Le Sud est à la fois moins rouge – plusieurs fiefs à majorité socialiste absolue, comme Roeser, Kayl, Bettembourg ou Schifflange sont tombés – et plus rouge : c’est le retour de l’extrême-gauche

Parricides (à retardement)

d'Lëtzebuerger Land du 14.10.2011

À Roeser, dimanche soir, tout semblait joué : le maire socialiste Tom Jungen, critiqué pour son soutien inconditionnel du projet de stade avec centre commercial à Livange, semblait avoir perdu ces élections, moins 11,16 pour cent des suffrages (à 43,88 pour cent), soit deux mandats pour le LSAP, finie la majorité absolue de son parti. De l’autre côté, Guy Conrady, le « Henri Hosch » de ce projet qui a beaucoup de similitudes avec Haebicht, a pu emmagasiner 22,79 pour cent avec la liste des Verts (dont il n’est pas officiellement membre, mais « sympathisant »), qui se présentaient pour la première fois à Roeser, leur valant tout de suite d’occuper deux des onze sièges disponibles. Guy Conrady, qui a récolté 1 138 voix personnelles, se voyait déjà en maire, alors que Robert Weber, tête de liste du CSV, expliquait à la télévision que le chemin pour une coalition sans le LSAP, réunissant les opposants au projet Livange, était désormais libre. Eugène Berger et le DP, qui ont gagné presque un pour cent des suffrages, à 16,03 pour cent, gardant ainsi ses deux sièges, décelait un verdict anti-Livange dans ces résultats et la coalition Verts-DP-CSV (avec 2-2-2, soit six des onze mandats) semblait scellée.

Or, la réalité est parfois bien plus complexe : car le deuxième, même plus grand, perdant des communales à Roeser est le CSV et son candidat tête de liste Robert Weber, qui venait juste de démissionner six jours auparavant de la présidence du syndicat LCGB pour se consacrer à la gestion du dossier Proactif. Le CSV régresse plus que le LSAP : moins 12,59 pour cent, à 17,30, tombant à deux sièges au lieu de trois jusqu’à présent. Et Weber lui-même, dont c’était la première candidature politique sur le plan local, se classe septième sur la liste du CSV et n’entre donc même pas au conseil communal. Lundi soir, la première élue du CSV, Marianne Pesch-Dondelinger, « woman business manager of the year » en 2009 (667 voix aux urnes), se montrait plus conciliante, ouverte à toutes les discussions de coalition, qui devraient se faire sur le contenu. Les possibilités arithmétiques pourtant ne sont pas illimitées : soit une coalition à trois sans le LSAP, soit le LSAP avec un des trois petits partis. Mercredi, Guy Conrady annonçait que les Verts considéraient de discuter avec le LSAP en vue d’une alliance.

Roeser est une de ces communes dans la zone tampon entre la capitale et le Sud ouvrier qui grandit à la vitesse grand V – elle n’est passée à la proportionnelle qu’en 1999 – et qui fut longtemps régie par un de ces patriarches socialistes dont Will Hoffmann à Rumelange fut le dernier à prendre la retraite cette année. Roeser, c’était « Sinner-town », selon le maire Arthur Sinner, qui y a régné durant plus d’un quart de siècle. La majorité absolue de 2005 était aussi une conjonction de plusieurs popularités : Tom Jungen, la relève, était sorti premier des urnes en 2005, avec 200 voix de plus que le maire sortant Arthur Sinner ; les deux hommes ont alors convenu d’un splitting à mi-mandat, en 2008, lorsque Arthur Sinner a pris sa retraite et Tom Jungen devenait maire. Malgré les critiques contre le projet de Livange, Tom Jungen a pu garder son score de 2005 dimanche, l’améliorant même d’une vingtaine de voix personnelles. Ce fut donc aussi l’absence sur la liste des socialistes des très populaires Arthur Sinner et Pierrette Ferro-Ruckert, échevine sous le feu des critiques pour avoir tu le fait que sa famille possède des terrains sur le site du projet Livange, qui ont fait souffrir le LSAP.

Plusieurs des fiefs historiques du LSAP dans l’ancien Sud ouvrier sont tombés dimanche, mais, bien que certaines raisons soient structurelles – un changement des profils sociologiques de ces villes –, certaines sont aussi personnelles (les Luxembourgeois aiment panacher selon la tête du client) et, parfois même l’expression d’une envie de changement. Comme à Bettembourg, « Lucien-Lux-city » jusqu’en 2004, lorsque le maire historique (de 1988 à 2004) entra au gouvernement, régie durant 24 ans par le seul LSAP avec une confortable majorité absolue de huit sièges sur treize durant la dernière mandature. Or, dimanche, le LSAP a perdu presque onze pour cent des suffrages et tombe à six mandats ; le maire sortant Roby Biwer a dû laisser beaucoup de plumes, moins 900 voix personnelles à 3 126, peut-être aussi à cause de sa politique d’urbanisation ressentie comme trop volontariste.

Les voix et les mandats du LSAP sont essentiellement allés au CSV, plus 4,25 pour cent (à presque trente), qui gagne un siège pour en arriver à quatre, et plus huit pour cent pour Les Verts (à 18,80), qui récupèrent un deuxième siège. Le DP reste plus ou moins stable, autour de dix pour cent et un seul siège. Dès dimanche soir, Laurent Zeimet, tête de liste du CSV, auteur du programme-cadre national du parti pour les communales – et, accessoirement, journaliste politique au Luxemburger Wort, où il commente avec une plume acerbe l’actualité politique de la semaine dans une chronique joyeusement impertinente, pratique grâce à laquelle il connaît sur le bout des doigts tous les coups bas entre ennemis politiques – sentait le vent tourner. Dès le lendemain, une coalition de centre-droite, CSV, Gréng et DP fut convenue, avec Laurent Zeimet sur le trône du maire et Josée Lorsché (Verts) ainsi que Gusty Graas (DP) sur ceux d’échevins. Scénario dont le LSAP s’offusquait amèrement dans un communiqué lundi 10 octobre, estimant qu’il s’agissait d’une violation flagrante de la volonté des électeurs, qui auraient toujours la plus grande confiance dans les socialistes, malgré ces pertes de majorités absolues.

Kayl est une autre de ces bastions socialistes où le LSAP régresse : le maire John Lorent y perd sa confortable majorité absolue de 58,14 pour cent des voix et huit des treize mandats de 2005 : moins 14,1 pour cent et moins deux sièges. Si le DP et le CSV restent stables à deux respectivement trois sièges, les électeurs se sont rabattus sur Les Verts, qui engrangent 16,41 pour cent des voix et entrent avec deux sièges dès cette première tentative. Bien qu’aucun accord de coalition n’ait encore été signé à l’heure où nous mettons sous presse, le LSAP envisagerait une coalition avec, justement, les Verts.

À Schifflange, la majorité absolue du LSAP et de son maire Roland Schreiner tombe aussi, perdant 2,42 des 47 pour cent, mais un des sept sièges, en faveur des Verts, qui gagnent un siège à un total de deux. Significativement, le secrétaire général du CSV Marc Spautz, fils d’un ouvrier syndicaliste (devenu ministre) et tête de liste du parti dans cette ville ouvrière qui craint la fermeture définitive de son usine Arcelor-Mittal, n’a pas su tirer profit de la situation, ayant tout juste réussi à stabiliser son résultat à 28,49 pour cent et deux sièges. Idem pour le DP, qui reste à un seul siège. Roland Schreiner, qui perd 717 voix personnelles, n’excluait aucun scénario de coalition dimanche ; un retour à une coalition avec le CSV comme entre 1999 et 2005 serait possible, tout comme une prise en compte de la progression des Verts. Arithmétiquement, même une coalition des petits partis sans le LSAP serait faisable ; cela devrait se concrétiser durant les prochains jours.

Et la liste se prolonge : à Steinfort, « Jean-Asselborn-city » (l’actuel ministre des Affaires étrangères y régna durant 22 ans, de 1982 à 2004), le LSAP et son maire Guy Pettinger perdent un siège à cinq (et moins d’un pour cent et demi des voix, à 46,15), qui va au CSV. Le CSV (39,13 pour cent des suffrages) y cherche à faire une coalition sans le LSAP, avec le partenaire de majorité jusqu’à présent, le DP qui gagne 3,25 pour cent mais ne garde qu’un seul siège.

« LSAP verliert in mehreren Hochburgen » (le LSAP perd dans plusieurs de ses fiefs) se réjouissait le Luxemburger Wort lundi sur sa Une, affirmant que le CSV était désormais le parti avec le plus de poids dans toutes les communes votant selon la proportionnelle. Cela a le don d’agacer le LSAP, qui répondit le lendemain par voie de communiqué qu’il demeurait la plus grande force politique dans ces grandes communes. Son président Alex Bodry, pourtant, a dû lui aussi encaisser des pertes à Dudelange, où le LSAP régresse de presque six pour cent (par rapport à une majorité absolue de près de soixante pour cent en 2005), six pour cent ou un onzième siège qui représentent le score de La Gauche, entrant avec un siège (Marcel Lorenzini) au conseil communal. Une revendication claire des électeurs pour une politique plus sociale.

Le deuxième perdant des élections à Dudelange est le CSV (tête de liste : Sylvie Andrich-Duval), qui cède son quatrième siège en faveur de l’ADR (Trudy Reiff). Les Verts gardent leurs deux sièges et le DP ne s’était même plus présenté. Sans conteste, la démocratie augmente ainsi au conseil communal de Dudelange, qui passe d’une assemblée à trois partis à cinq formations, avec, néanmoins, toujours une majorité écrasante pour le maire et le LSAP (dix sièges sur 17).

Les raisons pour le déclin du LSAP dans certaines communes sont multiples, par exemple la percée généralisée des Verts lors de ce scrutin ou le retour de l’extrême-gauche en réaction à la crise sociale. Mais cela a sans doute aussi à voir avec une lassitude des électeurs de toujours être régis par les mêmes (un phénomène, on le verra plus loin, qui se reproduit dans d’autres constellations, avec d’autres partis), surtout si ce sont des patriarches de la vieille trempe. Le processus de renouveau des caciques du parti, après l’entrée au gouvernement de 2004, ne s’est fait qu’à moitié. Dans plusieurs villes, le LSAP semble simplement avoir oublié de faire monter une jeune garde – voir plus haut, Roeser, où la rupture de génération et le jeune âge du maire ont probablement aidé Tom Jungen à limiter encore la casse.

À Rumelange, la relève socialiste semble, elle, assurée. Le départ à la retraite de Will Hoffmann, maire historique durant 21 ans, n’a pas pénalisé le parti socialiste dans cette ville ouvrière à la frontière française : son successeur Henri Haine (48 ans quand même) peut se réjouir d’avoir fait un pour cent de plus avec son parti, perdant néanmoins un siège à sept mandats dans un conseil de onze membres, dû au système de calcul des sièges. La tête de liste a même gagné 125 suffrages personnels de plus que son prédécesseur. Et la démocratie augmente en parallèle : on y passe de deux partis, LSAP et CSV, à trois : les Verts ne s’étant plus présentés, leurs six pour cent de 2005 semblent avoir été distribués sur les trois autres partis, mais prioritairement sur le Parti communiste (Edmond Peiffer), qui regagne le siège perdu il y a six ans.

À quelques kilomètres de là, à Mondercange, Dan Kersch est sans conteste un des grands gagnants de ces élections du côté des socialistes : le maire sortant (et président du Syvicol) a pu passer la barre des cinquante pour cent des suffrages (plus quinze pour cent par rapport à 2005, plus deux sièges à un total de sept) et atteint donc la majorité absolue. Son partenaire de coalition jusqu’ici, le CSV, continue sa descente entamée en 1999 et perd encore une fois dix pour cent et un siège. Les Verts gardent leur seul mandat et les libéraux leurs deux sièges. Exit l’ADR par contre, qui perd deux pour cent et son seul siège. À Mondercange, pas besoin d’une gauche de la gauche, Dan Kersch, venant de l’extrême-gauche, n’a jamais cessé de revendiquer (et pratiquer) une politique sociale volontariste.

Georges Engel (42 ans), le maire socialiste de Sanem, représente également la jeune garde – et il a fait un triomphe dimanche, améliorant son score personnel de plus de 2 000 voix et faisant gagner onze pour cent des suffrages au LSAP. Qui passe de cinq à sept sièges – et aurait presque atteint la majorité absolue. Les Verts, partenaires de coalition jusqu’à présent, restent stables à trois sièges ; le DP garde son seul mandat et l’ADR perd le sien, au profit de La Gauche (Serge Urbany). Le grand perdant des élections à Sanem est le CSV, qui n’arrive pas à enrayer l’érosion de son électorat : sans le très populaire Fred Sunnen, il perd les onze pour cent que le LSAP gagne et se retrouve avec trois petits sièges (contre cinq en 2005 encore).

Autre commune où le CSV perd, une de celles sur lesquelles étaient rivés tous les regards : Käerjeng – commune de fusion entre Bascharage et Clémency, qui est en outre le fief du président du CSV et ancien ministre Michel Wolter. Qui s’y est découvert une passion pour la politique locale depuis 2005, passant au rang de maire en janvier 2010, après plusieurs remaniements, notamment suite à des dissensions sur le projet de fusion. Le CSV perd le pouvoir dans la nouvelle commune de Käerjeng, une régression de moins de trois pour cent a suffi pour perdre un siège (pour n’en garder que quatre). Michel Wolter estimait vis-à-vis de RTL Tele Lëtzebuerg dimanche soir qu’il était victime de son image souvent perçue comme négative (pourtant, il s’est classé premier à la sortie des urnes, améliorant son score personnel de plus de 700 voix) – et de la fusion, car l’accord signé entre les deux communes prévoit que le conseil de la partie Bascharage passe de treize à douze mandats. L’initiative citoyenne BIGK a disparu ici, son mandat de 2005 va sur le compte des Verts, qui en ont deux ; le DP garde son mandat.

Käerjeng pourrait avoir un jeune nouveau maire en la personne d’Yves Cruchten, 36 ans et secrétaire général du LSAP national, à l’avenir : le LSAP gagne presque huit pour cent mais garde ses cinq mandats. Dans la section Clémency, ancienne commune au système majoritaire qui a aussi voté selon la proportionnelle pour cette période de transition, le LSAP gagne 26,60 pour cent des suffrages et deux des cinq sièges, le CSV un siège et la BIGK (Bierger-Interessen Gemeng Käerjeng) du maire sortant Jeannot Jeanpaul atteint le meilleur score, 27,43 pour cent et deux mandats. Elle s’attend à être approchée par Yves Cruchten en vue de discussions de coalition.

À Differdange, Claude Meisch, président du DP, a incarné le renouveau il y a dix ans, lorsque les vieux caciques du LSAP étaient complètement sclérosés et que la ville tombait dans la morosité après le déclin de la sidérurgie. Après avoir fait un score de rêve en 2005, atteignant 42,54 pour cent des suffrages et huit sièges, les libéraux y perdent presque neuf pour cent des voix et un siège cette année. Les Verts, menés par Roberto Traversini, partenaire de coalition sortant, gagnent presque quatre pour cent et atteignent un troisième siège. Comme la population de la Ville a augmenté, le conseil communal passe de 17 à 19 mandataires, sept plus trois mandats suffiraient donc pour continuer la coalition, mais le DP voulait sonder toutes les options cette semaine. Le LSAP garde ses quatre mandats, mais perd presque un pour cent des voix ; le CSV reste stable à trois sièges. L’extrême gauche profite de l’augmentation du nombre de conseillers, car aussi bien le Parti communiste (Ali Ruckert) que La Gauche (Jeannot Logelin, premier élu chez les Verts en 2005, pour lesquels il était également échevin) entrent à la mairie, chacun avec un siège – ensemble, ils atteignent plus de dix pour cent des suffrages.

Plus périphérique, dans tous les sens du terme, la commune de Pétange stagne du côté des deux grands partis : le CSV perd un peu plus d’un et demi pour cent (à 40,39) mais gagne un siège suite à l’élargissement du conseil à 17 mandataires. Néanmoins, ses huit mandats ne suffisent pas pour une majorité absolue ; le maire sortant Pierre Mellina affirmait dimanche qu’il imaginait tout à fait une suite de la coalition avec le seul mandataire libéral, ou alors opter pour une coalition avec les Verts, qui ont gagné un deuxième siège. Le LSAP perd un siège et n’en garde que cinq, alors que l’ADR y fait son entrée au conseil. À Dippach, après de multiples revirements et scandales durant la mandature écoulée, le LSAP gagne le cinquième siège que le CSV perd et le DP garde ses deux mandats, se rendant incontournable dans la nouvelle coalition.

josée hansen
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