Prix QuattroPole 2021

Anina Rubin couronnée

d'Lëtzebuerger Land vom 23.04.2021

La remise du Prix de musique QuattroPole, initié depuis 2019 par les villes de Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves, c’est tenue le 1er avril dernier. En cette année de tous les maux, la mutualisation des efforts des quatre villes frontalières pour mettre en réseau leurs scènes musicales numériques et innovantes, a pris forme en un concert du triptyque de finalistes Catherine Kontz, Rémi Fox, et Anina Rubin, depuis la scène des Rotondes (et retransmis en livestream). L’occasion de découvrir trois univers artistiques bougrement intéressants, et, au-delà, de se réjouir du succès de l’artiste de cru luxembourgeois Anina Rubin, qui a remporté le prix cette année.

Lors de la première édition, en 2019, c’est le compositeur Hervé Birolini qui raflait le Prix de musique Quattropole, non sans mérite à l’écoute de son EXARTIKULATIONS, phénomène de musique concrète, proposant « une exploration sensorielle de l’empreinte sonore et visuelle d’une forme, du geste, du mouvement ». Une relecture instrumentale, gestuelle et électronique de la partition de Rainer Wehinger du Artikulation de György Ligeti, pour un projet ambitieux et une vision nouvelle qui interpelle de contemporanéité. Birolini qui continue ses pérégrinations, en témoigne Des Éclairs – dont le live dans le cadre des MuseInSitu, est disponible sur YouTube –, dont l’approche brute, et sa vivacité expérimentale attire énormément.

Aussi, il advient d’attacher à ce « jeune » Prix, une grande rigueur dans la qualité des artistes sélectionnés. Créé sous le modèle du Prix d’art Robert Schuman, visant à encourager la création artistique dans la région, le Prix Quattropole constitue le second pilier du soutien à la coopération culturelle transfrontalière de la Grande Région, et aux artistes qui en sont issus. De leur vivier, Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves ont dégagé pour cette édition, trois finalistes visant à mettre en avant une création musicale novatrice, exultant sur ces territoires donnés.

L’alléchante dotation du prix, soit 10 000 euros, a stimulé bien des motivations et cette finale a rassemblé trois projets franchement tous aussi bons les uns que les autres, entre chant, musique électronique, collages sonores, ambiances 3D, scénographies immersives et modulables… Des projets en ondes, nouveaux – c’est le terme le plus précis et redondant pour les décrire –, mais aussi sensibles et artistiquement très puissants.

La compositrice luxembourgeoise Catherine Kontz a montré son 12 Hours. Un opéra d’un autre genre, associant étrange et vision futuriste, pour faire entendre une étude captivante des possibilités de la voix humaine. Travaillant aux limites de celle-ci, Kontz pousse son interprète, la mezzo-soprano Rosie Middleton, jusqu’au retranchement de ses possibilités artistiques comme physiques. Bien que dans sa monstration en livestream, Kontz ne présentait que quelques minutes des douze heures de performance, il y apparaît néanmoins rapidement une dramaturgie structurelle bien établie, mais aussi et surtout la force d’une pièce musicale et visuelle
magnifiquement éthérée, et tout à fait hypnotique – surtout devant un écran, au creux de la nuit qui se dessine à la fenêtre.

Le saxophoniste, compositeur et jazzman Rémi Fox, lui, a proposé un concept multimédia dispersif et immersif MiMo, déployant un univers sonore et visuel furieusement détonant, et particulièrement intriguant. Accompagné du collectif nOx.3 et de Linda Oláh, c’est un nouveau langage musical qu’il donne, comme étranger à notre compréhension de prime abord, nous happant ensuite dans un univers associant un travail musical électronique à des vidéo-projections diffusées à 360°, sur une scénographie voltigeant au grès de mouvements mécaniques. Un délicieux nouveau monde à explorer.

Bien que ces deux propositions n’ont pas déçu, loin de là, c’est Anina Rubin qui a convaincu le jury avec son projet musical Mit dem Mond im Gesicht. Une interprétation qualifiée de « remarquable » par Lydie Polfer, bourgmestre de la Ville de Luxembourg, mention qu’on aurait également pu utiliser pour qualifier la très belle prestation de l’artiste germano-luxembourgeoise. Elle signe en effet, une œuvre à la fois palpable et impalpable, faite de collage de morceaux de piano, de chant, de percussions, de synthétiseur modulaire et de nombreux enregistrements, pour accompagner l’auditeur dans un voyage hors de lui-même.

Après de nombreux projets « visuels », dans la vidéo, la sculpture ou la performance, Rubin se concentre maintenant plus spécifiquement sur le son, la voix, la narration et la musique, donnant à entendre et voir des projets immersifs musicaux ou numériques, un mélange de contes poétiques, couplés à une passion pour les réalités virtuelles et un amour éternel pour la sagesse et les sociétés anciennes. Un volet sonore qui aujourd’hui fait circuler son travail dans le monde entier. Part prédominante de sa pratique, l’utilisation d’instruments, d’ordinateurs, d’enregistrements de terrain, de canalisations et de médias high-tech et/ou futuristes, font maintenant partie de son quotidien. Ces nouveaux outils technologiques sont des outils inséparables de ses créations, et l’auront guidé jusqu’à ce couronnement par le Quattropole, et soyez en sûr, vers de nouvelles visions pour ses travaux futurs.

Godefroy Gordet
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