Taxation d'office

Combinards en rade

d'Lëtzebuerger Land du 04.06.2009

Une taxation d’office ne peut pas être une sanction contre les contribuables, vient de confirmer la Cour administrative. Mais attention à ceux qui voudraient tirer de cette procédure un avan-tage fiscal. Un avocat luxembourgeois, qui n’avait pas déclaré ses revenus pendant vingt ans, vient de l’apprendre à ses dépens. Outre les enseignements que l’arrêt de la Cour administrative contient, l’affaire vaut aussi pour son volet anecdotique. 

Un avocat luxembourgeois traîne à faire ses déclarations d’impôts, prétextant une surcharge de travail. Il n’a pas gribouillé une seule déclaration en vingt ans. L’Administration des contributions s’en énerve et brandit la menace d’astreinte. Rien n’y fait. Le 17 août 2006, le bureau d’imposition Luxembourg 2 émet alors des bulletins de l’impôt sur le revenu de 2002, 2003 et 2004 sur la base d’une taxation d’office. C’est à ce moment que l’avocat cesse de faire le mort et introduit (novembre 2006) une réclamation. Il y joint également ses déclarations de revenus se rapportant aux années 2002 à 2004. Il y déclare d’ailleurs des revenus qui paraîtront étonnement bas aux yeux de l’administration pour un avocat de son expérience : 52 320,45 euros pour 2002, 55 989,12 euros pour 2003 et 67 892,74 euros pour l’exercice suivant. S’il fournit un relevé exhaustif de ses dépenses, il rechigne en revanche à donner le détail de ses recettes, invoquant le secret professionnel auquel il est tenu vis-à-vis de ses clients. Son étude, argue-t-il, n’a pas l’envergure que lui a prêté le représentant du gouvernement dans le cadre de la procédure. 

Mettant en cause la taxation d’office dont il fit l’objet, l’avocat demande alors au directeur de l’ACD un examen de sa situation. Ce à quoi le directeur est obligé en lieu et place du bureau d’imposition. Il est tenu de prendre en considération tous les éléments de faits qui lui sont soumis, y compris des éléments dont le bureau d’imposition n’avait pas connaissance lors de la détermination de la base imposable, tranchera en première instance le tribunal administratif. 

La Cour ne lui a pas donné tort sur ce point. L’État avait fait appel de la première décision. Pas question de transformer le rôle du directeur de l’ACD de celui d’instance de contrôle à celui d’instance de première imposition. La loi offre d’ailleurs, selon l’interprétation qu’en a fait le gouvernement, au directeur le luxe de refuser de statuer sur une réclamation. Libre ensuite au contribuable, après six mois de silence, de saisir la juridiction administrative. La grande crainte du gouvernement, d’où son recours, était de voir s’instaurer un régime à deux vitesses : un premier avec des contribuables respectueux de leurs obligations déposant leurs déclarations dans les délais légaux et un second avec les « contribuables fautifs » qui tentent leur chance en se faisant taxer d’office dans l’espoir que les agents du fisc minimisent leurs revenus. Quitte, dans le cas contraire, à faire une réclamation auprès du directeur des contributions.

La Cour administrative a rappelé dans son arrêt du 19 mai dernier ses obligations au directeur de l’ACD de traiter toutes les réclamations. Cela n’a donc rien à voir avec une faculté laissée à sa discrétion, comme le soutenait l’État. « Le directeur ne saurait refuser un examen de la situation patrimoniale effective du contribuable dans la mesure où celui-ci lui rend l’exercice possible », ont souligné les juges pour lesquels la taxation d’office, loin d’être une sanction, est un « procédé de détermination des bases d’imposition ». Ayant le pouvoir de modifier l’imposition – en faveur ou non du contribubale – il a donc plutôt intérêt à s’appliquer aussi bien que le bureau d’imposition pour déterminer la cote d’impôt. Si sur ce volet l’avocat récalcitrant a marqué un point, il n’est pas certain pour autant qu’il sortira gagnant de la procédure qu’il a engagée. Car la Cour a jugé que le relevé sommaire des recettes qu’il a établi unilatéralement n’a aucune valeur probante pour documenter que la taxation d’office dont il fit l’objet s’écartait de ses revenus réels. Il ne peut pas davantage se retrancher derrière son secret professionnel. Les juges lui ont ainsi conseillé de fournir au directeur de l’ACD, devant lequel ils ont renvoyé le dossier, un certificat de revenu établi par les banques avec lesquelles il travaille, ou même un relevé de ses extraits bancaires. Libre à l’avocat de noircir les noms des donneurs d’ordre pour être en règle avec ses obligations de confidentialité. Manière en tout cas de renseigner le fisc sur la « vraie réalité » de ses rentrées d’argent. Il n’attendra peut être plus vingt ans avant de gribouiller ses feuilles d’impôts. 

Véronique Poujol
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