Monarchie

Le sacre de l'automne

d'Lëtzebuerger Land vom 05.10.2000

 

"Le sacre n'est qu'une cérémonie, mais elle en impose au peuple", écrivait Voltaire qui s'y connaissait en mots et en maux. Le peuple luxembourgeois vient d'apprendre à se méfier de ce terme qui signifie la fête et son contraire. "L'entrée joyeuse" s'est donc métamorphosée en exits douloureux et le sacre du 8 octobre revêt un air du Sacre du printemps de Stravinsky, nous rappelant, si besoin en était, que sacre et sacrifice se tiennent, comme Eros et Thanatos, par le bout de la barbichette. À peine le programme des festivités connu, Ray Charles préférait tenter sa chance du côté de Las Vegas, David Shallon tenait la baguette pour diriger un dernier requiem et le Prince Guillaume, jaloux d'un anachronique ( ?) droit d'aînesse, s'en allait bouder au fin fond d'un lit de réanimation d'une triste banlieue parisienne.

Mais à l'image du deuil qui sied à Électre, la monarchie, toute constitutionnelle qu'elle soit, semble convenir aux Luxembourgeois. Tout comme Milou, ceux-ci ont toujours dédaigné l'os de la République pour se parer du sceptre de la monarchie. Cette monarchie, Hergé et Andersen nous l'ont bien raconté, se ramène toujours à une histoire de fétichisme. Depuis Freud, nous savons que le fétiche sert à cacher une hénaurme imperfection, c'est-à-dire l'absence du pénis de la mère. Le fétichiste, qui n'est ni fou ni débile, n'ignore rien de ce manque de la mère, mais il préfère avoir recours au fétiche, une combinaison en latex ou une bottine de cuir, pour voiler cette nudité qu'il ne saurait tolérer. Comme le bon peuple d'Andersen, il pavoise de jouissance devant les riches habits du roi nu.

L'histoire du Luxembourg se résume à une série d'identifications à de telles images maternelles, marquées, toutes omnipotentes qu'elles soient, du sceau de l'imperfection, c'est-à-dire du manque du phallus. Elle commence, comme chacun le sait, avec le comte Siegfried qui convole avec cette garce de Mélusine qui lui interdit de la déranger le week-end dans son bain. Un beau samedi, ne tenant plus de curiosité, le pauvre comte finit cependant par regarder par le trou de la serrure, découvrant que sa femme est en fait une nymphe, mi-pin up, mi-poisson. L'histoire se finit donc en queue de poisson, la belle disparaissant à tout jamais, une fois son secret découvert.

Le Luxembourg aura plus de chance avec sa deuxième grande figure de mère, la Vierge Marie. Imparfaite et faillible comme tout un chacun, elle aurait dû naître, maculée du péché originel. Qu'à cela ne tienne, le bon Pape Pie IX la revêtit illico du fétiche, en l'occurrence du dogme de l'Immaculée Conception.

Et que dire enfin de la troisième image maternelle des Grand-Ducaux, la sacro-sainte Grande-Duchesse Charlotte ? N'a-t-elle pas été, aux yeux de toute une nation de résistants, l'incarnation même de la perfection ? Cette même nation affuble pourtant sa statue, Place Clairefontaine, du nom de Heeschefra, de mendiante. Il lui manquerait donc quelque chose à Elle aussi, un ridicule appendice par exemple, qu'elle continuerait, inlassablement, telles les âmes condamnées à l'immortalité, à quémander aux passants. Il aura été dit qu'aussi longtemps que cet insupportable manque ne sera pas comblé, son fils Jean ne s'émancipera pas de son statut d'héritier.

Bon nombre de nos compatriotes auront ainsi continué à fêter, le 23 juin, Groussherzoginsgebuertsdag, et celui qui abdiquera demain, sera toujours resté pour ceux-là de Prënz Jang. Longue vie alors au petit-fils !

 

 

 

Yvan
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