Mammejong

J’ai pas tué ma mère

d'Lëtzebuerger Land du 23.01.2015

Sophie (Myriam Muller) et son fils Flëpp (Max Thommes) roulent en Vespa. C’est elle qui conduit, leur dégaine et leurs casques rappellent singulièrement cette célèbre scène de Myriam Muller à califourchon sur la Vespa de Thierry van Werveke dans le Club des chômeurs, en 2002. Hommage ou hasard, en tout cas, ce n’est pas fortuit : le premier long-métrage de fiction de Jacques Molitor (Sweet-heart come), Mammejong, produit par Bernard Michaux / Lucil Films et qui sortira en salles mercredi prochain, s’inscrit directement dans la lignée des films populaires d’Andy Bausch – l’humour en moins. En fait, Mammejong pourrait être le croisement des Troublemaker et des Club des chômeurs, avec un ovni comme Josh, le court-métrage de Govinda van Maele sur le désœuvrement des jeunes à la campagne profonde luxembourgeoise.

Flëpp et sa mère vivent une relation fusionnelle dans leur maison bourgeoise cossue, perdue dans un bled dominé par des éoliennes et des nouveaux lotissements qui poussent comme des champignons sur les ronds-points. Ensemble, ils exploitent un presse-tabac hérité du père, qui s’est suicidé il y a longtemps, et que la mère maniaco-dépressive considère comme « [leur] âme ». Flëpp a vingt ans, et il ne se passe strictement rien dans sa vie : il n’a pas d’amis, il ne voit personne d’autres que les clients du magasin, il n’a même pas de smartphone, pas de profile Facebook ou de compte Twitter. Depuis la mort du père, Sophie s’accroche de façon malsaine à son fils, l’empêche de vivre sa propre vie, elle essaie de le garder dans son enfance, lui parle comme à un bébé (« mon lapin »), s’inquiète tout le temps pour lui. Elle l’étouffe, et il réagit avec des crises d’asthme ou des apnées douloureuses durant son sommeil.

Mais parce qu’une bicyclette tombe en Chine lorsqu’un papillon s’envole en Californie, leur vie va forcément changer avec l’arrivée d’une mystérieuse et belle étrangère, Leena (Maja Juric), une jeune Bosniaque qui débarque « dans ce trou de merde » par hasard et avec une histoire traumatisante (qui ne sera pourtant jamais énoncée, on suppose qu’il s’agit de souvenirs de guerre). Leena fait des choses inouïes pour Flëpp, comme : pisser accroupie sur un terrain vague, voler des bananes pourries dans une benne à ordures du supermarché local, squatter dans un chantier en cours, fumer du shit et même jouer du banjo. En plus, wowow !, elle a pleins de tatouages et est libre et incontrôlable. Bien sûr, Flëpp tombe raide amoureux, sa mère fait des crises de jalousie contre cette « trainée de gitane », bref, tout s’accélère, jusqu’au jour où, comble de la transgression, Flëpp envisage effectivement de quitter le foyer familial pour voler de ses propres ailes (« pour devenir un homme, il devra prendre des responsabilités, faire des choix et des sacrifices » lit-on dans le dossier de presse). Alors ça tombe bien : Steve Bourg (Jules Werner), spéculateur immobilier local, lui achète le commerce pour 230 000 euros. Happy end ?

Que nenni, Mammejong est un drame, une complainte. Plus que l’histoire d’un seul personnage, il raconte celle d’une génération, voire même de toute la population luxembourgeoise, « qui a peur » et « préfère rester au chaud », selon le réalisateur. Sophie et Flëpp sont cloisonnés chez eux, le monde extérieur n’existe pas. Quand ils déjeunent ensemble dans ce décor parfait, cela fait presque peur, on étouffe. On pense forcément au premier film de Xavier Dolan, J’ai tué ma mère, où un jeune de 17 ans se rebelle contre sa mère qui l’élève seule aussi : les gros-plans du réalisateur sur la bouche de la mère qui mange déclenchent immédiatement des envies de tout casser avec lui. Ici, il n’en est rien : il n’y a pas d’ambiance. Pour une histoire d’amour et de grandes passions, c’est raté. Probablement parce que Jacques Molitor en fait trop : trop de pleurs, trop de pathos, trop de drame.

Les belles images de Jean-Louis Schuller (ces poursuites dans les champs de maïs) et le mal fou que se donnent les acteurs n’y changent pas grand chose : on reste distant, on n’est pas touché par ce trop-plein d’émotions. N’est pas Xavier Dolan qui veut !

josée hansen
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