Jean-Claude Juncker (CSV) avait prévu une conférence de presse en tant que ministre des Finances, accompagné des responsables de son administration, pour présenter en détail les mesures fiscales contenues dans le projet de loi n°5924 déposé en même temps que le projet de budget de l’État pour l’année 2009, mercredi dernier, et qui, à côté des adaptations de la fiscalité des entreprises (d’Land, 3 octobre 2008), prévoit un certain nombre de mesures pour les personnes physiques. Car quoi de plus gratifiant pour un gouvernement en période préélectorale qu’une petite baisse d’impôts ? Or, depuis quinze jours, le gouvernement ne sort plus de la crise bancaire, enchaînant plans de sauvetage et réunions politiques européennes pour stabiliser la place. La conférence de presse sur les impôts prévue vendredi dernier, puis repoussée à ce lundi, a dû être remportée sine die. La réforme fiscale est passée au second plan.
Pourtant, les applaudissements pour l’adaptation linéaire du barème des impôts de l’ordre de neuf pour cent – alors que le comité de coordination tripartite de 2005-2006 avait décidé de geler ces adaptations et que le Premier ministre avait annoncé en mai, lors de la déclaration sur l’État de la nation, une adaptation de six pour cent, comme cette année – vont de gauche à droite. Ainsi, le syndicat de la fonction publique CGFP voit cette adaptation proche d’une neutralisation des effets de l’inflation sur le budget des ménages, qui fut une de ses principales revendications ces dernières années et Jean-Claude Reding de l’OGBL salue ce paquet fiscal, dans lequel il voit une mesure pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages, « mais je tiens à souligner que ce n’est qu’une des pistes ».
Or, à côté des neuf pour cent que chaque contribuable gagnera sur son salaire dès le 1er janvier 2009, ledit projet de loi poursuit la petite révolution entamée l’année dernière avec l’introduction du bonus pour enfant (d’Land, 12 octobre 2007) : les abattements d’impôts sont peu à peu transformés en crédits d’impôts. Cette réforme crée trois de ces crédits d’impôts supplémentaires et appelle cela « une importante innovation » : les actuels abattements compensa-toires des salariés, de retraite et monoparental sont remplacés par des crédits forfaitaires de respectivement 300 euros (pour les deux premiers) et 750 euros par an (pour le crédit monoparental). Ces sommes correspondent ou dépassent de peu le maximum de réduction d’impôt qu’un abattement compensatoire pouvait valoir – cette réduction est actuellement de l’ordre de 233,7 euros maximum pour les salariés et retraités.
Les crédits d’impôts s’inscrivent dans la logique de l’« impôt négatif », équivalant à une allocation universelle, qui serait la même pour tous les contribuables. « La notion ‘impôt’ change implicitement par les dispositions de la présente loi, pour comprendre dorénavant tant l’impôt positif que l’impôt négatif, » écrivent les auteurs du projet de loi (page 14). Et que « de ce fait, la notion de ‘contribuable’ est élargie également à la personne créancière d’un crédit d’impôt ».
Car pour le gouvernement, l’introduction de tels crédits d’impôts doit avant tout aider les petits revenus, les salariés et retraités qui gagnent si peu qu’ils ne payent pas du tout d’impôts. Une réforme fiscale qui consiste uniquement en une adaptation des barèmes ne les aide aucunement. Comme le bonus pour enfant, ces nouveaux crédits d’impôts seraient une « combinaison de politique fiscale et so-ciale » avait souligné Jean-Claude Juncker à la Chambre des députés la semaine dernière, cinq mois après avoir déclaré au même endroit que cette coalition visait une politique sociale plus sélective, qui décharge les petits revenus (d’Land, 30 mai 2008). Pour le contribuable, le crédit d’impôt pour salariés (Cis) se traduira par une ligne supplémentaire sur sa fiche de paye, qui vaudra un forfait de 25 euros par mois à tous les salariés. Cet argent sera versé avec le salaire par le patron, qui sera déchargé de cette somme lors de son décompte mensuel des charges patronales. Pour les retraités, ces 25 euros mensuels sont versés par la caisse de pension.
Les contribuables monoparentaux – les plus vulnérables, pour lesquels le revenu disponible est le plus limité et pour lesquels le risque de tomber sous du seuil de pauvreté est le plus élevé – obtiendront, sur demande, un crédit d’impôt de 750 euros annuel, soit 62,5 euros mensuels, qui remplacera l’abattement.
Une cinquième catégorie de crédit d’impôt prévue, pour les « intérêts débiteurs en relation avec le financement de l’habitation occupée par le propriétaire », donc sur un prêt contracté pour financer son logement, est repoussée. Selon Guy Heintz, le directeur de l’Administration des contributions directes, ce n’est que partie remise, le ministère des Finances voulant soumettre toutes les mesures fiscales et sociales en faveur de l’aide au logement à une analyse globale, en collaboration avec le ministère du Logement – ce qu’explique d’ailleurs aussi le projet de loi – , « puis on verra si un tel crédit peut être lancé en cours d’année, rétroactivement au 1er janvier 2009 ou s’il ne pourra être introduit qu’en janvier 2010 », se demande Guy Heintz.
Toutefois, ce projet de loi-ci adapte déjà quelques mesures en faveur de l’accès au logement : le plafond déductible de la prime unique versée au titre d’une assurance temporaire au décès à capital décroissant sera majorée, les intérêts créditeurs payés par les caisses d’épargne-logement sera entièrement exemptée d’impôts et le taux super-réduit de TVA à trois pour cent sur les frais de construction d’un logement pourra désormais s’appliquer jusqu’à concurrence de 500 000 euros (au lieu de 415 000 aujourd’hui), soit un gain net pour le contribuable qui passe de 50 000 à 60 000 euros.
Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a calculé à la Chambre des députés la semaine dernière qu’en tout et pour tout, la charge fiscale pour les contribuables sera diminuée de l’ordre de onze pour cent en 2009. Et que l’addition des mesures fiscales et aides pour les personnes physiques – adaptation générale du barème, introduction des nouveaux crédits d’impôts, transformation et augmentation de l’actuelle « allocation de chauffage » en une « allocation d’inflation » (qui sera plus que doublée à 1 650, voire 1 980 euros), augmentation du salaire social minimum et des pensions de deux pour cent au 1er janvier 2008, introduction des chèques-services pour la garde d’enfants (d’Land, 3 octobre 2008), réductions de la TVA… – représenteraient en tout et pour tout un investissement de l’ordre de 460 millions d’euros1 ou 1,2 pour cent du produit intérieur brut de la part de l’État pour soutenir le pouvoir d’achat de la population. Le message est donc clair : nous sommes le gouvernement de la politique budgétaire socialement sélective et du soutien du pouvoir d’achat, avec le gouvernement CSV-LSAP, tout le monde aura plus de revenu disponible dans son porte-monnaie – quel message pourrait plus efficacement influencer les électeurs de centre-gauche le 7 juin 2009 ?
Car malgré les impressionnantes progressions en pourcentages en termes de gain d’impôts – entre 75,3 et 180,6 pour cent de gain pour les contribuables avec un revenu imposable annuel de 15 000 euros, selon la classe d’impôt et le nombre de salaires par ménage – il ne demeure pas moins qu’en chiffres absolus, ce sont les hauts revenus qui gagneront le plus d’argent avec cette réforme. Certes, un contribuable avec un salaire annuel imposable de 100 000 euros ne gagnera que, en pour cent, entre 2,7 et 7,6 pour cent. Mais cela représente néanmoins un gain de 820 à 1 640 euros, selon la classe d’impôt. Cette coalition se veut donc certes très sociale, mais n’en oublie pas moins les classes moyennes si convoitées au centre, aussi bien par le DP que par les Verts.
« Bien sûr que nous nous réjouissons que chaque salarié, et avant tout les petits salaires, toucheront 25 euros mensuels de plus à partir du 1er janvier, » souligne le président de l’OGB-L, Jean-Claude Reding. Avant de mettre en garde devant les risques de dérive d’un recours généralisé aux crédits d’impôts : il ne faudrait pas qu’ils servent à décharger les patrons dans la politique salariale. Et, surtout : où va-t-on dans cette nouvelle approche des transferts sociaux ? En effet, toutes les corrélations entre mesures fiscales et sociales – comme le Cis avec les compléments RMG par exemple – ne sont pas définies, les administrations n’y voient pas encore tout à fait clair elles-mêmes. Et le président de l’OGBL s’inquiète déjà d’une possible abolition de certains services sociaux, avec l’argument que le contribuable pourrait désormais les « financer » avec l’argent des crédits d’impôt.
Pour le juriste du syndicat et ancien député de La Gauche, Serge Urbany, il est évident que l’abolition progressive des abattements fiscaux et leur remplacement par des crédits d’impôts procède d’une logique néolibérale, qui, avec, à l’horizon, la possibilité de l’introduction d’une flat tax (d’Land, 30 mai 2008) qui déchargerait les très hauts revenus, rognerait le système même d’une politique fiscale équitable, avec une progression de la charge fiscale selon le revenu. « In einer solchen Juncker-Gesellschaft werden die ‘armen Schichten’ von der Caritaspolitik (‘selektive Sozialpolitik’) abhängen, während die meisten Lohnabhängigen und Rentner sich selber versorgen müssen, » s’alarme-t-il dans le magazine électronique Goosch.lu (n°199 du 9 octobre).
« En tout cas, ce que nous demandons, et c’est une question d’honnêteté politique, c’est que tous les acteurs politiques se donnent maintenant le temps de discuter ouvertement de notre système fiscal, son orientation et son évolution, » dit Jean-Claude Reding. D’ailleurs, le Conseil économique et social avait déjà fait la même demande, lorsque le gouvernement lui commandita une étude sur l’introduction d’un impôt négatif, en 20042. Où, soudain, le système fiscal redevint une question idéologique et politique et, forcément, un enjeu électoral.
1 Le déchet fiscal relatif à l’introduction des crédits d’impôt s’élève en 2009, selon le texte du projet de loi, à 55 millions d’euros pour le remplacement de l’abattement compensatoire des salariés par le Cis, 36 millions pour les retraites, et sept millions pour le crédit d’impôt monoparental. L’adaptation du tarif d’impôt sur le revenu des personnes physiques entraîne un manque à gagner de 342 millions d’euros et les mesures fiscales en faveur du logement représentent quelque 20 millions d’euros.
2 « Le CES a fini par être convaincu que l’introduction d’un impôt négatif, concept complexe et protéiforme, dans sa forme pure et complète, impliquerait que l’on soit disposé à s’engager dans la direction d’une refonte substantielle, à la fois conceptuelle, institutionnelle et politique, de notre régime fiscal, de certains aspects de la sécurité sociale, du rôle du SSM, du mécanisme du RMG et d’autres mécanismes de transferts et de subventions, » écrivait le Conseil économique et social dans une lettre-avis en juillet 2004, peu après les dernières législatives.