Querelles de clans, manque de renouvellement,
gestion comptable chaotique : la Confédération de la
communauté portugaise au Luxembourg (CCPL) va cesser ses activités

Clap de fin pour le lobby portugais

d'Lëtzebuerger Land vom 29.04.2022

Lorsque la plus récente édition du « Bildungsbericht » – dont plusieurs longs passages sont consacrés aux élèves lusophones et plus particulièrement aux inégalités sociales auxquelles ils et elles font face au sein du système scolaire luxembourgeois – a été publiée fin 2021, on se serait attendu à un tollé de la part des principaux concernés, ou au moins de leurs parents. C’était sans compter sur l’implosion et la très probable dissolution de l’association qui, pendant trois décennies, s’était imposée en tant que porte-parole de la communauté portugaise.

La Confédération de la Communauté Portugaise au Luxembourg (CCPL) fut fondée en 1991, c’est-à-dire à une époque où les « Gastarbeiter » portugais avaient déjà largement dépassé en nombre leurs prédécesseurs italiens et qu’il fallait se rendre à l’évidence qu’eux aussi, étaient venus pour rester. La CCPL n’a jamais caché son ambition. Selon ses statuts, elle a notamment pour objet de « se constituer comme interlocuteur central et porte-parole de la communauté portugaise au Luxembourg dans ses rapports avec le gouvernement luxembourgeois et d’autres instances nationales ». Alors qu’il existait déjà un certain nombre d’associations dans des domaines aussi variés que le folklore, le foot et l’entreprenariat et même quelques fédérations dans des secteurs spécifiques (d’où d’ailleurs la nécessité d’avoir recours au terme de « confédération »), le but était de réunir le gotha local lusophone au sein d’une même structure afin de mieux se faire entendre auprès du pays d’accueil. Le Luxembourg comptait alors près de 40 000 résidents de nationalité portugaise, mais il n’était pas question qu’ils puissent tous devenir membres de la CCPL, l’accès étant réservé aux délégués des associations ainsi qu’à une poignée d’individus tels que les représentants portugais du Conseil National pour Étrangers et des Commissions consultatives communales d’intégration (CCCI).

Parmi les six fondateurs, tous des hommes portugais, une moitié était issue de la fonction publique européenne et l’autre du secteur privé (un employé de banque, un magasinier et un ouvrier). Cette diversité, bien que limitée à l’occupation professionnelle et ne reflétant pas forcément, en termes sociologiques, la communauté portugaise, reste, trente ans plus tard, d’actualité dans le sens où les dirigeants successifs n’ont eu de cesse de déplorer le regard porté sur la communauté portugaise, souvent empreint de clichés et de stéréotypes liés à la forte présence de ressortissants portugais dans le secteur du nettoyage et de la construction. Au-delà de ce problème d’image, José António Coimbra de Matos a profité de sa longue présidence, qui s’est étendue de 2000 à 2015, pour thématiser à la fois les difficultés rencontrées par les élèves lusophones au sein du système scolaire luxembourgeois (il a notamment remis en question, bien avant d’autres, l’alphabétisation en allemand) ainsi que la participation politique de ses compatriotes. En ce qui concerne la forme, il n’a jamais fait dans la dentelle, jouant ainsi le rôle d’ambassadeur officieux, éminemment revendicatif et nullement limité à la langue de bois diplomatique, tout en battant régulièrement à la porte des décideurs politiques, et plus particulièrement des ministres en charge des ressorts de l’Intégration et de l’Éducation. La CCPL ne disposant pas de moyens financiers et humains pour mener à bien des campagnes ou même mettre en place une stratégie de communication, ses doléances trouveront finalement peu d’écho. Mais sur le fond, même ses détracteurs au sein de la CCPL reconnaissent, avec un certain recul, qu’il avait raison sur toute la ligne et qu’il avait entre autres bien fait d’insister inlassablement sur la question des langues d’enseignement.

L’année 2015 sera celle des chamboulements et des espoirs déçus. À l’issue de son dernier congrès en tant que président, Coimbra de Matos – qui s’était vu attribuer quelques mois auparavant l’Ordem do Infante D. Henrique, distinction honorifique décernée par le Président de la République portugaise, et qui, après une si longue période, semblait avoir définitivement fait le tour des choses – cède la place à Paula Martins, première femme à assumer ce poste. Alors qu’ils font, tous les deux, partie de la même génération, leurs parcours diffèrent sur pratiquement tous les points, ce qui aura des répercussions considérables sur leur façon d’envisager leur engagement.

Alors que le président sortant avait posé ses valises au Luxembourg en tant qu’adulte, qu’il assumait son tempérament militant et qu’il gagnait sa vie en partie dans le milieu associatif, celle qui lui a succédé est une enfant du pays. La CCPL se dotait ainsi, pour la toute première fois, d’une présidente qui, bien que née au Portugal, était passée par l’école publique luxembourgeoise, dominait les langues du pays, était notamment engagée dans un organisme aussi luxo-luxembourgeois que l’Ombudscomité fir d’Rechter vum Kand (entretemps rebaptisé Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher) et détenait même la nationalité luxembourgeoise. Compte tenu de ce profil et de ce parcours exemplaire, le conseil d’administration s’attendait à une nette amélioration de la communication avec les autorités et les médias nationaux. D’autant que, quelques semaines à peine après le passage de flambeau, un peu plus de 78 pour cent des électeurs luxembourgeois s’opposaient, dans le cadre d’un référendum, au droit de vote des résidents étrangers aux élections législatives, anéantissant ainsi tout espoir d’une plus forte participation des Portugais à la vie politique de leur pays d’accueil.

Face à ce qui a été perçu par bon nombre d’étrangers comme une véritable claque, Paula Martins, plutôt gênée par le fait que les communautés portugaise et luxembourgeoise se côtoient à peine lors des fêtes populaires et autres événements similaires, a préféré miser, lors de son mandat, sur le « vivre ensemble » (aussi, selon ses propres dires, parce que, dans le dossier de l’éducation, elle n’a pu que constater une certaine stagnation). Alors qu’elle assume, encore aujourd’hui, ce choix, ses critiques lui reprochent d’avoir complètement abandonné toute « approche politique ». Mário Lobo, ancien vice-président de la CCPL et ancien membre du Conseil National pour Étrangers, ne comprend pas qu’une structure aussi essentielle ait pu être réduite à promouvoir le fait de « manger des saucisses avec ses voisins ». Certes, il concède que, contrairement à tant d’autres, Paula Martins n’a jamais prétendu au titre de « roi ou reine des Portugais » du Luxembourg, mais l’absence de vision et de revendications politiques aurait desservi la communauté lusophone.

Un peu plus de trente ans après sa création, la CCPL est donc « sur le point de fermer ses portes », affirme Paula Martins. La possibilité d’une dissolution avait été évoquée dans les médias lusophones il y a une année, mais c’est bien la première fois qu’elle est confirmée. Comment a-t-on pu en arriver là ? Selon la présidente, qui s’était elle-même retirée entre 2018 et 2021 pour des raisons professionnelles, il est pratiquement impossible de trouver des personnes prêtes à s’engager de manière bénévole, un problème auquel se voient confrontées la grande majorité des associations, indépendamment de leur objet. Viennent s’y ajouter de fortes antipathies personnelles et la formation de clans qui pousseraient les membres restants à préférer l’extinction de la CCPL plutôt que sa survie aux mains d’ennemis. Paula Martins refuse en tout cas d’aborder le volet bien plus gênant des finances. En effet, la CCPL aurait, selon plusieurs sources, des dettes considérables.

Dès 2015, des salles ont été louées à Strassen afin de proposer, en tant qu’organisme conventionné, des cours de langue et d’informatique. D’un côté, cette activité répondait aussi bien à une véritable demande qu’à l’objectif d’intégration ; de l’autre, elle avait aussi pour but de générer des recettes, même modestes, les autorités nationales s’étant toujours montrées récalcitrances quant au financement d’une association portant le nom d’une communauté spécifique. Or, au fil des années, la gestion comptable de la CCPL serait devenue de plus en plus calamiteuse, voire partiellement inexistante. À la suite d’arriérés de paiement, le contrat de bail à Strassen a été résilié. D’après le site d’information LUX24, l’asbl aurait, à un moment donné, même arrêté de payer les factures de télécommunication, se retrouvant ainsi sans ligne téléphonique et sans accès à Internet. Le plus récent dépôt des comptes annuels, publié au Registre du Commerce et des Sociétés, correspond à l’année 2016. Depuis, c’est silence radio. Paula Martins estime que « ces choses ne se discutent pas sur la place publique ». Elle confirme seulement que le clap de fin n’est plus qu’une formalité et qu’il est envisageable de défendre les intérêts de la communauté portugaise à titre personnel, sans l’appui d’une association.

En théorie, les représentants portugais du Conseil National pour Étrangers pourraient prendre la relève. Mais Mário Lobo, qui a récemment dû démissionner de cet organe consultatif pour des raisons de santé, ne voit pas comment toute forme de lobbying peut être menée à bien avec aussi peu de moyens. À titre d’exemple, le budget mis à disposition des associations pour la campagne « Je peux voter », censée « promouvoir l’information à destination des non-luxembourgeois concernant le droit de vote aux élections européennes » (environ 100 000 euros), est inférieur à celui dont bénéficie le ministère de l’Agriculture pour un seul numéro du magazine GUDD ! (en 2020, la publication et distribution coûtaient 130 000 euros HTVA). Des étrangers qui comptent pour des prunes ?

Entretemps, le « Bildungsbericht » retient, parmi tant d’autres conclusions tout aussi limpides que démoralisantes : « Portugiesischsprachige Kinder, die keine der Unterrichtssprachen als Muttersprache erlernt haben, erfüllen in der 3. Klasse zumeist nicht die Mindestanforderungen (<Niveau Socle; 60-62%), doch bis zur 9. Klasse können sich davon immerhin 35-43% auf ein höheres Kompetenzniveau verbessern. » Il n’est pas certain que le défaitisme traduit par « immerhin » puisse être considéré comme un lot de consolation par les principaux concernés, désormais dépourvus d’un véritable groupe de pression qui œuvrerait en leur faveur, ou encore par un marché du travail constamment en manque et en quête d’une main-d’œuvre qualifiée.

Liliana Miranda
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