L’été lyrique en Provence

Plus populaire que populiste

d'Lëtzebuerger Land du 06.08.2021

À Orange, faut-il attribuer le prix Citron à (l’absence de) la mise en scène de Samson et Dalila, l’opéra de Camille Saint-Saëns, présenté aux Chorégies par son directeur himself, Jean-Louis Grinda ? Ou faut-il se réjouir de la discrétion, peu coutumière de nos jours, du metteur en scène qui, fort logiquement, n’est pas venu saluer le public à l’issue du spectacle ? Grinda a dû se souvenir qu’à l’origine Saint-Saëns voulait composer un oratorio du sujet qu’il a tiré du Livre des Juges de la Bible. Aussi sont-ce les chœurs, les chanteurs et les musiciennes qui sauvent une production qui hésite entre le péplum et une mise en scène d’un opéra wagnérien à Beyreuth, du temps où Saint-Saëns s’y rendait en pèlerinage. N’oublions pas que le mot kitsch a pris naissance dans cette Allemagne du 19e siècle finissant, et qu’il sied à merveille à l’ange qui accompagne lourdement Samson dans son ascension, sa chute et sa rédemption. Il faut ainsi fermer les yeux plus d’une fois devant la pollution visuelle des costumes qui opposent des tortues Ninja à des arbres de Noël.

Mais ne corrigeons pas les Chorégies, car il y a bien une espèce de répartition des tâches entre Orange avec son extrême-droite ratatouille et sa rivale Aix avec sa droite calissons. Avec Samson et Dalida nous assistons à un spectacle plus populaire que populiste, qui tire merveilleusement profit de la splendide coulisse avec son mur romain, métamorphosé par la magie des lumières en star de la soirée : on se croirait dans les ruines de Petra, avant que le tout ne s’écroule virtuellement dans une apocalypse dionysienne. Grinda semble bien avoir compris l’hainamoration que Nietzsche vouait à Wagner, en opposant tout au long du spectacle le recueillement apollinien aux bacchanales dionysiaques.

L’autre star de la soirée est le « Philhar », comme les Français appellent affectueusement « leur » Orchestre philharmonique de Radio-France, dirigé de main de maestro par Yves Abel. Rythme précis, scintillement chromatique, justesse des cordes qui ne font nul ombrage à l’emportement des vents, la phalange parisienne donne à entendre une partition où l’orientalisme ne verse jamais dans l’anecdotique. Roberto Alagna en Samson fait une fois de plus merveille avec sa diction précise qui nous fait comprendre chaque mot. Mais cette rigueur toute française ne le dispute en aucune manière à la générosité d’une voix qui fait rayonner son italianità jusqu’au dernier gradin des arènes. Un (tout) petit bémol peut-être à Marie-Nicole Lemieux, qui campe une Dalila un peu neutre, refusant de faire vibrer l’ambivalence du personnage entre haine et amour, fidélité et trahison. Les chœurs des opéras de Monte-Carlo et du Grand Avignon ont réuni leurs forces pour épauler plus que solidement les solistes et l’orchestre.

« On n’efface pas une pandémie comme une simple note discordante d’une partition », écrit Jacques Bompard, transfuge du Front National et maire d’Orange, dans son introduction au programme, et qui salue « le retour des Chorégies (qui) est une libération attendue, désirée. » Face à l’actualité politique et sanitaire, l’avertissement de l’opéra qui raconte la libération des Juifs par Samson du joug des Philistins, résonne pour longtemps encore dans la nuit provençale.

Paul Rauchs
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