Musée de la forteresse

L’inventaire

d'Lëtzebuerger Land vom 30.04.2009

Patrick Sanavia, juriste de formation, a repris les rênes du Service des sites et monuments nationaux (SSMN) il y a huit mois. Le contexte restera difficile tant que le brouillard autour du musée de la Forteresse ne se sera pas dissipé. Une troisième loi avec un nouvel engagement financier devra suffire à mener le projet du musée à terme. En outre, le SSMN devra dresser l’inventaire du patrimoine architectural du grand-duché et établir des critères clairs pour pouvoir classer des objets à protéger. Et attendre le vote du projet de loi relatif à la conservation et à la protection du patrimoine culturel, déposé en 2000.

d’Lëtzebuerger Land : En attendant que l’orage autour du musée de la Forteresse passe, le SSMN a été doté d’un budget confortable. Cela signifie-t-il que votre service est davantage capable de gérer l’argent du Fonds pour les monuments historiques qu’il ne l’a été il y a quelques années ??

Patrick Sanavia : En janvier 2009, nous disposions d’un budget de 36 millions d’euros que nous avons réparti dans un plan pluriannuel de dépenses qui vont jusqu’en 2011. Nous avons répertorié chaque projet amorcé, tout engagement financier actuellement ouvert et toute nouvelle proposition qui se retrouvent, chiffrés, dans un fichier informatique, mis à jour de manière permanente. Comme le patrimoine dont nous devons nous occuper est traître par nature et que des dépenses imprévisibles peuvent nous tomber dessus à tout moment, nous avons élaboré des procédures internes qui permettent de procéder à des ajustements à tout moment selon une procédure prédéfinie. Actuellement, le SSMN gère 176 objets différents avec 184 projets qui impliquent 450 contrats. Il y en aura bientôt quelque 700 en tout, ce qui signifie qu’il faut une certaine rigueur pour garder le dessus. Le principe est simple : pour chaque dossier, je dois pouvoir être à même d’en connaître tous les détails en quelques minutes. C’est une des conséquences directes de l’affaire concernant le musée de la Forteresse.

Pourquoi n’était-ce pas possible plus tôt ? Depuis 1999, l’État s’est doté de nouvelles procédures comptables et le SSMN se retrouve aujourd’hui encore dans l’embarras, parce qu’il n’a pas été à même de se conformer aux nouvelles règles.C’est la question de l’œuf et de la poule – qui a été là en premier ? Le SSMN est une petite structure avec très peu de personnel. Il y a toujours eu plus de travail que de ressources humaines disponibles. L’aspect comptable a été négligé, certes, mais il faut comprendre que des personnes qui travaillent pendant trente ans dans un système, ne changent pas toutes leurs habitudes du jour au lendemain. Le premier souci du Service a été de s’occuper du patrimoine historique et de réagir vite sur le terrain, la priorité n’était pas tellement la gestion financière. D’un autre côté, il y a toujours eu une coopération avec le ministère de la Culture, qui était au courant des grands projets en cours. Sauf que la gestion financière a été négligée parce que les outils nécessaires n’ont pas été mis en place par le service. Mais ça a changé dans l’intervalle. Aujourd’hui, nous sommes capables de justifier à chaque instant où va chaque euro. 

Les mauvaises langues disent que l’origine des problèmes se retrouve dans le fait que l’ancien directeur et directeur honoraire Georges Calteux pouvait faire ce qu’il voulait à l’époque. Et qu’en plus, il est toujours très présent au Service, qu’il continue à y faire la pluie et le beau temps.

Monsieur Calteux s’est toujours très engagé pour le patrimoine historique du Luxembourg et il n’a rien fait dans son propre intérêt. Tout ce qu’il a réalisé a été approuvé par sa hiérarchie. Il est clair que ses idées sont encore les bienvenues. Il est encore le conseiller du SSMN pour tout ce qui concerne le projet du château d’Useldange et il s’occupe, via l’asbl Roots and Leaves, de la réalisation d’un projet aux États-Unis. Il siège aussi au sein de la Commission des sites et monuments nationaux et y a son mot à dire – tout comme les autres 21 membres. Et finalement, il fait partie du comité de coordination scientifique du musée de la For­teresse. Ce comité sera en veilleuse jusqu’à ce que les travaux du musée redémarreront, elle s’occupera alors des expositions temporaires. Je voudrais souligner que Georges Calteux n’est pas, de son propre gré, le « spiritus rector » du SSMN comme certains le prétendent.

D’autres critiquent le fait que le SSMN n’est plus dirigé par un historien, mais par un juriste.

Le Service dispose d’une équipe d’historiens, de conservateurs et d’architectes ; ce sont sept personnes qui s’occupent directement du patrimoine. Ce sont surtout leurs idées et propositions que nous tentons de concrétiser. La Commission des sites et monuments nationaux examine encore  les dossiers relatifs aux protections d’immeubles. Mon rôle est d’accompagner, d’animer et, surtout, de gérer le budget. Je vois ma responsabilité dans de cette partie-là.

Quels sont les critères qui servent à déterminer les objets qu’il faut protéger ?

Il faut distinguer entre le patrimoine féodal, le patrimoine industriel, le patrimoine religieux et le patrimoine rural et urbain. Une partie importante du patrimoine féodal est actuellement protégée et nous nous en occupons en fonction de l’état des bâtisses. Les travaux effectués ont trait à la sécurisation, à la consolidation, à la restauration et à la mise en valeur des sites. Nous comptons une vingtaine de châteaux dont les chantiers ne sont, par nature, jamais définitivement terminés. Surtout qu’il s’agit pour certains de vastes ensembles.

Ensuite, le patrimoine industriel. Là encore, nous traversons régulièrement des moments de suspense, car ces sites peuvent cacher de mauvaises surprises dès que nous commençons les travaux. La semaine prochaine, la secrétaire d’État Octavie Modert présentera les travaux à commencer sous peu au Château d’eau à Dudelange qui devra héberger l’exposition The Bitter Years  d’Edward Steichen. Le Fonds de Gras, Lasauvage, les Rotondes à Luxembourg-Ville et la Halle des soufflantes à Esch/Belval sont aussi sur la liste des priorités pour voir terminer sinon démarrer des travaux. Ce dernier projet devrait servir la mise en place d’espace de stockage pour des instituts culturels publics. Peut-être sera-t-il possible d’y rendre publique, temporairement, l’exposition du musée de la Résistance d’Esch/Alzette. Les travaux devraient commencer au cours de l’année prochaine. 

Quels sont les éléments qui font qu’un site est choisi plutôt qu’un autre ??Il est clair que nous devons tenir compte de l’accessibilité d’un site pour le public. Nous n’allons pas restaurer des bâtisses qui se trouvent sur un site industriel fermé. Il faut considérer les moyens d’interactions, chaque site a ses spécificités et est autrement utilisable.

Qu’en est-il du patrimoine rural et urbain ? Beaucoup d’objets ont déjà été détruits. Prenons le boulevard Royal par exemple. Et au niveau rural, il est sans doute difficile d’imposer une préservation du patrimoine dans le contexte de pénurie d’habitations et où le gouvernement souhaite créer des logements à tour de bras, non ?

En vingt ans, le SSMN a contribué à la restauration de plus de 15 000 immeubles (fermes anciennes, maisons urbaines …) par l’octroi de subsides et, surtout,  par des conseils professionnels. À ce niveau-là, nous avons atteint un rythme de croisière que nous voulons garder par une communication efficace. Ce qui manque, c’est une protection juridique cohérente et efficace. Le simple critère d’intérêt historique et architectural ne suffit plus comme argumentaire pour classer un objet. Il faut donc faire des recherches, argumenter, voire motiver les propriétaires et les communes pour nous suivre dans nos mesures. De même, nous devons considérer des secteurs entiers pour pouvoir protéger un site de manière cohérente. À ce niveau-là, ce sont les responsables des communes qu’il faut sensibiliser.

Enfin, il faut un inventaire de tous les immeubles dignes de protection sur l’ensemble du territoire luxembourgeois. Les communes sont appelées à dresser ces inventaires dans le cadre des nouveaux PAG et nous avons manifesté notre disponibilité pour les aider. Le Syvicol en est informé depuis novembre 2008. Nous avons fait des inventaires pour vingt communes du canton d’Echternach et de Diekirch. Des informations précieuses viennent d’ailleurs des communes et des historiens locaux, des personnes qui se sont regroupées dans de petites asbl locales et se sont spécialisées dans la recherche historique sur leur région. Du moment où quelque chose est protégé, il faut aussi veiller à ce que le bâtiment puisse continuer à fonctionner comme logement notamment. Il ne faut pas croire que nous voulons en faire des musées !

Ce relevé va prendre encore des années. Dans l’intervalle, beaucoup risque d’être déjà détruit.

Le SSMN est souvent sollicité lorsque les pelleteuses sont déjà sur le terrain. Je voudrais souligner que les autorités locales sont d’abord responsables pour leur commune et qu’ils ont intérêt à en préserver le cachet. Notre mission est d’agir par anticipation et non pas d’envoyer la cavalerie lorsqu’il y a urgence. Nous avons par exemple pris contact avec le service architecture de la Ville de Luxem­bourg pour éviter de répéter des erreurs qui ont été commises par le passé. J’estime qu’il n’est pas sain d’intervenir lorsque le propriétaire d’une bâtisse a déjà investi et qu’il a obtenu toutes les autorisations pour démolir et construire un nouveau bâtiment. C’est trop tard à ce moment-là, car il y va de la crédibilité de l’État. La commune devrait nous en informer dès qu’elle a été mise au courant d’un tel projet comme la maison Berbère dans la rue Glesener par exemple. Maintenant, nous comptons nous concentrer avant tout sur le boulevard Joseph II et le Pfaffental, en concertation avec la Ville.

Qu’en est-il du projet de loi sur la protection du patrimoine qui a été déposé en 2000 (d’Land, 7 mars 2008) ? Il ne sera plus voté pendant cette législature-ci.

Des amendements ont été approuvés en février de l’année dernière par la commission parlementaire compétente et depuis lors, plus rien n’a bougé.  

anne heniqui
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