Au cœur de la capitale, du haut des ambitions artistiques immenses de la Ville, se dresse le Cercle Cité et ses murs séculaires. Construit entre 1904 et 1905 dans un style néo-baroque, l’imposant bâtiment est né dans le bouillonnement du début du vingtième siècle. Longtemps nommé Cercle Municipal, l’endroit marquait le symbole d’une ville qui se modernisait, portée par une société en transformation, faite du désir de prestige et de réjouissances. Ses murs ont aussi été témoins de la guerre, souillés par le nazisme, libérés ensuite pour devenir dans les années 1950 le siège de la Haute autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
Aujourd’hui, le Cercle Cité reste un symbole de mémoire, de la diffusion artistique mais aussi d’un dialogue citoyen. Une bastide de l’art, où deux femmes tissent une programmation artistique à l’image d’elles-mêmes. Marion Vergin et Camilla Cuppini ont été choisies par l’Agence luxembourgeoise d’action culturelle (Alac) pour succéder à Anouk Wies et Anastasia Chaguidouline. Elles doivent assurer une programmation multidisciplinaire capable de toucher un public large, sans renier des ambitions artistiques et intellectuelles tout en respectant un cadre budgétaire millimétré.
Commençons par Marion Vergin, coordinatrice, stratège des expositions, au regard aiguisé face aux murs blancs du Ratskeller. Diplômée en design d’espace, en histoire de l’art et en études curatoriales, elle a fait ses débuts au Centre Pompidou-Metz et au Mudam, dans la mise en œuvre des expositions, avant de rejoindre l’équipe du Cercle Cité en 2019, en tant que chargée de production culturelle. « Je m’occupe toujours de la production des expositions et de la régie des œuvres d’art. » Elle a aussi la charge de la programmation et de la coordination de la CeCiL’s Box avec Iyoshi Kreutz. Dans son parcours elle conjugue ainsi des références théoriques et des savoir-faire techniques, « combinaison qui me permet d’articuler une réflexion conceptuelle et la réalisation concrète, en établissant un dialogue entre pensée, espace et pratique ».
Camilla Cuppini travaille aussi dans les coulisses invisibles mais essentielles du lieu. Si le Cercle Cité était une scène, elle y ferait bouger les machines et les rideaux. Embauchée à la même époque que sa consœur, elle a coordonné le Centre de conférences avant de prendre ses fonctions actuelles. « Ce rôle m’a permis de renforcer ma connaissance du paysage culturel local et de développer des collaborations solides avec la Ville de Luxembourg ainsi qu’avec diverses institutions culturelles ». Titulaire d’un master of arts de l’University College London et d’une maîtrise en lettres modernes de l’Université de Bologne, elle se présente comme une « humaniste passionnée ». Un trait de caractère qui fait sens avec ses engagements associatif et sociétal, notamment dans le domaine interculturel. Elle était aussi candidate du DP aux dernières élections municipales. En charge pour Camilla Cuppini, de piloter l’organisation des événements, conférences, projections ou vernissages, la coordination logistique, et de veiller à l’accueil du public. Un poste polyvalent qui correspond parfaitement à son parcours international. « Concrètement, mon rôle au Cercle Cité consiste à concevoir et à mettre en œuvre une programmation culturelle avec Marion qui soit à la fois cohérente avec la politique culturelle de la Ville de Luxembourg et ouverte sur la scène locale et internationale ». En sus, elle s’occupe de la mise en œuvre opérationnelle des événements, des relations publiques, de la représentation du Cercle Cité et du développement des partenariats.
« Comme pour les événements, nous concevons ensemble la programmation des expositions en recherchant activement des projets locaux et internationaux ou en analysant ceux soumis par des tiers, le tout en synergie avec la politique culturelle de la Ville de Luxembourg », insiste Marion Vergin. Elle coordonne ainsi les expositions en prenant en charge les aspects relatifs à la production, à la régie des œuvres d’art et au montage. « J’interviens désormais à toutes les étapes de leur élaboration, garantissant ainsi la bonne marche de l’ensemble ».
Ensemble, Marion Vergin et Camilla Cuppini travaillent à une synergie qui s’actionne en un triptyque de la conception des programmes, à l’animation des publics, en passant par toute une mise en œuvre logistique. Dans ce sens, le duo fait vivre l’offre culturelle innovante, locale et participative du Cercle Cité. « Nous souhaitons mettre en avant une programmation qui combine créativité et accessibilité, tout en restant en prise avec l’actualité ».
Les deux responsables ont pris leurs fonctions en janvier 2025, prenant la suite d’Anastasia Chaguidouline, elle-même succédant à Anouk Wies, mais ne restant que deux ans et demi à la tête de la programmation du Cercle Cité. Un court épisode curatorial qui interroge la gouvernance mais sur lequel le duo en place reste discret et concret : « Nous perpétuons l’héritage de nos prédécesseuses en poursuivant notamment les collaborations avec les partenaires de longue date tels que le Luxembourg City Film Festival, le Mois européen de la photographie, la Photothèque de la Ville de Luxembourg et d’autres institutions culturelles ancrées dans le territoire ». Rien de nouveau sous le soleil institutionnel, dans lequel le Cercle Cité est plongé. Nos deux interlocutrices le décrivent comme « très favorable à la création culturelle », et insistent pour remercier les coordinatrices culturelles Vanessa Cum et Françoise Lentz, avec qui elles partagent « une collaboration précieuse et de confiance ».
Et c’est un luxe, quand on sait que la liberté curatoriale est parfois un véritable enjeu face aux contraintes institutionnelles, d’une structure culturelle financée par les pouvoirs publics. De ce point de vue, il est intéressant de comprendre comment Marion Vergin et Camilla Cuppini concilient l’exigence institutionnelle d’un lieu comme que le Cercle Cité avec leurs ambitions de proposer des formats artistiques expérimentaux, alternatifs et nouveaux. « Cela se reflète dans les formats d’exposition que nous avons pu proposer cette année. De l’expérience immersive des œuvres Ceci est mon cœur et Oto’s planet, lors du Luxembourg City Film Festival, à l’exploration du renouveau de la photographie à l’ère des nouvelles technologies dans le cadre du Mois européen de la photographie, sans oublier la jeune création contemporaine et les thématiques profondes qui nourrissent leur travail, mises en lumière dans la CeCiL’s Box. Cet été et comme tous les ans, cette dynamique est ponctuée par l’exposition de la Photothèque de la Ville de Luxembourg, qui, à travers ses archives, met en valeur le patrimoine local », décrivent-elles.
Une programmation qui associe diverses dimensions culturelles, dans l’idée d’une participation des citoyens et des publics « non-initiés » et à leur inclusion dans ladite programmation, « pensée pour toucher différents publics et encourager leur participation active, afin que chacun puisse vivre pleinement l’expérience culturelle », expliquent-elles. Cette dimension démocratique et sociale de leur travail, et les questions liées au dépassement des élites culturelles et surtout à l’accessibilité de l’art sont palpables dans les lignes programmatiques du Cercle Cité. Sans entrer dans les détails, elles mentionnent l’important travail de médiation – une évidence pour un tel lieu – réalisé dans les quatre langues du pays, « permettant ainsi de rendre l'art plus accessible et plus facile à appréhender, le tout sans frais d’entrée ».
Et dans ce sens, Marion Vergin, Camilla Cuppini et les équipes du Cercle Cité ont façonné une programmation en marge de la folie urbaine, qui pourtant continue de secouer les murs de l’institution centenaire. S’installera au Ratskeller à partir du 11 octobre prochain, La forêt. Solitudes et solidarités. Une exposition réunissant des artistes contemporains qui explorent les relations complexes qui se tissent entre les environnements urbains et forestiers. L’ensemble des œuvres promet de mêler paysages émotionnels et frémissements collectifs en plantant ses racines dans un choc entre ville et forêt. D’un côté, l’urbain productiviste saturé et stressé, de l’autre, le bois refuge romantique, mirage sauvage et salvateur. Un projet qui fonctionne dans la continuité de l’exposition estivale autour de la nature domestiquée avec les images issues des collections de la Photothèque.
Quand « entrer » dans une exposition du Ratskeller est souvent captivant, parfois, on aime aussi rester dehors. Car, au-delà de ce qui se trame dans leurs murs, l’impact de la CeCiL’s Box ou certains des événements pluridisciplinaires sur l’espace urbain et sociétal et la façon dont Luxembourg vit l’art dans l’espace public est considérable. « La CeCiL’s Box perpétue notre mission d’être un lieu accessible et ouvert invitant l’art hors de ses murs dans le but d’éveiller la curiosité du passant et de stimuler leur imaginaire, comme un souffle de créativité suspendu dans l’espace public », argumentent-elles. De concert avec Iyoshi Kreutz – présentée dans l’organigramme du Cercle Cité comme « responsable communication », nous empêchant d’annoncer un « trio » de programmatrices –, Marion Vergin et Camilla Cuppini veulent, par ce dispositif, « tisser des liens et briser les frontières entre les disciplines afin de favoriser des rencontres surprenantes et stimulantes entre artistes, œuvres et public ». Après l’excellente intervention Thanks for your attention, de Yannick Muller – un artiste à suivre –, la CeCiL’s Box, rempile pour un nouveau projet « en vitrine ». Suzan Noesen propose Deep Veil. Elle utilise l’image cinématographique flanquée sur la bobine pour l’étendre sur le tissu, ouvrant à une interaction avec la lumière et une opposition sensorielle de la vision de l’œuvre de jour et de nuit, là où le spectateur glisse du réel au rêve.
Quand on leur demande comment continuer à faire preuve d’audace artistique sans s’enfermer dans une « fonctionnarisation » du geste culturel, les deux programmatrices abrègent : « Nous ne sommes pas des fonctionnaires de la Ville, nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question ».