Chroniques de la Cour

Les Grecs au complet

d'Lëtzebuerger Land du 13.05.2022

Petit à petit, on y voit plus clair. Le 27 avril dernier, les gouvernements des États membres de l’UE ont renouvelé le mandat de six ans, à partir du mois de septembre prochain, de plusieurs juges au Tribunal européen. Sont concernés les deux juges belges, les deux Danois, les deux Portugais, le Hongrois Krisztián Kecsmar et le président actuel du Tribunal, Marc van der Woude. Un renouvellement important pour le Néerlandais qui pourra ainsi se présenter à nouveau à la présidence de la juridiction. William Valasidis, l’actuel directeur de la communication de la Cour de justice européenne est le seul nouveau venu sur cette liste. Une nomination atypique. Un rêve qui se réalise comme l’intéressé – officiellement Goulielmos Valasidis - le souligne dans un post sur LinkedIn.

William Valasidis a fait toute sa carrière à la Cour. En octobre 1998, jeune diplômé en droit, il est appelé par le juge grec de l’époque, Krateros Ioannou en tant que référendaire. Ce dernier décède en mars de l’année suivante et William Valasidis est aussitôt engagé par son successeur, un inconnu dans les milieux judiciaires européens, Vassilios Skouris. Mais dès 2003, et contre toute attente, son patron est élu président de la Cour à la suite du non renouvellement du mandat du favori, le juge belge, qui doit quitter la Cour, et du mauvais report des voix sur le second favori, le juge français. En 2009, c’est un Skouris tout puissant qui lui offre le poste de directeur du protocole et des visites. Non sans difficulté puis qu’il lui a fallu l’imposer au comité de sélection interne de la Cour et engager le chef du protocole de la présidence de la république d’Allemagne, Martin Löer, au bord de la retraite, pour quatre ans, le temps de calmer les esprits. Sa nomination a finalement lieu en 2014 avec à la clé un statut de fonctionnaire européen qu’il n’avait pas encore et qu’il devra abandonner lors de sa prise de fonction de juge, comme ont dû le faire les fonctionnaires des autres institutions nommés juge. En 2014, à la suite d’une réorganisation, sa direction devient la direction de la communication.

À la Cour, le directeur de la communication est à un poste clé. Il est chargé de décliner les éléments de communications de la Cour à l’attention de groupes nommément identifiés et ciblés - citoyens et médias, avocats et « autorités législatives et budgétaires » - en adaptant selon les cas « le niveau de technicité du message, son degré d’immédiateté et les vecteurs utilisés », comme l’expliquait dès 2015 le greffier de la Cour (et qui en est aussi le secrétaire général). Une politique efficace, rondement menée et dont une des conséquences a été de rendre les critiques sur la Cour difficilement audibles.

Le comité 255 de l’UE ( l’article du traité de l’UE qui le prévoit), chargé de vérifier les candidatures, a auditionné William Valasidis. Il a tenu compte de ses quinze ans de pratique « de droit supérieur » en tant que référendaire au cabinet du président Skouris tout en tenant à préciser que rien ne permettait d’émettre des réserves sur sa capacité à exercer des fonctions de juge avec indépendance et impartialité. Son audition a été menée fin février, la veille du jour où le comité 255 a vu arriver en son sein Vassilios Skouris pour les quatre prochaines années. Le risque de conflit d’intérêt était évident. Depuis le 1er mars dernier, sur les sept membres du comité, trois d’entre eux - Vassilios Skouris, , Allan Rosas, son président, et Maria Eugénia Martins de Nazaré Ribeiro ont été juges dès le début des années 2000. Pour certains, ils en connaissent tous les rouages et peuvent faire ainsi valoir les « besoins » de l’institution auprès des autres membres du comité, des magistrats ou anciens magistrats nationaux. Mais pour d’autres, les avis du comité n’étant pas publiques et les auditions se déroulant à huis clos, cette opacité présente des dangers pour la démocratie.

Le personnel grec est donc au complet. Il se compose du juge Dimitrios Gratsias, venu du Conseil d’état. Dix ans juge au Tribunal européen il vient de « monter » à la Cour. Il y a été remplacé par Ioannis Dimitrakopoulos, ancien maître des requêtes au Conseil d’État après l’échec d’Eugénie Prevedorou , une professeure spécialisée en droit administratif dont le comité 255 n’a pas voulu. Le second juge au tribunal est Constantinos Iannopoulos, 74 ans. Les avis sont partagés sur la question de savoir si, déjà en 2016, année de sa nomination, il savait qu’il allait être remplacé en 2022 par William Valasidis. La Grèce est aussi un des cinq pays dits de petite taille à qui revient, à tour de rôle, un poste d’avocat général pour un seul mandat de six ans. La prochaine opportunité pour la Grèce se présentera dans une vingtaine d’année s’il n’y a pas de nouvelles adhésions de pays européens à l’UE entre temps ! C’est Athanasios Rantos qui a été nommé. Bien qu’il n’y soit pour rien, son nom sera toujours associé au sort de l’avocate générale britannique Eleanor Sharpston qu’il remplace. Son entrée en fonction a été organisée par la Cour à la va vite, entre deux portes, et ceci pour accélérer le départ d’ Eleanor Sharpston laquelle contestait son licenciement, et à qui la Cour n’a donné que quelques jours, ensuite, pour vider son bureau.

Dominique Seytre
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