Les Communales dans la capitale

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d'Lëtzebuerger Land du 22.09.2005

Elle insiste. Rappelle même. «Vraiment, c'est très important. J'aimerais que vous saisissiez et fassiez passer ce message: il ne s'agit pas ici de carrières personnelles. Non, pour nous, l'essentiel, c'est de rester le parti le plus fort à Luxembourg-ville afin que nous puissions continuer à réaliser notre politique.» Quand Lydie Polfer, députée européenne, ministre des Affaires étrangères de 1999 à 2004, avant cela emblématique maire libérale de la capitale durant 17 ans, entre 1982 et 1999, et actuellement très contestée tête de liste du DP pour les communales du 9 octobre, parle de son programme, elle met souvent les actions prévues dans une perspective historique, celle des années Polfer. Or, aujourd'hui, elle se trouve dans la situation assez inconfortable de défendre la politique de la majorité, mais avec un regard de l'extérieur: appelée à devenir ministre en 1999, elle avait laissé la chaise si convoitée du Knuedler à son successeur, Paul Helminger. Puis vint l'échec cuisant des libéraux aux élections législatives de juin 2004, une perte de cinq mandats et le renvoi aux bancs de l'opposition, avec, surtout, un score catastrophique pour Paul Helminger, qui ne s'est classé que sixième de sa liste au Centre, derrière Lydie Polfer, Anne Brasseur, Niki Bettendorf, Xavier Bettel et Colette Flesch. Ce ne fut que le départ de Lydie Polfer pour le Parlement européen qui permit son retour à la Chambre des députés. Paniqué, le parti libéral commença un processus assez brutal de renouvellement de ses structures internes, et, pour la capitale – dernier grand mandat exécutif qui lui soit resté, comme durant les quinze années avant 1999 -, sortit les grands moyens, convainquant Lydie Polfer de revenir à ses premières amours et faire profiter le DP Luxembourg de sa cote de popularité que beaucoup lui enviaient toujours. En décembre 2004, Paul Helminger annonce qu'il ne se présente plus. Puis, se ravise et se présente en «simple candidat». Depuis lors, le vent a tourné plusieurs fois. Beaucoup d'électeurs ont fait comprendre au parti qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette éviction, Paul Helminger devint une sorte de martyr. Et puis, nouveau coup de théâtre, en juin 2005, le Politbarometer du Tageblatt classe même Anne Brasseur en tête du DP, devant Lydie Polfer et Paul Helminger. Depuis lors, le parti a essayé de fermer les rangs, de se montrer soudé et solidaire avec, comme message affiché que celui ou celle qui aura le meilleur résultat deviendra bourgmestre. Donc cela pourrait aussi être Anne Brasseur. «Mais il ne faut pas oublier que notre excellent résultat de 1999 était dû à 64 pour cent aux suffrages de liste,» explique Lydie Polfer. Entre 1987 et 1993, le DP avait légèrement perdu en voix, de 35,94 à 33,82 pour cent, remportant à chaque fois dix mandats sur les 27 sièges du conseil communal, pour finalement se redresser, avec le vent de la victoire aux législatives en poupe, et obtenir un peu plus de 39 pour cent des voix et un onzième siège en 1999. Pour le challenger du CSV, actuel partenaire de coalition du DP tout en étant son concurrent le plus sérieux pour les communales, le mouvement fut inverse: il perdait constamment depuis 1987: 27,78 pour cent et huit sièges en 1987, 24,54 pour cent et sept sièges en 1993, un peu plus de 22 pour cent et six sièges en 1999. Le prétendant au trône s'appelle Laurent Mosar, ultra-libéral jeune loup du parti – «avec son programme pour ces élections le DP m'a doublé à droite» se réjouit-il –, député, échevin, avocat et grand provocateur à l'éternelle bonne humeur. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker l'avait lui-même présenté au congrès du CSV de l'été 2004 – alors que Mosar devait renoncer à un poste de ministre malgré son bon résultat aux législatives –, comme «le futur maire de la capitale». Depuis, Laurent Mosar surfe sur le succès du CSV. Et Laurent Mosar est partout: sur les affiches qui bordent les routes, sur les terrasses des bars où les gens branchés prennent leur apéro, à toutes les actions pour la «mobilité douce» en ville, à deux manifestations électorales par soir, dans les maisons de retraite, on peut même le faire venir chez soi, si on est un groupe qui veut en savoir plus sur le programme du CSV pour la ville. Sa communication est identique à celle du parti en 2004: l'orange domine, et tout est centré sur une seule personne, comme s'il cherchait à reproduire «l'effet Juncker» de l'année dernière. Le CSV se donne un air jeune, à 47 ans, sa tête de liste a presque vingt ans de moins que Paul Helminger; sur les affiches, il pose en bras de chemise avec cravate, sur d'autres photos dans le programme électoral, il se veut encore plus jeune, en polo orange, jouant au football ou faisant un tour avec son équipe sur le marché. Néanmoins, malgré son énergie et sa bonne humeur affichées, le jeu est loin d'être gagné: sa cote de popularité était, en juin, de vingt pour cent derrière celle d'Anne Brasseur; en 1999, il récolta 6200 voix, contre 14602 pour Paul Helminger. Le CSV reçut quelque 67000 votes de liste, contre 144000 pour le DP. Son objectif: remonter à huit sièges, au moins, pour pouvoir rester dans la majorité, et, mieux encore, dépasser le DP et revendiquer – enfin! – ce mandat de bourgmestre. «Au moins, avec le CSV, les gens savent qui sera bourgmestre s'ils nous expriment leur confiance, s'emporte Laurent Mosar. Tous les autres partis ont soit une double tête de liste, soit plusieurs candidats, on ne sait pas qui on élit.» Les partis de l'opposition politique observent cette guerre fratricide intra-DP et intra-majorité avec beaucoup d'impatience. Tous, de gauche à droite, clament qu'il serait temps de changer de majorité, après 36 ans de la même constellation au Knuedler, afin de changer vraiment la politique de la capitale. Beaucoup d'observateurs spéculent sur une éventuelle majorité CSV/Verts – entrée au pouvoir que les Verts estiment avoir ratée de peu aux législatives de 2004. Mais dans la capitale, malgré le très bon score de presque quatorze pour cent et les 19502 voix de François Bausch au Centre à ces législatives, les quatorze sièges nécessaires pour une telle majorité semblent néanmoins assez loin du réalisable: en 1999, les Verts n'avaient fait que 8,7 pour cent pour occuper deux sièges dans la capitale. Les socialistes, quant à eux, sont aussi en perte de vitesse et se présentent surtout avec une liste élaguée de ses poids lourds (Jeannot Krecké, Mady Delvaux, Robert Goebbels) et radicalement rajeunie (avec beaucoup de «fils/filles de...») et féminisée. L'objectif de Marc Angel, président du groupe socialiste au conseil communal et tête de liste avec Martine Reicherts: reconquérir au moins un siège pour en comptabiliser six; de préférence même entrer dans la majorité politique avec ce score. François Bausch, quant à lui, se montre serein, recentrant toujours et encore le débat en professionnel de la politique, sur les compétences de son parti dans les domaines les plus discutés dans la capitale en ce moment: mobilité, urbanisation, intégration des étrangers. Car côté programmes, les similitudes entre partis sont déroutantes: tous les partis veulent une ville sûre «où il fait bon vivre», tous veulent désengorger les routes en favorisant et le transport en commun – qu'il s'appelle tram ou «solution par rails», qu'il passe sur ou sous terre –, et la «mobilité douce» (vélo, piéton). Tous veulent impliquer les citoyens dans la prise de décision et surtout, tous veulent créer des logements en nombre: un millier chez le CSV en six ans, ce à quoi le DP répond par 2000 logements à construire en six ans. Tous les partis veulent que soient publiés des relevés avec les terrains disponibles dans les zones déjà loties pour y faire construire de jeunes familles, et ils promettent de lutter contre la spéculation. La plupart demandent aussi que soit créé un poste d'échevin social, qui endosse la responsabilité politique des services et organisations qui œuvrent dans ce domaine sur le territoire de la capitale. En publiant, en juin dernier, le concept de développement de la capitale, réalisé par le bureau Zilm, le maire Paul Helminger a fait un magnifique cadeau préélectoral à tous les partis, qui l'utilisent tous dans leur campagne comme un bon point de départ pour leur vision du développement urbain. «Nous avons considérablement rajeuni notre liste,» souligne François Bausch: sur 27 candidats, une vingtaine sont complètement novices en politique. Mais, comme le LSAP, les Verts se montrent jeunes et en forme: dans le spot télévisé, on voit François Bausch faisant du jogging, les socialistes se présentent avec leurs t-shirts rouges au City Jogging, tout le monde est sportif et dynamique. Les libéraux, quant à eux, ont encore produit un acte manqué avec leur t-shirt flanqué d'une poitrine féminine habillée d'un bikini bleu fermé au milieu par le logo du parti. Le LSAP a immédiatement fait un communiqué leur reprochant d'être sexistes et de réduire les femmes au rang d'objet. La capitale compte 84000 habitants, dont soixante pour cent de non-Luxembourgeois. Il est redevenu à la mode d'habiter en ville, beaucoup de jeunes cherchent à se loger dans les quartiers populaires comme aux alentours de la gare, Hollerich, Cessange, ils sont en quête de cette urbanité. Il y a donc des chances que l'électorat traditionnellement libéral – commerçants, professions libérales, classes moyennes, voire des restes de la fonction publique – soit également en train de changer. Le 9 octobre montrera aussi si la mue de la capitale est terminée ou encore en train de se faire, le résultat sera aussi une question générationnelle.

 

 

josée hansen
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