Mises en page, typographies, importance de l’image et format des pages en disent long sur l’évolution du Lëtzebuerger Land

Le fond au service de la forme

d'Lëtzebuerger Land vom 22.12.2023

Ça n’a échappé à personne dans notre Landerneau : le Land a changé de format. La semaine dernière, les rotatives d’Editpress ont imprimé ce premier numéro dans son nouveau gabarit. Il a perdu très exactement 707 centimètres carrés par page. Un changement de taille qui a nécessité plusieurs mois de réflexion, de discussions, d’explications pour que, d’ébauches en essais, de tests en expériences, le résultat soit à la hauteur de nos attentes. Le Studio Michel Welfringer a travaillé en collaboration avec la rédaction pour que le contenu et la forme servent la qualité du journal et apportent une plus-value aux lecteurs.

Depuis le 1er janvier 1954 et le premier numéro du Letzeburger Land (on l’écrivait comme ça à l’époque), son look a forcément évolué. Nous avons passé en revue les archives pour déceler les changements importants et ce qu’ils disent de leur époque et de l’image de notre hebdomadaire. Pour ce faire, nous avons mis le graphiste Thomas Tomschak à contribution. Le président de Design Luxembourg à l’œil aiguisé commence avec le tout premier numéro et remarque d’emblée : « Des typos sans sérif pour les titres, c’est audacieux ! ». Le sérif, c’est cette petite ligne, cet empattement ajouté aux extrémités des caractères. En tournant les pages, l’étonnement se manifeste plus en constatant le grand nombre de polices de caractères différentes qui se côtoyaient sur une même page, alternant justement les caractères avec ou sans empattement, « alors que les contraintes techniques étaient fortes ». Il faut se souvenir qu’à l’époque, le Land était imprimé en caractères de plomb (chez Bourg-Bourger, à Luxembourg), ce qui limitait l’audace. Pourtant, on repère, dès les premiers numéros des jeux graphiques originaux, principalement pour indiquer les titres de rubriques. Chacune avait un style particulier, la démarquant des autres : « Randbemerkungen », avec des brèves sur une colonne ; « Briefe aus dem ganze Welt », pour l’international ; « Wirtschaftsblatt », les pages dédiées à l’économie ; « Literatur – Kunst – Wissenschaft », pour que la culture ait une place importante. La dernière page, « Jonktem », cible les jeunes avec des articles sur le scoutisme, le sport, les écoles, l’argent de poche, les jeux... Diverses rubriques apparaîtront et disparaîtront au gré de l’importance accordée au sujet : « Fir ons Damen », « Auto, Strasse und Verkehr », « Bauen und wunen », « Die Sportwoche »... (Il faudra attendre les années 1980 pour des pages dédiées spécifiquement aux banques.) Ces pages notamment contiennent de nombreux encarts publicitaires, souvent composés par et pour le journal, avec des graphismes et des slogans typiques des années cinquante, dont le style a marqué l’histoire du design.

Les premiers Land sont vendus à 5 francs. Ils font douze pages de 34,5 sur 48,5 centimètres. Les feuillets sont denses, pour ne pas dire très denses, en textes, « comme si on avait peur du vide », commente Thomas Tomschak. Un filet sépare les colonnes. Il y a très peu de photographies, elles ne sont que rarement créditées avec le nom d’un photographe. En revanche, les illustrations et dessins humoristiques sont très présents, quelques cartes et schémas aussi.

En 1966, le Land s’allonge quelque peu, pour atteindre 54 centimètres de haut. Le papier est plus fin et plus souple. Il est imprimé à l’Imprimerie centrale où il restera jusqu’en 2012. Les titres changent de police de caractère et adoptent du serif. Les pages s’autorisent plus de blanc, notamment entre les colonnes et entre les articles, à la place des filets. La Une se dote d’un sommaire, d’une photo (« Das aktuelle Bild », avec quelques lignes de légende) et d’une caricature, illustrant un article. Certains articles ont désormais un « chapeau », une introduction dans une autre typographie qui prend plusieurs lignes. Les gros titres fantaisistes ont disparu. Les rubriques ne sont presque pas annoncées, on passe d’un sujet à l’autre sans crier gare. On repère quand même l’encadré « Télé-Œil » au graphisme charmant (le T dans une télévision et le O imitant une pupille) et au ton acerbe. « La nouvelle émission de Télé-Luxembourg, De nos clochers, n’a pas démarré sur les chapeaux de roues. Elle a adopté le niveau le plus bas possible, au point que l’on se demande si dans le titre il n’y a pas un « r » de trop », lit-on ainsi le 11 octobre 1968. La dernière page, « d’Ländchen » comprend un contenu humoristique qui clôturera pendant longtemps le journal : caricatures, poèmes, coups de gueule…

Nouveau changement de taille en 1976 : 30,5 sur 43 centimètres et un passage à seize page. « La liberté des années soixante semble s’essouffler, les pages sont plus austères », note Thomas Tomschak. Il y cependant plus de photos, de plus grande taille et elles sont parfois placées au-dessus des titres. La colonne de brèves s’appelle maintenant « Am Rande » (et Am Rändchen dans le Ländchen), la photo du moment atterrit en deuxième page. Rien ne changera dans les années 1980, si ce n’est l’apparition de la couleur dans certaines publicités. Domaine dans lequel, l’évolution de l’économie luxembourgeoise se remarque clairement : les banques et les concessionnaires automobiles achètent des encarts publicitaires de plus en plus grands, alors que le secteur de la confection, les marques alimentaires, de boissons ou d’électro-ménager se font plus discrètes. Des cahiers thématiques, qu’on n’appelait pas encore suppléments, font leur apparition autour de sujets marquants comme les institutions européennes, la finance, l’automobile ou l’immobilier. En 1989, le Land coûte 45 francs et passe à vingt pages. Pendant dix ans, l’hebdomadaire changera très peu malgré l’arrivée massive d’outils graphiques et informatiques qui a secoué bien des médias. « Des apprentis sorciers du graphisme essayaient chaque bouton de leurs magnifiques programmes – avec le recul, on se rend compte que la circonspection des anciens dirigeants du Land dans l’adaptation de la maquette aux nouveaux moyens techniques était une aubaine, cela nous a évité bien des pollutions esthétiques », note Josée Hansen en janvier 2004, à l’occasion des cinquante ans du Land. Un regard affuté remarquera quand même plus de cadres autour des rubriques, l’apparition d’intertitres et plus de soin apporté aux légendes.

Le photographe Martin Linster a rejoint le Land en 1997. Il y apporte un regard souvent insolite, parfois impertinent qui était absent de la presse de l’époque. Parallèlement l’équipe commence à réfléchir à une refonte de sa maquette pour renouveler son lectorat. « C’était très gris, très rempli », se souvient Josée Hansen, journaliste arrivée en 1996. Par un heureux hasard, Tom Gloesener, étudiant en graphisme à la Norwich School of Art and Design, avait repensé le look du Land comme travail de fin d’études. Son projet devient réalité avec le numéro du 11 juin 1999. On y trouve, ce qui est devenu notre ADN : des articles de fond et d’analyse, une valorisation des éléments visuels comme la photographie, et les illustrations (de Roger Leiner), beaucoup de blanc, d’espace et une lecture plutôt horizontale, de deux pages en vis-à-vis. Des nouvelles pages de brèves, de la place pour des auteurs venant de l’extérieur, des signatures plus visibles et des citations en exergue sont d’autres innovations. Le titre change également : Dans « Lëtzebuerger Land », le e gagne un tréma et le u est suivi d’un e, tout ça sans serif. « C’était une révolution à laquelle personne n’est resté indifférent », raconte l’ancienne journaliste.

Une autre révolution aura lieu en 2012, avec l’adoption du format broadsheet. Dans une maquette mise en œuvre par le studio VidaleGloesener. Un geste fort qui marque l’attachement au papier, à un moment où l’internet et les réseaux sociaux prennent le pas dans l’édition : « In einer Zeit, da sich immer mehr Zeitungen fast schämen, noch Zeitungen zu sein, und im Kampf gegen den Auflagenrückgang bis zur Selbstauflösung zu schrumpfen scheinen, um vielleicht bald nur noch im Internet zu überleben, bekennt sich d’Lëtzebuerger Land stolz zum Medium Zeitung », revendiquait en chef Romain Hilgert dans le numéro du
29 juin 2012. Une esthétique élégante qui garde les spécificités mises en place en 1999 (police de caractère, photo, blanc…), tout en la faisant évoluer. La Une avec sa photo en pleine page devient le symbole de ce changement, un choix radical qui reste largement de mise aujourd’hui. Si le geste est fort, les réactions le sont aussi. « Beaucoup de gens se sont plaints de la grande taille, mais saluaient le courage d’une telle mise en page », relate Josée Hansen.

En 2019, il est fait appel à Michel Welfringer pour repenser les suppléments. Il travaillera aussi sur une évolution de la maquette en ajoutant des filets, remaniant les marges et les citations, réinventant les pages de brèves et jouant sur la largeur des colonnes. « Une maquette de transition », estime Thomas Tomschak. Le graphiste voit dans le nouveau layout tel qu’il est réalisé aujourd’hui « une tendance plus magazine mais qui garde un côté intello ».

France Clarinval
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