égard de l’administration pouvait occasionner des « insuffisances, voire des fautes graves de gestion qu’autorise une absence manifeste de suivi et de contrôle » et que les asbl-alibis pouvaient être le « support d’infractions aux règles de la comptabilité publique ». 

La Cour des comptes a donc tenté de localiser ces asbl qui présentaient « d’éventuelles similitudes avec les caractéristiques de l’asbl ‘The Roots and Leaves Association’ ». Il se peut que la liste ne soit pas exhaustive, car l’enquête s’appuie sur des données fournies par les ministères eux-mêmes et la Direction du contrôle financier de l’État. Ont été analysées les associations qui répondaient à trois critères : la composition des conseils d’administration, les aides financières allouées par l’État et le caractère de service public marqué de leurs activités. La Cour ne leur fait pas de procès d’intention selon lequel il s’agirait d’associations illégales, mais elle assure qu’elles présentent un risque de « masquer un démembrement de l’administration ou un détournement des règles de gestion administrative en vigueur. » Car, selon la Cour, le fait qu’elles appartiennent aux associations para-administratives de l’État les oblige à se soumettre aux règles de la loi sur les marchés publics. En clair : elles aussi sont pouvoir adjudicateur et donc obligées à publier les soumissions dès que le marché dépasse un certain montant.

La Cour des comptes en a localisé plusieurs, dont la majeure partie dépendent du ministère de la Culture : Agence luxembourgeoise d’action cul­turelle (Alac) ; Casino Luxem­bourg ; Luxembourg et grande région, capitale européenne de la cul­ture, structure luxembourgeoise ; Carré rotondes. En gros, la Cour des comptes recommande au ministère soit d’assurer lui-même ces missions, soit de transformer l’asbl en question en un établissement public (voir ci-contre). Car la plupart de ces associations avaient été créées pour assurer un service à court ou moyen terme, mais le provisoire dure toujours. D’autres, comme Anefore ou Acipro se trouvent dans le giron du ministère de l’Éducation nationale.

Alors qu’une association comme le Casino préfèrerait se voir plutôt au­jourd’hui que demain changée en un établissement public et peut se réjouir du soutien que vient leur apporter l’avis de la Cour des comptes, d’autres font des pieds et des mains pour éviter toute conversion. C’est le cas de l’Office national du tourisme (ONT), une asbl datant des années 1950. Les mauvaises langues médisent qu’elle dicte sa politique au ministre du Tourisme plutôt que l’inverse. Le fait est que le ministère lui met trente pour cent de son budget annuel à disposition pour élaborer, coordonner et effectuer la promotion touristique nationale et mettre en valeur les richesses naturelles, culturelles et historiques du grand-duché, « une mission qui incombe normalement à l’État, » note sèchement la Cour des comptes.Pour l’institution, il s’agit clairement d’une association para-administrative, car elle remplit les trois critères essentiels.

D’abord, le conseil d’administration est composé majoritairement de membres issus du secteur public. Ensuite, le budget de l’ONT dépend de plus de la moitié des subsides de l’État (1 975 000 euros pour 2009) et finalement, il assure une mission d’intérêt public, avec pour objectif principale d’assurer « une meilleure coordination entre les communes, les Syndicats d’initiative des diverses communes, l’hôtellerie et les autres organismes nationaux intéressés au développement de l’économie touristique. » Une raison suffisante pour la Cour de se poser la question « si une association sans but lucratif est l’instrument approprié en la matière. » C’est tout.

La réponse ne s’est pas fait attendre, l’ONT s’étant adressé à l’avocat François Moyse pour éclaircir la question. Celui-ci analyse les différentes formes juridiques existantes pour en conclure que l’ONT est très bien comme il est, pour autant qu’il veuille maintenir une « indépendance minimale avec le pouvoir politique ainsi qu’une grande flexibilité de gestion » dans le cadre de ses activités. Selon lui, la création d’un établissement pu­blic n’est pas la panacée, car celui-ci reste sous le contrôle du pouvoir central, sous tutelle administrative. Seul le Groupement d’intérêt économique (GIE) serait une alternative judicieuse, car « il permet à ses membres de mettre en commun certaines de leurs activités (…), tout en conservant leur individualité. » Aussitôt dit, aussitôt fait, l’ONT est effectivement en train de mettre sur pied un tel GIE pour lancer des opérations de marketing et faire « vendre » le Luxembourg touristique. 

Reste à savoir ce qu’il en est de son statut de pouvoir adjudicateur. Fran­çois Moyse interprète la loi sur les marchés publics de manière à en ex­clure les asbl, car il s’agit d’une association de droit privé et non d’un organisme de droit public. Rien n’empêche qu’un contrôle soit effectué par un réviseur d’entreprise et que les comptes soient publiés au registre de commerce, mais l’ONT ne peut faire partie des entités obligées à se soumettre à la loi sur les marchés publics. Surtout que l’Office ne répond que partiellement au critère d’intérêt général. « Si certaines activités peuvent prendre une coloration d’intérêt général à certains égards, écrit l’avocat, d’autres n’en sont pas moins tournées en premier lieu vers les membres de l’asbl et ne s’adressent pas au public en général. » 

Le ministère du Tourisme n’a lui non plus rien à rajouter. Or, la Commission des soumissions insiste, elle, sur le fait que l’asbl « est à considérer comme pouvoir adjudicateur et est partant soumis à la législation sur les marchés publics » et « que les collectivités locales, en s’associant avec des entités de droit privé, ne peuvent pas de ce simple fait, échapper aux contraintes de la législation. » Et d’insister sur le fait que l’ONT a manifestement une mission d’intérêt général, inscrite dans ses statuts, tout en concluant que « la législation sur les marchés publics contient suffisamment de possibilités afin que les pouvoirs adjudicateurs puissent répondre de façon adéquate et efficace aux besoins imposés. »

Pourquoi ce refus de devoir se plier aux exigences de la loi sur les marchés publics ? D’aucuns voient dans cet acharnement l’indice qui prouverait que les craintes de la Cour des comptes sont avérées. D’autres sont plutôt d’avis que la Cour s’est trompée de candidat et qu’elle risque de briser une branche de l’économie touristique assurée notamment par l’appui de bénévoles qui en seraient démotivés. Or, rien ne change à la question fondamentale soulevée par la Cour des comptes : « le détournement des associations para-administratives du principe associatif et donc de l’objet de partenariat poursuivi par le ministère. » Aux députés de la Com­mission d’y répondre. 

anne heniqui
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