« Imagine all the people »

d'Lëtzebuerger Land du 11.07.2025

Le LSAP critique désormais la hausse des dépenses militaires. C’est la jeune députée Liz Braz qui a amorcé ce revirement à la tribune de la Chambre, ce mercredi. Consacrer deux pour cent du RNB à la défense, passe encore : « On est conscients que cette obligation, on la doit depuis longtemps à l’Otan ». Cinq pour cent par contre, voilà qui serait « arbitraire » et « irréaliste ». L’heure d’actualité de ce mercredi a livré aux socialistes l’occasion de tancer le Premier ministre (qui, à ce moment-là, préparait une Tripartite qui ne devait pas s’appeler Tripartite). Luc Frieden aurait cédé « ouni Widdersproch », et ceci dès avant le sommet de l’Otan à La Haye fin juin, estime Braz. Une « position faible » qui serait typique des « génuflexions » et « flatteries » de l’Europe face au « Nato-Kinnek » Trump. (Liz Braz prend pourtant soin de souligner que le LSAP reste attaché à l’Otan, une position historique longtemps dictée par l’anticommunisme.) En parallèle à son intervention parlementaire, la députée postait une vidéo sur Instagram. On l’y voit se promenant dans les casemates du Bock, critiquant les « trois milliards d’euros » qui seraient dépensés à l’avenir dans l’effort de guerre : « C’est six fois plus que ce que le gouvernement investit cette année dans le logement abordable ».

« You may say I’m a dreamer », la députée CSV Nancy Kemp-Arendt a brièvement cité Imagine (« une de mes chansons préférées »), pour aussitôt contredire son auteur, John Lennon : « Malheureusement, la réalité est tout autre ». Dans le monde tel qu’il est, il faudrait encourager la place financière à commercialiser des actifs liés à l’industrie de l’armement. « Lëtzebuerg war laang een Luusspätter », a constaté le député libéral Guy Arendt, promettant aussitôt un « retour sur investissement » aux entreprises luxembourgeoises. Marc Goergen (Piratepartei) a utilisé à deux reprises le terme « de Russ », vis-à-vis duquel l’Europe serait devenue « trop confortable ». « Mir als Piraten stinn ganz kloër zur Nato, zur Allianz », a juré le député. (Une allégeance qu’ont également réitérée, quoique de manière moins enthousiaste, les Verts.) Le député ADR (et idéologue antiwoke) Tom Weidig a présenté l’ADR comme « un parti pragmatique », puis de revendiquer un référendum sur la question du budget militaire. Une convergence insolite s’est brièvement opérée entre les socialistes et les populistes de droite. Ces derniers ont été les seuls à voter avec le LSAP pour la motion appelant à ne pas dépasser « zu dësem Zäitpunkt » les deux pour cent pour l’effort de guerre. (La motion allait trop loin pour les Verts et pas assez loin pour Déi Lénk, les deux finissant par s’abstenir.)

Plusieurs orateurs ont thématisé l’embarrassante question du contre-financement. « À un moment, le compte n’y sera plus », craint Liz Braz, évoquant la stagnation de l’emploi et les prévisions maussades du Statec. La leader verte Sam Tanson y ajoute l’individuation fiscale (un déchet fiscal estimé à 900 millions par an) et la possible érosion des recettes sur le tabac (pages 8-9 de cette édition). Marc Baum (Déi Lénk) prédit une « solide vague d’austérité qui va s’abattre sur l’Europe ». Celle-ci engendrerait d’énormes tensions politiques qui, à leur tour, finiraient par booster l’extrême droite. « Donald Trump s’en réjouira. » Tom Weidig cède déjà à la tentation de la culture war. Le gouvernement aurait « jeté l’argent par la fenêtre », dit-il. Et de citer pêle-mêle le Film Fund, la transition énergétique, et « les x millions pour le Mega [ministère de l’Égalité des genres et de la Diversité] ». Yuriko Backes l’a envoyé promener : « Cher Monsieur Weidig ! Tant que j’y serai, pas un seul euro ne sera supprimé du budget du Mega. Cela, je peux vous le garantir. »

Les cinq pour cent du PIB (ou du RNB, dans le cas du Luxembourg) restent un seuil symbolique. D’autant plus que l’horizon 2035 est très lointain, politiquement parlant. Sam Tanson y voit surtout de la « rhétorique politique ». Les dépenses militaires au sens strict devront atteindre 3,5 pour cent. S’y ajouteront 1,5 pour cent en dépenses connexes (routes, réseaux, résilience, etc.). « De très nombreuses informations sont toujours classées », s’est excusée Yuriko Backes (DP). Elle a promis de communiquer plus de détails une fois la nouvelle trajectoire élaborée : « Ech mengen, dir kennt mech e bëssen. Ech wëll dat anstänneg präparéieren ». Sur sa chemise, Backes arborait ce mercredi une colombe avec un rameau d’olivier.

Elle a rappelé la menace « réelle », « évidente » posée par une Russie impérialiste : « C’est ça, la Realpolitik ! » Comme souvent, la ministre-diplomate s’est réfugié dans un langage de technocrate, truffé d’anglicismes : « nei targets », « renforcéiert host nation support », « de ganzen HR-Volet », « dat ass een all-government effort ». La ministre de la Mobilité et des Travaux publics a brièvement percé derrière la ministre de la Défense. Yuriko Backes a ainsi expressément salué une motion adoptée en mai par la Chambre, motion à laquelle les Verts avaient ajouté in extremis un tiret invitant le gouvernement à ne pas réduire « les investissements essentiels dans les infrastructures civiles, la transition énergétique et la résilience climatique ».

Bernard Thomas
© 2025 d’Lëtzebuerger Land