Participation de l'État dans deux banques

Un cran en plus

d'Lëtzebuerger Land du 02.10.2008

2009 devait être la fête des chefs d’entreprises et des banquiers que le budget 2008 avait un peu laissés sur le bord du chemin, ses priorités ayant été focalisées sur la fiscalité des ménages. Mais la crise financière s’est invitée à table. On pouvait craindre que les efforts, qui pèseront tôt ou tard sur les épaules des contribuables luxembourgeois, pour financer les erreurs des banquiers et voler à leur secours à coup de milliards d’euros, refroidissent définitivement les ardeurs du gouvernement luxembourgeois à contenter le patronat et à te­nir des promesses faites en mai dernier, lors de la déclaration sur l’état de la nation. Il n’en est (presque) rien. 

Les interventions du gouvernement dans le sauvetage de Fortis dimanche et de Dexia, le lendemain, n’ont pas laissé de traces significatives sur la confection du projet de budget pour l’année prochaine. Le gouvernement a même été au-delà des annonces de mai dernier sur l’adaptation à la baisse du barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (neuf pour cent au lieu des six). Il est probable que les autorités n’aient pas eu le temps, ni l’énergie de reprendre leurs calculettes et de défaire certains arbitrages, en faveur du secteur financier notamment. Cela dit, la branche, qui assure près de la moitié des recettes de l’État, n’est pas sortie du tunnel qu’elle traverse depuis presque un an et demi avec la crise des subprimes et, plus récemment, la faillite de Lehmann Brothers aux États-Unis, qui a pris de cours les établissements européens, à commencer par Dexia. De plus, les mesures annoncées mercredi n’ont pas un coût exhorbitant. 

Opérations neutres en termes budgétaires, ont assuré tour à tour le Pre­mier ministre et ministre des Finances Jean-Claude Juncker et le ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden, puisque l’argent des pompiers de service a été puisé dans la trésorerie. Les interventions financières (2,5 milliards d’euros pour Fortis et 376 millions pour Dexia) vont creuser la dette publique, actuellement à 7,3 pour cent du PIB à 10 pour cent. Le Luxembourg restera toutefois parmi les cinq pays de l’Union européenne qui ont une capacité de financement positive de l’administration publique ainsi qu’une dette publique très largement inférieure à 60 pour cent du PIB. Les critères de stabilité sont donc respectés. Par ailleurs, les agences de notations ne donnent pas de signaux laissant pen­ser qu’elles dégraderaient la note des pays européens ayant pompé dans la trésorerie pour sauver leurs banques.

Les prises de participations dans le capital des deux banques ont même été vendues par les deux dirigeants luxembourgeois sous l’emballage d’opérations de « bons pères de famille », qui devraient doper les rendements des réserves (10 pour cent dans le cas du prêt consenti à Dexia Bil, en échange d’une participation de 20 pour cent dans le capital et la cession de quelques actifs comme Luxair). C’est bien plus que le marché offre en ce moment. Plus opportuniste que jamais, le ministre CSV du Trésor et du Budget Luc Frieden a abondamment insisté cette semaine, tout au long de ses interventions devant la presse, sur le caractère de « bonne affaire » que l’État luxembourgeois faisait en rentrant dans le capital des deux établissements privés. Jean-Claude Juncker ne l’a pas contredit mercredi lors de son intervention à la Chambre des députés.L’aggravation de la crise financière et les défaillances bancaires n’ont donc pas entamé la marge de manœuvre du gouvernement, ni ses engagements à améliorer la compétitivité de l’environnement fiscal des entreprises déjà établies au grand-duché, où celles qui pourraient céder à ses sirènes. Le projet de budget 2009 reprend d’ailleurs presque point par point le catalogue des revendications jugées « urgentes », qui avaient été soumises au ministère des Finances, il y a quelques semaines.

Taux à 21 pour centL’adaptation du tarif de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC), dont le taux sera réduit d’un pour cent en 2009 pour passer de son niveau actuel de 22 pour cent à 21 pour cent (pour un revenu imposable dépassant les 15 000 euros, en dessous de ce seuil, le taux reste à 20 p.c.), ne constitue pas une surprise. Jean-Claude Juncker avait annoncé au printemps dernier l’objectif du gouvernement de rabaisser le taux d’imposition des collectivités à 25,5 pour cent et ses intentions de bricoler également dans la base imposable. Le chef du gouvernement a jugé « stupide » mercredi, le jeu du dumping fiscal en Europe. Il donne la leçon, mais il s’y colle quand même.La mesure se fera par étape. D’abord pour ne pas susciter trop d’opposition. Une réforme trop brutale de la fiscalité des entreprises, alors que les indicateurs économiques sont au plus bas, pourrait faire perdre des voix aux partis au gouvernement. 

Allons-y, mais allons-y doucement. Le premier pas est donc prudent et plutôt modeste, mais ça ne devrait pas inquiéter les milieux d’affaires pour la suite de la réforme. Les opérateurs économiques s’interrogent en effet − et s’en inquiètent au moins autant − sur les intentions de la Commission européenne qui a dans ses cartons le projet d’harmoniser l’assiette imposable des sociétés en Europe (Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés). Or, pas mal d’éléments échappent à la pression fiscale au Luxembourg, du fait des mécanismes d’abattements, de provisions et d’exonérations en tout genre. Comme les plans de la Commission sont loin d’être prêts, le gouvernement se contente pour l’heure de réduire d’un petit cran le taux de l’IRC, sans toucher à l’assiette. Et se ménage ainsi une marge de manœuvre pour plus tard, lorsque les projets de Bruxelles sortiront de l’ombre, si tant est qu’ils en sortent, et que la seule « souveraineté » que conserveront encore les États membres de l’UE à l’avenir sera celle de fixer leurs propres taux d’imposition nationaux. Les milieux d’affaires peuvent donc déserrer un peu la ceinture. 

Le taux d’imposition effectif (21 p.c. auquel s’ajoutent les 6,75 p.c. de l’impôt commercial communal et la majoration de 0,84 p.c. au titre de la contribution au fonds pour l’emploi) pointera à 28,59 pour cent en 2009 contre 29,63 en 2008. Ce geste du gouvernement devrait un peu améliorer le ranking du Luxembourg dans les 27. Une étude d’Eurostat de juillet 2007, largement exploitée par le patronat pour plaider sa défense, situait le taux combiné d’imposition des sociétés du Luxem­bourg très au-dessus de la moyenne des treize pays membres de l’eurozone et même bien au-delà de la moyenne des 27 (26,54 pour cent). Il faut toutefois se méfier des taux théoriques. Personne n’ignore que derrière le taux d’imposition « apparent » se cache toute une batterie de mesures de planification fiscale qui font descendre la pression fiscale des entreprises à quinze, sinon dix pour cent. Mais allez expliquer ces subtilités aux investisseurs étrangers. Beaucoup y perdent leur latin. 

Les opérateurs économiques vont geler leurs revendications pour quelques mois pour sans doute revenir à la charge dans le sillage des législatives de juin 2009. Leur catalogue n’est pas vraiment un mystère : abolition de l’impôt commercial et fixation du taux de base de l’IRC à 25 pour cent et d’un taux entre 10 et 12 pour cent frappant les bénéfices réinvestis et introduction des intérêts notionnels à l’instar de ce qui se fait en Belgique.

Des mesures très techniques ont par ailleurs été annoncées mercredi en faveur des banques, notamment le traitement fiscal des provisions des garanties de dépôts, en cas de défaillance d’un établissement financier. C’était là aussi une des revendications « urgentes » du secteur financier. Cette mesure avait été appuyée par la Commission de surveillance du secteur financier qui veille autant à la compétitivité de ses administrés qu’au « flicage » de leurs activités.

DividendesC’est la fierté du député chrétien social Laurent Mosar qui avait déposé, il y a une petite année, une proposition de loi pour élargir l’exonération de la retenue à la source sur les di­videndes aux pays avec lesquels le Luxem­bourg a signé des conventions de non-double imposition. À l’heure actuelle, seuls les dividendes payés par des sociétés résidentes dans l’UE, l’Espace économique européen et la Suisse en sont exempts. Quelques rares traités fiscaux bilatéraux prévoient cette exonération (avec les États-Unis, le Canada, la Mongolie notamment). Sur le marché très concurrentiel des investissements étrangers, où les voisins belges (avec leur régime d’exonération des dividendes) et néerlandais font le pied de nez aux Luxem­bourgeois, le gouvernement se positionne à son tour pour attirer de nouvelles sociétés et de nouvelles activités en leur facilitant le rapatriement de bénéfices. Les pays visés sont les États-Unis, le Brésil, le Mexique, la Chine, l’Inde, le Japon ainsi que des États du Moyen-Orient.

Épargne logementLors des discussions qui ont mené, il y a trois ans, à la loi sur la retenue à la source nationale sur les intérêts, la voix des fonctionnaires s’était élevée pour réclamer que l’épargne logement soit traitée comme les autres revenus de l’épargne, avec une retenue de dix pour cent libératoire, au lieu du régime de pleine imposition qui prévalait jusqu’ici (une charge de près de 40 pour cent en tenant compte, outre du taux marginal ma­xi­mal de 38 p.c., de l’impôt de solidarité et de l’assurance dépendance). Le gouvernement, Jean-Claude Juncker en tête, s’y était toujours refusé. Il vient de changer son fusil d’épaule. Ce geste est à interpréter comme une petite concession faite par les autorités, à neuf mois du scrutin législatif, au puissant syndicat de fonctionnaires, la CGFP. Le gouvernement calme un peu le jeu, bien que le gros du cahier des charges des fonctionnaires a été passé par pertes et profit, notamment sur la question de la réindexation des prestations sociales et le rétablissement de l’index tel qu’il était avant les accords tripartites de 2006. 

Les banquiers militent depuis aussi longtemps pour des aménagements de la retenue de dix pour cent. Ils n’ont pas été servis sur ce plan. La revendication d’étendre l’impôt à la source de dix pour cent sur les dividendes est restée lettre morte dans le projet de budget 2009. Toutefois, elle ne figurait pas parmi les priorités des milieux financiers. Ils reviendront à la charge plus tard lorsque le contexte sera meilleur. L’extension de la retenue à la source aux dividendes fait du sens pour attirer au grand-duché de nouveaux résidents fiscaux aux revenus très élevés.

Dans l’intervalle, il faudra s’ocuper des gens moins bien lotis. Dans le droit fil de la poursuite de sa « politique fiscale sélective au profit des plus démunis », le gouvernement Juncker innove et introduit une série de crédits d’impôt destinés à muscler le pouvoir d’achat des salariés, pensionnés et familles monoparentales.  

Véronique Poujol
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