Affaire Nico Ries

Le colonel s’ennuie

d'Lëtzebuerger Land vom 19.03.2009

« Tout homme qui a le pouvoir est porté à en abuser ». Cette phrase de Montesquieu a été citée mercredi par l’avocat Jean Welter pour étayer sa thèse sur les raisons qui ont poussé le ministre de la Défense Jean-Louis Schiltz (CSV) à mettre au placard le chef de l’état-major de l’armée luxembourgeoise, le colonel Nico Ries, en janvier 2008. Et d’ajouter que le ministre avait eu un autre conseiller fatal : l’orgueil. Cette combinaison l’aurait poussé à poursuivre son dessein, même lorsqu’il a reçu la lettre de l’avocat de Nico Ries qui l’avait sommé de renoncer à la mutation de son client, au risque de voir attaquer cette décision devant la justice. 

Car aucun fonctionnaire ne peut légalement être démis de son poste sans motif valable. Or, le colonel ne sait toujours pas quelle mouche avait piqué le ministre pour lui réserver un tel sort, à quelques mois de la retraite éventuelle du chef d’état-major. Selon son avocat, Jean-Louis Schiltz aurait lâché une phrase comme quoi il aurait de meilleurs rapports personnels avec Gaston Reinig, désigné comme successeur de Nico Ries. Toute l’affaire se résumerait donc à une seule question d’affinités, d’atomes crochus, de courant qui passe ou ne passe pas entre deux personnes.

« La vie, la carrière, l’honneur de cette personne ne comptait pas pour le ministre », lançait l’avocat dans ses plaidoiries, tout en demandant aux juges administratifs de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. La Constitution consacre le droit de tout citoyen d’être traité de la même manière et protège les fonctionnaires publics qui « ne peuvent être privés de leurs fonctions, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi ». La désaffectation du colonel a été déterminée par la loi du 21 décembre 2007 sur l’organisation militaire, mais la Cour – si le tribunal juge cette demande recevable – devra se pencher sur la question de savoir si le ministre n’aurait pas été obligé de le faire dans le cadre de la loi sur le statut général de la fonction publique plutôt.

Car l’astuce avait été d’intégrer un amendement de dernière minute à la loi. Le conseil d’État l’avait certes avisé et les députés avaient été informés par le ministre que ce passage permettait au colonel de garder son titre et son salaire. Mais personne n’avait apparemment mis en doute les raisons de cette mutation. Suite à la décision du gouvernement, le 9 novembre 2007, de confier l’état-major de l’armée au lieutenant-colonel Gaston Reinig et de charger Nico Ries de la planification dans le contexte des engagements internationaux actuels et futurs du Luxembourg, le député libéral Claude Meisch avait posé une question parlementaire pour connaître les raisons de ce changement de personnel (d’Land, 16 novembre 2007). Il avait aussi voulu savoir si les personnes concernées avaient été d’accord avec ces décisions. Sur ce dernier point, il n’a pas obtenu de réponse – ce qui le poussa à reposer officiellement sa question – le député ADR, Robert Mehlen avait fait de même. 

La réponse aux deux requêtes parlementaires ne fut livrée qu’après coup, lorsque la loi était votée et la mutation du colonel Ries officielle et définitive. Le ministre admet que la nouvelle mission n’a pas été le (premier) choix du colonel Ries, mais que celui-ci lui avait assuré plusieurs fois qu’il allait s’y consacrer. Dans ce contexte, le ministre se défendait aussi du reproche d’avoir dégradé le colonel, d’avoir eu recours à un « excès de pouvoir » ou d’avoir violé les règles de la bonne conduite des affaires de l’État. Et d’assurer qu’il n’avait rien à reprocher au colonel Ries. 

Sur le fondement de la nouvelle mission du colonel, il avait assuré que la planification représentait un « aspect essentiel de la politique de la défense » et que la proximité avec le ministre était donc normal. « Le Colonel Ries, de par ses fonctions d’abord de chef d’état-major adjoint et ensuite de chef d’état-major ainsi que par sa connaissance des mécanismes internationaux à l’OTAN et à l’Union européenne, possède précisément cette expérience de même qu’il a les contacts nécessaires. » Or, il n’est pas difficile de s’imaginer la dégradation de ces mêmes contacts dans le milieu étoilé extrêmement hiérarchisé et les difficultés que le colonel sans armée doit avoir rencontrées depuis son limogeage de l’état-major. Surtout que la nouvelle de ce « putsch à l’envers » a dû se répandre en un temps record dans ce microcosme militaire – tant ici qu’à l’étranger. 

Il est certain que Nico Ries ne fait pas d’envieux, même s’il garde son grade et son salaire. C’est la raison pour laquelle son avocat n’y est pas allé par quatre chemins et a parlé d’une voie de garage, un pseudo emploi où il ne fait pas de différence si le candidat fournit un travail ou pas. Car en réalité, le colonel n’est ni associé aux discussions, ni aux prises de décisions. Or, la mission de s’occuper de la planification de l’armée ne peut guère faire de sens s’il demeure isolé de toute réalité vécue sur le terrain. 

Dans ses plaidoiries, l’avocat de l’État s’est efforcé de démontrer la matérialité des faits, que le colonel est bel et bien en charge d’une mission réelle et qu’il effectue sa tâche avec diligence. Il a estimé que le seul problème à l’origine du conflit était l’orgueil blessé de l’ancien chef d’état-major, ni plus, ni moins et que sa plainte était non fondée. 

Personne n’en sait donc plus sur les motifs réels du ministre, qui avait d’ailleurs clôturé sa réplique à la question parlementaire de Claude Meisch par des applaudissements : « Je voudrais encore profiter de l’occasion pour marquer ma reconnaissance pour l’engagement du Colonel Nico Ries au service de la défense depuis de nombreuses années. Je rappelle par ailleurs que c’est sous sa responsabilité que l’armée a significativement développé et diversifié ses opérations à l’étranger. » Le colonel a dû en rire jaune.

anne heniqui
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