Le duo Séverine Vidal et Victor L. Pinel, auteurs de La Maison de la plage, sont de retour avec Le Plongeon. Une histoire avec un EHPAD, de l’amour, du rire, des fesses et des rides

Une vieillesse pleine d’espoir

d'Lëtzebuerger Land du 19.03.2021

« La vieillesse est un naufrage », écrivit Chateaubriand. Sans vouloir contredire le précurseur du romantisme français, Séverine Vidal et Victor L. Pinel veillent, avec Le Plongeon – dont la couverture, avec un femme âgée assise dans un fauteuil au fond de l’eau, pourrait même ressembler à un clin d’œil –, à ajouter tout une ribambelle de nuances à la célèbre maxime.

L’histoire du Plongeon est celle d’Yvonne. Elle compte 80 printemps, quelques kilos en trop, en souvenir de ses quatre grossesses, et des cheveux blancs coupés au carré. Après s’être occupée d’un domaine viticole avec son mari, elle profite désormais de sa retraite dans son joli pavillon avec jardin. Son mari n’est plus, parti il y a quelques mois, après 58 ans de vie en commun. Ses enfants sont grands, mariés, parents, installées en ville. Pour partager sa vie, il ne lui reste plus que Bellouche, sa vieille chienne.

Bien qu’elle ait encore toute sa tête, la dame a décidé de vendre. Direction l’EPHAD (« établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » pour les non-initiés), autrement dit une maison de retraite. « Je n’ai pas le choix » explique-t-elle dignement à son voisin. On comprendra pourquoi un peu plus loin dans le récit. En attendant, malgré ce choix personnel et assumé, les adieux à la vieille maison de famille ne se font pas sans nostalgie. « Soyez heureux ici. Je l’ai été » dira-t-elle aux nouveaux propriétaires, un couple jeune qui aime les volumes de la bâtisse, mais qui compte tout refaire à l’intérieur.

À son arrivée à la résidence Les Mimosas, Yvonne doit réapprendre à vivre, à respecter des règles imposées, des horaires, des menus… et apprendre à accepter la directrice, les infirmiers, les autres résidents… Pour elle, c’est une longue chute vers la mort. Mais avant de faire son dernier plongeon, cette femme indépendante, pleine d’humour et de vie, compte bien encore profiter du temps qui lui reste. Certes les visites de la famille et de son petit-fils préféré, Tom, lui font plaisir, mais comme le veut la règle, la famille finit toujours par repartir, parfois même, elle annule les visites à la dernière minute. Non, la bouée de sauvetage d’Yvonne viendra de l’intérieur. Pas de la directrice qui la gronde à la moindre incartade, comme si elle était une ado, pas non plus des animateurs et de leur activités barbantes – poterie, relaxation… – mais un peu de Youssef, infirmier dévoué et plein d’humanité, et beaucoup d’autres résidents avec qui Yvonne finira par former une bande un peu rebelle.

Du coup, aux Mimosas vont commencer à fleurir des poteries en forme de phallus, on va fêter Noël en plein mois de mai, on fait des courses dans les couloirs ou de petites fêtes dans les chambres avec tout ce qu’il faut de vin, chips et cacahuètes... Ça change des médicaments et des après-midi à jouer au Scrabble ! Sans oublier les nuits à deux, dans les bras d’un gentil papy, à redécouvrir une sensualité et une sexualité depuis trop longtemps délaissées.

Attention, ce Plongeon, n’est pas un album de sketches humoristiques ou une BD de fesses. Pas du tout. L’approche de la mort, la dépendance, les douleurs chroniques, la démence, la perte de mémoire, la perte d’autonomie physique et autres abîmes de la vieillesse ne sont pas effacés. Juste remis à leur place. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ce récit. Il sent le vrai. Il joue de la nostalgie, mais sans en abuser ; il montre la souffrance avec justesse et sans angélisme, parvient toujours à garder un brin de lumière dans l’obscurité. Une lumière parfois transformée en véritable feu d’artifice par l’espièglerie, l’humour et la dérision de cette bande de vieux, dignes des Rusty boys d’Andy Bausch.

Le sujet est difficile, mais traité avec douceur et tendresse. Les personnages de Séverine Vidal ne sont pas des vieux, mais des personnes âgées, des seniors, qui vivent tous leur 80, voire leur 90 ans, avec dignité. Et Victor L. Pinel cadre ces personnages au plus près, mais en respectant toujours leur intimité, même dans les moments les plus dénudés ou de faiblesse. L’ensemble fait de ce Plongeon, un album subtil et plein d’espoir pour les futurs vieux que nous sommes tous à un niveau plus ou moins avancé.

Le Plongeon de Séverine Vidal et par Victor L. Pinel. Grand Angle. ISBN : 878-2-81897-899-3

Pablo Chimienti
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