Cité des sciences à Belval

Continuum

d'Lëtzebuerger Land vom 09.01.2015

France Gall chante Ella elle l’a (1987) lorsque Christian Veletta, architecte chef de projet au Fonds Belval, ouvre à plusieurs tours la lourde porte d’un des auditoires de la Maison du savoir. « Il faut que tout soit extrêmement flexible ici, dit-il. Quand nous avons entamé le concours d’architure, nous en étions à l’iPhone 1 – aujourd’hui, il y a le 6 ! » La semaine prochaine, les premiers employés de l’Université du Luxembourg emménageront aux étages 14 et 16 de la haute tour qui est déjà l’emblème de la Cité des sciences à Belval : ce seront les équipes du service infrastructures et logistiques, qui prépareront le déménagement des premières facultés à Esch pour la prochaine rentrée académique. Le bâtiment est fin prêt, en octobre 2014 déjà, deux membres du gouvernement ont remis les clés à l’Université, restent à réaliser les équipements des bureaux. Ce sont les techniciens en charge des câblages qui ont mis RTL Radio Lëtzebuerg sur le système de sonorisation central, histoire de ne pas se sentir si seul quand ils ont à traverser les 180 mètres du long couloir du bâtiment horizontal.

Le bâtiment de la Maison du savoir est l’élément central autour duquel se déclineront les différentes maisons thématiques, dont les constructions sont en voie d’achèvement, en cours ou, pour ce qui concerne la partie nord, encore en phase de planification. Il fut le premier pour lequel le Fonds Belval, maître d’ouvrage pour le compte de l’État des infrastructures publiques sur l’ancienne friche industrielle (investissement prévu : un milliard d’euros), organisa un concours d’architecture en 2007. Tous les regards furent alors dirigés vers le projet retenu, sur son symbolisme et son expressivité. « Nos trois grandes orientations y étaient dès ce premier projet », se souvient Sala Makumbundu, architecte en charge du suivi au bureau Christian Bauer & Associés, qui a gagné ce concours restreint (sur invitation) en association avec la filière suisse de Baumschlager & Eberle.

En premier lieu, suite à une analyse urbanistique du masterplan imaginé par Jo Coenen pour le développeur du site Agora, les architectes proposèrent que la Maison du savoir réagisse à la verticale que venait d’y imposer Claude Vasconi pour la Dexia et qui, avec sa tour d’un rouge flamboyant, concurrença de manière très offensive la majesté des hauts fourneaux déjà à l’arrêt. La Maison du savoir allait abriter le rectorat et les bureaux de l’administration et des professeurs dans une tour qui, avec ses 18 étages, se situe entre la hauteur du haut-fourneau et celle de la banque, pour une trilogie symbolique passé industriel, mission d’enseignement public et économie privée.

Deuxième considération : avec un programme de construction énorme – des centaines de bureaux, des dizaines d’amphithéâtres, dont un de 750 places, des salles de cours ou de laboratoires, un restaurant sur en tout plus de 53 000 mètres carrés – la construction allait devenir massive et très présente sur le site. Afin d’éviter un monolithe trop lourd, les architectes proposèrent donc de jouxter la tour d’une barre horizontale pour abriter la partie réservée à l’enseignement. Et, pour contrecarrer l’effet d’une barrière qui divise tout le site, ils surélevèrent cette barre afin de créer des ouvertures vers les autres bâtiments de la cité des sciences et de Belval – une sorte de continuum urbain. Les énormes porte-à-faux de 25 mètres à l’est et à l’ouest et le vide de 50 mètres au centre constituèrent un défi statique considérable, dont la résolution emprunte davantage à l’ingénierie des ponts qu’à celle du bâtiment (ingénieurs : Jan Van Aelst & Jean Schmit).

Et en troisième caractéristique, afin de donner une unité esthétique aux deux éléments, une façade en cassettes d’aluminium faisant aussi fonction de brise-soleil, légère et claire, allait venir habiller les deux carcasses, créant des jeux des lumières et, par le décalage de deux couches de ces éléments, une impression ludique selon l’heure et la météo.

En arrivant à pied du sud, en partant par exemple du Fonds Belval et en longeant les hauts-fourneaux, la maison de l’innovation (Bourguignon Siebenaler), le bâtiment biotech (WW Architektur & Management) et l’incubateur d’entreprises dans les anciens vestiaires (Arlette Schneiders), la vue sur ce mastodonte ne s’ouvre que peu à peu. Entre le socle en béton du haut-fourneau C, qui est sauvegardé en l’état de ruine, comme une folie romantique, et le torcher dont sortaient jadis les gaz de l’usine et dont le sort n’est pas encore tout à fait clair, la première impression qu’on a est celle d’une modernité discrète et élégante. Sous les porte-à-faux, Ingo Maurer a installé des lampadaires-champignons qui ont un air d’Alessi et qui doivent réduire un peu le gigantisme du bâtiment et créer des proportions à taille humaine pour les piétons qui y circulent. Sous le vide à l’est, un plan d’eau joue avec les reflets et la lumière. Le restaurant, qui a finalement été installé dans un bâtiment à part, entre en dialogue avec le socle du haut-fourneau C, par sa forme et son matériau, le béton.

Si, de l’extérieur, la façade donne effectivement structure et unité aux deux éléments du bâtiment, c’est de l’intérieur qu’elle offre les plus belles surprises : avec ses 1,25 mètre sur 1,25, la grille carrée découpe la vue vers l’extérieur et offre des cadres souvent inattendus, à la manière d’une œuvre de Daniel Buren. En regardant vers le nord, on voit un terrain encore vague, traversé par les infrastructures routières, alors que vers le sud, le regard est saturé d’éléments urbains. Entre les vestiges industriels, dont la salle des soufflantes vers l’est, et les nouveaux bâtiments universitaires, voilà une vraie urbanité, avec sa verticalité et sa densité, qui se développe. « Quand nous avons commencé le chantier en 2009, il n’y avait pas beaucoup de choses à Belval, se souvient Sala Makumbundu. Et maintenant, cela devient peu à peu une vraie ville ».

La Maison du savoir a été construite en six ans, ce n’est rien pour ce volume. Il n’y a eu aucun pépin majeur, pas d’arrêt de chantier, pas de procès de soumissionnaires qui se seraient sentis lésés suite à un appel d’offres – et la politique a suivi, en évacuant vite les textes législatifs nécessaires. Fixé à quelque 87 millions d’euros pour le bâtiment (index 2007) – le budget du Mudam, pour un volume autrement plus modeste ou la moitié de celui du Centre de conférences au Kirchberg, comparable –, la Maison du savoir coûtera au final, parking 600 places compris, 147 millions d’euros. Les finitions à l’intérieur sont correctes sans être luxueuses, des éléments comme les revêtements en acier brut des longs couloirs rythment une structure par ailleurs très rationnelle. L’essentiel, pour les futurs utilisateurs, soit l’Université, mais aussi le Fonds national de la recherche et la Fondation Restena (deux étages sont d’ailleurs encore vides), est que tout soit flexible et ajustable – d’où les faux planchers qui peuvent à tout moment être ouverts pour ajouter des installations techniques.

Même si elle a déjà servi pour de nombreuses manifestations – séance d’adieu au recteur Rolf Tarrach, remise de diplômes, visite d’État du président allemand Joachim Gauck –, l’inauguration de la Maison du savoir et le déménagement de l’Uni.lu à Belval seront parmi les principaux événements au Luxembourg en 2015. Alors ça tombe bien que le bâtiment soit un des neuf nominés au prix européen d’architecture Mies van der Rohe.

Quand nous sortons de la visite des lieux, London Grammar chante Wasting my young years (2013). Même la bande sonore a fait la connexion avec notre contemporanéité.

josée hansen
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