Les Âmes de papier

Les vivants et leurs morts

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2014

Écrire sur le deuil, c’est une chose. Tenter une comédie sur le deuil, une comédie romantique qui plus est, c’est le pari un peu fou et risqué que se sont lancé le réalisateur belge Vincent Lannoo et son scénariste François Uzan avec Les Âmes de papier.

La coproduction française, belge et luxembourgeoise (Samsa Film), sortie ce mercredi 15 janvier dans le pays, met en scène Paul (Stéphane Guillon) un « écrivain public » un peu spécial : sa spécialité, ce sont les oraisons funèbres. Quand la délicieuse Emma (Julie Gayet), jeune veuve et maman d’un fils de huit ans, vient s’enquérir des services de Paul, se sont toutes les habitudes de l’écrivain qui s’en trouvent bousculées. Car Paul, veuf lui aussi, s’est organisé depuis cinq ans une petite vie bien rangée, qu’il n’entend surtout pas bousculer par de nouvelles rencontres féminines ou même par la réminiscence de moments heureux de son passé en couple. Il occulte. Mais, à la faveur de la relation avec Emma, un risque majeur le guette : la tristesse qui l’habite pourrait bien se commuer en joie...

La tâche s’avère compliquée pour la jeune femme, et c’est le premier ressort du film : une difficulté d’approche de cet homme-ours qui renforce la tension amoureuse qui va très vite naître entre les deux protagonistes. Dans cette première partie, le loufoque fonctionne et donne lieu à quelques scènes très réussies ; celle, notamment, jouant la partition de l’humour et de la cocasserie, dans laquelle Paul confie à un gamin, lui parlant comme à un adulte, toute la difficulté de son métier, juste après une séquence tout aussi drôle d’humour noir déversé par le héros devant des petits médusés.

Le second ressort des Âmes de papier, c’est l’appel au surnaturel. À force de parler d’eux, Paul va faire revenir les morts... au sens propre concernant le plus « encombrant » d’entre eux, pour lui en tout cas : le mari d’Emma. S’ensuit toute une bataille plutôt comique entre les deux hommes autour de la femme qu’ils aiment tous deux, avant que le film glisse vers son message plus profond : les morts reviennent – au sens figuré – pour délivrer un message, dire au revoir, fermer une porte, et permettre aux vivants de poursuivre leur vie. C’est ce qui va arriver au fils d’Emma, à Paul, et à son voisin, Victor. C’est dans ce second ressort que le cinéaste a pris le plus de risques. Il a parfois du mal, en effet, à se défaire d’une symbolique un peu lourde liée à ce message et à la libération des personnages.

D’autres maladresses subsistent, du fait d’un scénario parfois un peu attendu, mais elles n’enlèvent rien à la délicatesse et à la sincérité du film. Tout juste peut-être un peu à sa subtilité et à son originalité. Le personnage de Victor, joué par le toutefois toujours excellent Pierre Richard, par exemple, est à la fois un régal de bougonnerie sympathique et un symbole un peu cliché de l’impossibilité de dire adieu à un proche ; le réalisateur en fait en effet un survivant de la Shoah dont toute la vie est consacrée à la recherche d’un signe laissé par son frère, mort lui dans les camps d’extermination nazis. Si son modeste studio est un modèle de ce qu’on peut faire de mieux en décoration au cinéma, avec cette pièce foutraque envahie d’archives, de vodka, de poussière, la référence à l’holocauste s’apparente à une solution de facilité.

Avec ce long-métrage, Vincent Lannoo confirme son éclectisme : il est l’auteur, en 2001, de Strass, filme « Dogme », ce manifeste initié par les cinéastes danois Lars von Trier et Thomas Vinterberg et dont le cahier des charges prévoit notamment de tourner en décors et lumières naturels, avec pour objectif de se défaire de productions trop formatées par moult effets spéciaux. Le réalisateur était aussi aux manettes, en 2010, de Vampires, un docu-fiction mettant en scène Julien Doré dans une communauté de vampires belges.

Avec ces Âmes de papier, il fait le grand écart: au fond, elles sont un joli conte de Noël (il est sorti en France le 25 décembre) ou de début d’année, une leçon de vie un peu maladroite mais délicate. Comme les contes de notre enfance, le film possède la symbolique qui peut aider un enfant à grandir.

Sarah Elkaïm
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