Art contemporain

Les lianes de Pompidou-Metz

Les ‘Frémissements’ de Susanne Fritscher à Metz
Photo: Lucien Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 14.08.2020

Un virus en a fait des velléités, plus question de véritable dépaysement. Les vacances seront pour la plupart locales, resserrées. On suggérera quand même un léger écart, et une soixantaine de kilomètres, ça doit être permis. En tout cas quand il s’agit de fêter le dixième anniversaire du Centre Pompidou-Metz dont le lecteur du Land a déjà pris connaissance des trois expositions qu’il présente jusqu’à des dates diverses. Et l’on ne le répétera pas assez, de la taille du Centre messin, quelles autres institutions sont à même de rivaliser, sur trois sujets si différents, enchanter le visiteur par des chefs-d’œuvre (on a évidemment où puiser), et enrichir son contact avec l’art moderne et contemporain, par un didactisme qui jamais ne pèse, et d’autant plus efficace (là où d’autres le laissent seul, sans aucun contexte).

La sculpture de Penone une fois passée, à l’entrée, dans ce qu’on appelle la Grande Nef, au rez-de-chaussée, c’est Yves Klein au milieu de ses contemporains, le compte rendu en est trop récent pour y revenir. La Galerie 1, avec Des Mondes construits, héberge toujours, jusqu’au 23 août 2021, un choix de sculptures de la maison mère, large éventail de matériaux, de démarches. À l’étage au-dessus, dans la Galerie 2, le titre est tout simple, Folklore, mais l’exposition ratisse large, dans l’impact à l’art dans l’essor de la modernité, à côté dans l’instrumentalisation (politique, d’un bord à l’autre) des arts populaires, plus tard dans sa marchandisation ; autre chose retient l’attention du visiteur luxembourgeois : comment Edward Steichen a eu des démêlées avec le fisc et la justice des États-Unis, pour introduire des sculptures du Roumain Brancusi, dont l’oiseau mythique Maïastra, à quel prix, celui du matériau, et les professeurs d’académie de se chamailler au tribunal pour savoir si c’était de l’art (ou quoi d’autre).

L’architecture de Shigeru Ban et Jean de Gastines, plus on monte, et plus les salles sont ouvertes, donne généreusement sur les environs, sur la ville. Et l’on est tenté de comparer, sous le chapeau chinois, la dernière structure en forme de tube parallélépipédique à une longue vue portant sur la cathédrale. Là, pas d’agencement particulier, dira-t-on que la galerie est restée vide, non, entièrement remplie, pleine, non plus. Mais des milliers, et plus, de fils de silicone pendent du plafond, bougent sous l’effet des flux d’air qui y circulent. L’installation de l’artiste autrichienne Susanna Fritscher, qui vit et travaille à Montreuil, pour ses travaux on lui a collé l’étiquette de « dame blanche », est en parfait accord avec les lieux ; ça s’appelle juste Frémissements, ce n’est rien de plus, c’est assez, en accord là encore avec l’immatérialité célébrée au rez-de-chaussée. Pour le visiteur, il y a là une perception renouvelée, en allemand parlons de Raumerlebnis, et une vue tout aussi inédite sur Saint-Etienne.

Pour Chateaubriand, « les forêts ont été les premiers temples de la divinité et les hommes ont pris dans les forêts la première idée de l’architecture ». Les lianes de Susanna Fritscher, en l’occurrence, sont plus ténues, plus fines, bougent plus, on passera dans l’image sur le fait qu’elles sont en réalité une plante grimpante ; on retiendra, au contraire, que pour Chateaubriand toujours, l’architecte chrétien a voulu conserver les murmures de la forêt.

Il est cette vue à travers ce qui se donne comme un voile, cachant moins que révélant. Les silhouettes des visiteurs y apparaissent de même, rythmant par leur déplacement ce qui s’apparente à un labyrinthe. Et puis, l’origine autrichienne de l’artiste a fait s’imposer dans l’esprit une autre image, de Schnürlregen, fortes traces ou traînées de pluie, averses ensemble drues et fines qui font comme un rideau derrière lequel se révèle quand même l’architecture enchanteresse de Salzbourg.

Au sujet des matériaux qu’utilise Susanna Fritscher, des fils de silicone à Metz, de leur effet, on laissera la parole à l’artiste : « Dans le jeu qu’ils instaurent dans et avec l’espace, la matérialité bascule et s’inverse : l’air a désormais une texture, une brillance, une qualité ; nous percevons son flux, son mouvement. Il acquiert une réalité palpable, modulable – une réalité presque visible… »

Frémissements de Susanna Fritscher, installation à la Galerie 3 au Centre Pomidou-Metz, jusqu’au 14 septembre 2020, heures d’ouverture les lundi, mercredi et jeudi de 10 à 18 heures, les vendredi, samedi et dimanche de 10 à 19 heures ; achat des tickets à l’avance conseillé ; www.centrepompidou-metz.fr.

Lucien Kayser
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