La guerre que Moscou mène en Ukaine a renforcé les liens entre la Pologne et la Roumanie ainsi que leur volonté de moderniser leurs armées

Le conte de fées de l’industrie militaire

d'Lëtzebuerger Land du 21.04.2023

Si vis pacem, para bellum ! « Si tu veux la paix, prépare la guerre ! » Cet adage latin, dont l’origine remonte à l’Antiquité, retrouve son actualité aux confins orientaux de l’Union européenne (UE). La Roumanie et la Pologne, toutes deux membres de l’UE et de l’Otan, renforcent leur industrie militaire pour soutenir l’Ukraine voisine attaquée par la Fédération de Russie. « Nous sommes confrontés à une guerre de longue durée, affirme Mircea Geoana, ancien ministre roumain des Affaires étrangères et secrétaire adjoint de l’Otan depuis 2019. C’est une guerre d’usure et nous avons un problème de capacités de production à l’échelle de l’Alliance atlantique. Nos bases industrielles n’ont pas été préparées pour un conflit de longue durée qui consomme une quantité importante de munitions chaque jour. Nous devons augmenter notre production industrielle pour continuer à soutenir l’Ukraine. »

L’industrie militaire est en pleine effervescence chez les deux alliés de l’Ukraine : la Pologne et la Roumanie. Le gouvernement roumain a décidé de donner un nouveau souffle à Romarm, la compagnie d’État qui gère une quinzaine d’usines et d’unités de production d’armement. En 2022, Romarm a multiplié sa production par sept et prévoit de tripler son chiffre d’affaires en 2023. « Les investissements que nous sommes en train de réaliser dans l’industrie militaire vont transformer la Roumanie en un hub de fournisseurs pour tous les pays de l’Otan », a déclaré Florin Spataru, le ministre de l’Économie. Même son de cloche du côté du gouvernement polonais. « Depuis l’agression russe en Ukraine, le poids de la Roumanie et de la Pologne a augmenté, a affirmé Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, lors du Forum économique Roumanie-Pologne qui s’est tenu le 28 mars à Bucarest. Dans le triangle formé par l’Ukraine, la Roumanie et la Pologne, il sera bientôt possible de mettre en place des plans stratégiques pour l’avenir. »

La Roumanie et la Pologne comptent devenir des acteurs de taille au sein de l’Alliance atlantique et mobilisent les effectifs et les budgets pour affirmer leur nouveau poids géostratégique. L’Usine mécanique de Bucarest vient de signer un accord de type joint-venture avec la compagnie américaine General Dynamics pour la construction en Roumanie de 133 transporteurs blindés Piranha 5. L’usine IAR Ghimbav, située au centre du pays, a signé elle aussi un contrat de collaboration exclusive avec Airbus Helicopters pour produire les hélicoptères H215M.

Le 3 avril, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu à Bucarest pour rencontrer le président Klaus Iohannis, d’origine allemande, et assurer le soutien de l’Allemagne dans les efforts d’aide à l’Ukraine. « Nous allons soutenir militairement l’Ukraine tant qu’elle en aura besoin », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. L’Allemagne a confirmé son intention d’envoyer des chars Leopard 2 en Ukraine et compte sur la Roumanie voisine pour assurer leur maintenance. Immédiatement après la visite du chancelier à Bucarest, l’entreprise allemande Rheinmetall a démarré la construction d’un centre d’entretien et de logistique militaire à Satu Mare, ville située au nord-ouest de la Roumanie, à proximité de la frontière roumano-ukrainienne. « La maintenance joue un rôle fondamental dans l’entretien des systèmes militaires occidentaux utilisés en Ukraine, a déclaré Armin Papperger, le directeur de Rheinmetall. Nous allons offrir à l’Otan et à l’Ukraine notre soutien inconditionnel. »

La Roumanie prévoit d’augmenter ses dépenses militaires de deux à 2,5 pour cent de son PIB, tandis que la Pologne ne cache pas son ambition de porter la taille de son armée de 115 000 à 300 000 hommes et de consacrer pas moins de quatre pour cent de son PIB à la défense. Les acquisitions prévues d’équipements militaires devraient permettre à la Pologne de disposer de la première armée de terre en Europe d’ici 2027. Varsovie prévoit d’acquérir des chars lourds et des hélicoptères américains, ainsi que des missiles Himars dont l’efficacité a été prouvée lors des combats en Ukraine. À l’instar de la Roumanie, la Pologne a également signé plusieurs contrats avec la Corée du Sud pour renforcer son artillerie avec de nouveaux canons automoteurs. Les achats auprès de Séoul incluent des transferts de technologie qui devraient, à terme, rendre les industries polonaises et roumaines plus autonomes.

La peur ancestrale de la Russie a poussé la Roumanie et la Pologne à se ranger derrière l’Otan, et surtout derrière les États-Unis, pour assurer leur sécurité face aux pulsions expansionnistes de la Russie que les deux pays ont ressenties tout au long de leur histoire. La guerre que Moscou mène sur le sol ukrainien a renforcé les liens entre les deux pays ainsi que leur volonté de moderniser leurs armées et leurs industries militaires. Bucarest et Varsovie ne cachent pas non plus leur désir d’être des acteurs principaux dans la future reconstruction de l’Ukraine. « Nous avons des projets très ambitieux d’un point de vue économique et stratégique, a déclaré le Premier ministre polonais lors du Forum économique Roumanie-Pologne. Au-delà de la coopération militaire, il s’agit de la construction d’une communauté économique de plus de cent millions d’habitants en Europe centrale. »

Mirel Bran
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