Chassé – Croisé

d'Lëtzebuerger Land vom 13.08.2021

Si les congés payés ont vu le jour au Grand-Duché entre deux crises majeures du 20e siècle, dans les années 1930, il aura fallu attendre une nouvelle grande crise pour que les congés deviennent, non pas des besoins de premières nécessités, mais bien des possibilités des voyages. Avec le développement des moyens de transports plus rapides et moins coûteux, un pouvoir d’achat plus élevé, le début du 21e siècle a vu le voyage devenir un essentiel des vacances. Le Covid étant passé par là, mettant à mal toutes nos libertés ou plutôt nos avantages, le traditionnel bain de foule, de sable, d’apéros et de moules frites a lui aussi été ébranlé.

Et pourtant, en cet été 2021, tout semble « repartir comme en 40 ! ». Des milliers de kilomètres d’embouteillages sur les routes lors de tous les week-ends estivaux, et tout particulièrement, durant les fameux « chassés-croisés » (quand les « juillettistes » laissent leurs transats aux « aoûtiens ») ; des plages bondées, les chichis et autres chouchous vendus à la sauvette et les éternels avions publicitaires, tout y est pour nous faire croire que nous sommes bien entrés dans le monde d’après ou après – avant, ou avant – après, on finit par s’y perdre un peu. Les festivals estivaux ont eux aussi repris du service, que ce soit les arts plastiques, photographiques, cinématographiques, lyriques ou scéniques, chaque région arborant fièrement la réouverture des festivités culturelles mises sur le banc durant de longs mois.

De passage à Arles, les commerçants de la place du forum exclament fièrement être revenus plus ou moins à une saison « normale ». Il est d’ailleurs intéressant et assez ironique que « normal » se réfère pour ces commerçants à 2019, comme si 2020 n’avait jamais existé. Même remarque du côté du très prisé golfe de Saint-Tropez, où la patience est de nouveau de mise pour atteindre ses plages bouteilles de champagne, yachts et autres jet skis. On y croise, pour des raisons évidentes, principalement des touristes européens, mais pas seulement. À l’entrée d’un espace d’exposition à Arles au cœur du festival international de la photographie on entend le gardien dire à un couple : « Votre pass n’est pas valable, vous ne pouvez pas entrer », à quoi le couple répond dans un français approximatif qu’ils sont bien vaccinés, seulement, leur vaccination a été effectuée en Californie. Dans cette douce atmosphère du monde d’avant ou d’après, le Covid est bel et bien toujours l’invité et son lot de règles que chaque pays ou région décide et modifie à son gré et au rythme du fameux taux de reproduction du virus et de ses hospitalisations.

Les vacances demandent donc un peu d’organisation face aux obligations de présentation d’un pass qui n’est pas forcément valable selon les règles que l’on connaît chez nous, et même pas toujours lisible dès lors que l’on franchit les frontières du Luxembourg, et des obligations de port du masque en ville, partout, ou simplement dans les zones très fréquentées. Règles que l’on respecte ou non sur place et qui se font respecter ou non sur la simple volonté des autorités locales. Toujours est-il que le désir ardent de (de)nouveau se fait sentir, et, grâce aux avancées de la vaccination, l’été 2021 semble « comme avant », insouciant. Qu’il n’en déplaise à quelques-uns, c’est bel et bien ce maudit vaccin qui nous offre la possibilité de cette parenthèse, que l’on espère ne se refermera jamais. Il nous reste cependant un arrière-goût amer à cet été 2021. Pendant que nous tentons de réécrire nos souvenirs d’un été heureux, une crise bien plus grande que celle du Covid vient nous frapper de plein fouet, celle des maux de notre planète : plongeant le Luxembourg et ses pays frontaliers sous des eaux meurtrières, voyant les glaces du Groenland fondre à vue d’œil, divisant l’Europe en deux, ceux qui se gèlent et ceux qui croulent sous la chaleur. Ce n’est pas seulement le ballet des voitures qui se chassent et se croisent cet été, c’est aussi celui des maux de nos sociétés, qu’il va aussi falloir prendre à bras le corps, une fois la légèreté de l’été terminée.

Mylène Carrière
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